L'effet de serre a fait couler beaucoup d'encre et sa responsabilité dans le réchauffement des océans ainsi que l'augmentation des précipitations sont des éléments non discutables. Le médiateur climatologique de cette évolution paraît être un phénomène décrit par les pêcheurs de la côte Est de l'Amérique du Sud dès le XVIe siècle. Il s'agit du réchauffement des eaux côtières du Pacifique qui a lieu aux alentours de Noël et qui a été appelé pour cela El Niño.
Il s'agit en fait du prolongement à composante méridionale du contre-courant équatorial du Pacifique, qui s'écoule devant la côte Est du continent sud-américain. Il y a un changement dans la circulation normale des alizés soufflant normalement vers l'ouest avec incursion exceptionnelle d'eau chaude dans le domaine du courant du Pérou. Cela réalise « l'oscillation australe ». L'augmentation qui se produit à l'ouest entraîne une diminution à l'est. Ce phénomène a une influence sur le climat car le dégagement de chaleur et d'humidité au-dessus de l'océan entraîne une augmentation des précipitations. L'oscillation australe accentue la mousson en Asie et par voie de conséquence augmente la sécheresse en Australie et en Afrique.
Le thermomètre El Niño
El Niño 1997 fut le plus fort jamais rencontré, la température à la surface de l'océan Pacifique au large de l'Amérique du Sud était de 5 °C supérieure à la normale. El Niño serait le thermomètre révélateur de l'effet de serre et de la pollution atmosphérique.
Les exacerbations climatiques ont un impact sur les régions tropicales avec augmentation de la reproduction des agents vecteurs (moustiques, mouches). Depuis 1997, il y a cinq à dix fois plus de pluie sur la côte Est de l'Afrique, avec des crues et une incidence majeure sur les maladies du péril fécal, dont le choléra fait partie. Cela s'associe à une sécheresse en Amérique centrale et à des cyclones tropicaux dans les îles du Pacifique Sud, au Pakistan et au Bangladesh. Le lien entre l'augmentation d'incidence du choléra dans les dix dernières années et l'augmentation de température ambiante due à El Niño a été évoqué par la communauté scientifique (1).
Le choléra, cette maladie quarantenaire, est une toxi-infection due à Vibrio cholerae , bacille Gram négatif, qui atteint la muqueuse intestinale, la colonise, y adhère puis libère sa toxine. A côté du péril fécal classique, connu de tous, un réservoir marin a été découvert dans le zooplancton. Il existe en effet une relation entre les épidémies saisonnières de choléra et la prolifération de certains éléments du plancton dans l'estuaire du Gange et du Bramapoutre. Le vibrion a été découvert en grande quantité dans ces micro-organismes marins. Il a été mis en évidence une relation étroite entre l'augmentation des cas de choléra au Bangladesh et l'augmentation de la température de la mer en surface dans la baie du Bengale. On peut en déduire que l'augmentation de la température de la mer, en particulier pendant El Niño 1992, a contribué à la propagation de l'épidémie de choléra en Amérique du Sud.
L'homme et la mer comme réservoirs
Le réservoir de germe du vibrion cholérique est bien sûr l'homme infecté, mais il existe donc également un réservoir permanent dans la nature constitué par le zooplancton et par voie de conséquence les fruits de mer et les crustacés. Si le milieu n'est pas favorable, le vibrion est à l'état dormant viable non cultivable (VNC). Si les conditions deviennent favorables, le gène Tox R. régit le retour à la forme active.
La transmission se fait surtout par contact avec les malades et leurs déjections et, bien sûr, par les mains sales de l'entourage et des porteurs sains. L'eau de boisson et les aliments contaminés sont des véhicules de la maladie. L'homme est à la fois milieu de culture et milieu de transport.
Sur le plan épidémiologique, il existe un équilibre entre infection et immunité en zone d'endémie. Le phénomène pathologique devient épidémique lorsque des communautés humaines à immunité faible sont en contact avec le vibrion (surpopulation, réfugiés, catastrophes naturelles). L'épidémie peut être explosive, comme dans les camps de réfugiés (Goma 1994), par transmission interhumaine en zone sèche. Elle peut être traînante, une petite quantité de vibrion étant diluée dans le milieu ambiant en zone humide côtière, par exemple lors des inondations comme cela s'est vu à Djibouti en 1993 et 1994.
Cette infection évolue par pandémies. Localisée depuis des siècles sur le continent indien, on individualise la première extension, appelée première pandémie, de 1817 à 1823, qui s'est propagée vers l'Asie, le Moyen-Orient et l'Afrique de l'Est. La deuxième pandémie, de 1829 à 1851, qui atteignit les mêmes territoires et se propagea également en Europe et en Amérique du Nord. La troisième pandémie, de 1852 à 1859, eut une progression plus rapide à cause de la propulsion à vapeur, elle atteignit l'Amérique du Sud. La quatrième pandémie, de 1863 à 1879, progressa par le canal de Suez. La cinquième pandémie, de 1881 à 1889, atteignit tous les continents sauf l'Australie. A cette occasion, Koch découvrit le vibrion en 1883. La sixième pandémie, de 1899 à 1923, se concentra sur l'Asie, le Moyen-Orient et l'Europe de l'Est. La septième pandémie, dans laquelle nous sommes encore, a débuté aux Célèbes en 1961. Le vibrion responsable est Vibrio El Tor, identifié en 1902 au Sinaï. Elle a progressé vers l'Asie en 1962, vers le Moyen-Orient et l'Europe de l'Est en 1965 pour atteindre l'Afrique en 1970. Après une accalmie, de manière concomitante avec des inondations et des migrations de populations, elle resurgit en Afrique noire en 1991, puis en Amérique du Sud en 1997, où 147 425 cas furent diagnostiqués avec 6 274 morts déclarés. En 1997, 65 pays ont déclaré des cas, dont 80 % en Afrique.
La périodicité des épidémies est due : au hasard des cas importés ; à l'état d'immunité de la population en fonction de l'âge (si le vibrion ne circule plus, il y a une baisse de l'immunité naturelle) ; mais aussi à l'apparition éventuelle de nouvelles souches. La mise en évidence de réservoirs aquatiques marins pour Vibrio cholerae 01 était connue au Bangladesh. Elle a également été prouvée au Pérou. La température ambiante est positivement corrélée avec le nombre de cas. Le pic de température de l'été 1998 dû à El Niño précédait le pic de cas de choléra de trois semaines. La température de l'eau de 19,3 °C étant le seuil annonciateur de l'augmentation du nombre de cas (1).
La relation semble évidente entre l'évolution climatique et l'extension du choléra. Cette relation est polyfactorielle, le phénomène El Niño paraît en être le starter. La lutte contre le choléra passe par l'amélioration du niveau de vie des populations. Cette infection reste un bon indicateur du faible niveau de développement et d'hygiène.
(1) Speelmon E., Checkley W., Gilman R., Patz J., Hopkins J., Calderon M., Manga S. « Cholera Incidence and El Niño-Related Higher Ambient Temperature », « JAMA » 2000, 23, 3072-3074.
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