«L’EUROPE à l’étouffée», «La France en état d’alerte», «La canicule fait ses premiers morts», «Y a encore des ministres qui vont transpirer». Depuis le 10 juillet, ça chauffe, y compris dans les salles de rédaction. Selon Météo France, on n’a pas connu pareille chaleur à cette époque de l’année, depuis 1893. Pourtant, la semaine dernière, les températures étaient encore loin des maxima atteints en 2003. L’Institut national de veille sanitaire (InVS), chargé par le gouvernement, au-delà des informations quotidiennes, de faire un point précis chaque jeudi, estime que l’impact sanitaire de la vague de chaleur reste «modéré», car aucune augmentation globale de la mortalité n’a été mise en évidence dans les départements concernés.
Après les 15 000 morts d’août 2003, tous les signaux d’alerte fonctionnent en temps réel, assurent les autorités de l’Etat. Pour l’Ile-de-France, le Centre régional de veille et d’action sur les urgences, créé en mars 2004 par l’Assistance publique des hôpitaux de Paris et l’agence régionale d’hospitalisation, en est l’illustration. D’un jour à l’autre, l’activité des Samu et de SOS Médecins progresse de 10 à 30 %, tandis que les passages dans les services hospitaliers sont en hausse de 15 à 25 %.
Dans les cabinets médicaux libéraux, les généralistes se trouvent aux avant-postes. A l’instar du ministère de la Santé qui demande la vigilance pour les populations les plus fragiles, ils sont plus que jamais attentifs au sort des personnes âgées*, des patients sous traitement médicamenteux, des enfants, des sans domicile fixe et des travailleurs en plein air, sans négliger les sujets qui s’adonnent à des activités sportives. «Il faut boire, boire et boire» – jusqu’à 6 à 10 l d’eau par jour pour qui exécute des tâches en extérieur –, telle est la consigne clé. Et pour les grands malades et les anciens, il convient de «leur mouiller en priorité la peau».
Le Dr François Pacheco, jeune omnipraticien parisien installé depuis deux ans, multiplie les recommandations en ce sens. «Tout se passe très bien», même sans climatisation dans son cabinet, dit-il au « Quotidien ».
A Champigny, dans le Val-de-Marne, le Dr Philippe Denoual enregistre une «flambée» de ses visites de l’ordre de 25 %, mais aucune pathologie grave associée à la canicule. «A partir de 60ans, les gens freinent leurs sorties», explique le généraliste, en exercice depuis 1984. «En ce qui concerne mon cabinet, ajoute-t-il, la plupart des patients sont agréablement surpris par la climatisation, même si quelques-uns ont peur d’attraper un coup de froid.»
A Strasbourg, le Dr Myriam Karoune, remplaçante, a eu à délivrer deux arrêts de travail à des hommes pris de vertiges et de céphalées sur un chantier en plein soleil.
«Pour deux personnes âgées qui faisaient état d’un malaise, des conseils par téléphone ont suffi.» Quant aux consultations, elles sont en baisse, de 20 à 30 %, et décalées, «plus tôt le matin et en fin d’après-midi». Enfin, relève Myriam Karoune, «tout ce qui est inflammatoire, comme l’arthrite, ou allergique, devient plus pénible, exacerbé».
A Colmar (Bas-Rhin), où elle est installée depuis dix-neuf ans, le Dr Pascale Fiat bénéficie d’un contexte «favorable, qui (lui) permet de gérer la situation». «Je suis dans une maison des années 1930, avec mon cabinet côté ombre, qui garde la fraîcheur jusqu’au soir, explique- t-elle. Certes, je me déplace davantage (15%) au profit des personnes un peu fragiles. Et si les pathologies infectieuses apparaissent plus fréquentes chez les personnes âgées, avec une indication d’hospitalisation, et parmi les jeunes, je n’ai pas été confrontée à des urgences en extrême limite.»
Des visites en hausse de 20 à 30 %.
Dans le Sud-Ouest, en Charente, le bourg de Champniers ne cède pas à la panique. «Ici, témoigne le Dr Annie Albert, les ruraux sont rompus au savoir-vivre par temps de chaleur. La seule différence avec 2003, c’est que les maires de la contrée nous ont demandé d’être vigilants.» Un peu plus au sud, à Marciac, dans le Gers, le Dr Patrick Raynal ne rencontre pas non plus de difficultés. Ses consultations du matin «se déroulent fenêtres ouvertes pour faire des courants d’air». «Les gens que je pratique depuis trente ans se montrent très pragmatiques, commente-t-il . Je ne résiste pas à l’envie de rapporter la réflexion de l’un d’entre eux: “Les jeunes aujourd’hui bouffent dehors et rentrent pour pisser, alors que nous, nous mangeons dedans et nous sortons pour pisser.” » Les maisons, entourées de feuillage, ont des murs épais ; elles sont aérées la nuit et fermées le jour. Et les gros engins agricoles sont climatisés. «Comme praticien, je dois m’adapter, bien sûr: je démarre plus tôt et je finis plus tard. J’évite de faire venir des patients en consultation sous le zénith, car n’oublions pas que Giscard nous a apporté un décalage de deux heures par rapport au soleil. Je m’emploie également à veiller particulièrement au risque de décompensation cardiaque et aux sujets sous diurétiques.»
Aux portes de Bordeaux, à Lormont (Gironde), le Dr Abdel Soubra a dû faire face, en ce qui le concerne, à deux reprises, à des hommes d’une cinquantaine d’années «passablement irrités, impatients, exigeants, dépossédés de leur self-control par la canicule». Il essaie d’anticiper les problèmes des personnes âgées en leur téléphonant, ou en se rendant à leur chevet «pour voir comment ça va, s’ils s’hydratent bien et ferment leurs volets». Comme chaque été depuis 2003, en juillet-août, le Dr Soubra consulte exclusivement le matin, et actuellement, ses visites sont en augmentation de 20 à 30 %.
Plus à l’est, à Carpentras (Vaucluse), là où les pics de chaleur font la Provence et chanter les cigales, le Dr Eric Brousse n’a pas changé grand-chose à ses habitudes. Ici, la canicule a ses quartiers d’été. «Nous en avons l’habitude, et nous nous organisons, note le praticien . Les patients campent devant mon cabinet à partir de 8heures, alors que, hors saison, les consultations s’échelonnent sur toute la journée. Les maisons de retraite sont désormais à l’heure de la climatisation et, au regard du risque de déshydratation, je ne manque jamais d’insister sur un apport en perfusion pour les personnes les plus faibles.» Au total, à la ville comme à la campagne, le généraliste fait montre d’un engagement spontané auprès de ses patients les plus susceptibles d’être affectés par les chaleurs de l’été.
* 4,3 millions de personnes âgées de 60 ans et plus vivent seules, dont les trois quarts sont des femmes.
Mobilisation pour la protection des Français
Depuis le début de la vague de chaleur, les membres du gouvernement n’ont pas ménagé leur peine pour informer et protéger les Français. Lors du Conseil des ministres du 12 juillet, Jacques Chirac a d’ailleurs appelé les autorités à «une vigilance absolue» et chaque Français à «manifester toute leur solidarité» avec les personnes fragiles.
Xavier Bertrand a pour sa part multiplié les communiqués, les mesures d’information et les visites : le 18 juillet aux urgences de Saint-Antoine (Paris) et de Beaujon (Clichy), le 19, avec le Premier ministre et Philippe Bas, dans une maison de retraite parisienne, aux urgences du CH de Créteil et au Samu social, avec lequel il a effectué une maraude.
Dominique de Villepin a fait le point le 20 au cours d’une réunion interministérielle. Le ministre du Travail Jean-Louis Borloo a prévu de réunir les partenaires sociaux des branches professionnelles les plus exposées au risque de chaleur afin de renforcer la protection des salariés, en décalant par exemple les horaires de travail. Dans le BTP, une indemnisation à titre exceptionnel des employeurs, comme en 2003, pourrait être envisagée.
Pour les sans-abri, le gouvernement a prévu le renforcement des maraudes et une ouverture étendue des centres d’accueil de jour.
Pour tous, les conseils de prévention peuvent être retrouvés sur les sites Internet de l’Invs (www.invs.sante.fr) et du ministère de la Santé (www.sante.gouv.fr).
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