Tics moteurs, tic vocal
Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) est défini par la présence de plusieurs tics moteurs et d'au moins un tic vocal, pendant une période d'au moins un an. On pensait que ce trouble était une curiosité (de 5 à 30 pour 10 000 enfants selon le DSM-IV-TR, la nomenclature officielle de l'Association américaine de psychiatrie), mais des articles récents évaluent sa prévalence entre 0,4 et 1,76 % entre 5 et 18 ans (1, 2). La divergence entre ces valeurs est peut-être due à la difficulté qu'il y a à différencier le SGT des autres tics, qui sont relativement fréquents chez l'enfant (environ 5 % des enfants) (3). Les vocalisations du SGT sont habituellement simples (reniflements, raclements de gorge, toux), mais parfois plus complexes (aboiement, suites de mots). La coprolalie (prononcer des insultes) est un élément spectaculaire du syndrome, qui est en fait rare et n'est pas obligatoire pour le diagnostic.
Histoire
Dans son article princeps (4), Gilles de la Tourette décrivit une affection nerveuse, caractérisée par une incoordination motrice mineure, accompagnée d'écholalie et de coprolalie, englobée auparavant dans le cadre des chorées. L'auteur aurait préféré le terme eschrolalie (des mots grecs signifiant indécent et parler) qui était pour lui plus exact que coprolalie, mais trop rare pour être facilement compris. De nombreux patients diagnostiqués aujourd'hui ne répondraient pas aux critères stricts de l'article initial. Le neurologue parisien Trousseau avait déjà décrit les tics vocaux si caractéristiques. Trousseau cite l'exemple : «...de l'un de mes anciens camarades de lycée que j'avais reconnu, à vingt ans d'intervalle, pendant qu'il marchait derrière moi, à l'espèce d'aboiement que je lui avais entendu pousser autrefois alors que nous faisions nos études». Le célèbre neurologue américain Beard, inventeur de la neurasthénie, avait déjà décrit en 1878 les « Jumping Frenchmen of Maine » (des bûcherons québécois travaillant dans l'Etat américain du Maine) et des cas similaires avaient été rapportés en Malaisie sous le nom de Latah. Quatre des neuf cas de l'article de Gilles de la Tourette sont des enfants ou des adolescents. Ainsi, le jeune G., âgé de 15 ans, venu du Havre, présente des tics moteurs depuis qu'il a été effrayé par la vue d'un homme s'enfuyant du jardin voisin. Le garçon ne peut s'empêcher de prononcer les mots «merde, couillon». Le jeune L. pousse des «ouh! ouh! ouh!» stridents et il a 14 ans quand il est vu en consultation par Charcot qui confirme le diagnostic. La jeune Mlle X. présente depuis l'âge de 9 ans des tics de la face et des secousses des membres et, avec la position élevée de sa famille et son éducation excellente, on se demande où elle a bien pu apprendre le «nom de Dieu, foutre, merde» qu'elle est contrainte de répéter.
Etiologie
L'étiologie du SGT reste inconnue. Des études familiales ont mis en évidence un élément génétique. Le seul gène impliqué pour l'instant est le SLITRK1, trouvé anormal dans une étude chez seulement 3 patients dans un groupe de 174, mais chez aucun contrôlé parmi 3 600 (5). On a proposé dans certains cas un mécanisme auto-immun après une infection par streptocoque (il y aurait une certaine analogie avec la chorée de Sydenham) (6).
Thérapeutique
Le traitement doit être choisi en fonction de la gêne fonctionnelle, qui dépend souvent des troubles associés. Dans les formes les moins sévères, le syndrome de Gilles de la Tourette peut ne pas être très gênant fonctionnellement chez les enfants, et la coprolalie, rappelons-le, ne survient que dans une minorité de cas. En revanche, les affections comorbides sont très fréquentes : il s'agit surtout du trouble déficit de l'attention/hyperactivité (TDAHA), et aussi de conduites obsessionnelles compulsives. On retrouverait ces comorbidités dans 60 % des cas, ce qui fait d'ailleurs douter de la validité de ces catégories diagnostiques chez l'enfant. Les choix thérapeutiques sont influencés par les écoles et le recours à des médicaments psychotropes est certainement plus fréquent aux Etats-Unis ou en Allemagne qu'en France. Evaluer l'utilité d'un traitement est parfois difficile car la sévérité des tics fluctue avec le temps. Des antipsychotiques classiques (halopéridol, pimozide) étaient classiquement indiqués pour le traitement du SGT, mais ces produits entraînent des effets secondaires extrapyramidaux et un risque de dyskinésies tardives, ce qui les rend peu acceptables chez l'enfant. Des antipsychotiques plus récents sont mieux tolérés (sulpiride, rispéridone).
L'emploi de l'aripiprazole, agoniste partiel des récepteurs dopaminergiques D2, a été rapporté dans des séries de patients incluant des enfants ; toutefois, nous ne disposons pas encore d'études contrôlées avec ce produit. La clonidine, agoniste central des récepteurs noradrénergiques alpha 2, a un effet plus modeste sur les tics, mais sa bonne tolérance en fait un produit de premier choix dans les tics peu sévères (7). La clonidine a aussi l'avantage d'avoir des propriétés thérapeutiques dans le TDAHA, ce qui est intéressant en cas de comorbidité. En cas de TDAHA associé, il est possible de traiter avec un psychostimulant, par exemple avec du méthylphénidate. Les psychostimulants pourraient théoriquement aggraver la sévérité des tics quand le TDAHA et le SGT sont associés, mais des métaanalyses montrent que ce risque n'est pas prouvé statistiquement, même si on le constate chez certains individus (8).
(1) J. S. Stern. Tourette's and tics. « Current paediatrics » 2006 ; 16 : 459-463.
(2) M.-M. Robertson. Tourette's syndrome. « Psychiatry » 2005 ; 4 : 92-97.
(3) J.-M. Dooley. Tic disorders in childhood. « Seminars in pediatric neurology » 2006 ; 13 : 231-242.
(4) G. Gilles de la Tourette. Etude sur une affection nerveuse caractérisée par de l'incoordination motrice accompagnée d'écholalie et de coprolalie (jumping, latah, myriachit). « Archives de neurologie » (Paris) 1885 ; vol. 9, pp. 19-42.
(5) J.-S. Abelson. Sequence variants in SLITRK1 are associated with Tourette's syndrome. « Science » 2005 ; 310 : 317-20.
(6) H.-S. Singer. Tourette's syndrome : from behaviour to biology. « Lancet neurology » 2005 ; 4 : 149-159.
(7) L. Scahill et al. Contemporary assessment and pharmacotherapy of Tourette syndrome. « NeuroRx : the Journal of the American Society for experimental neurotherapeutics » 2006 ; 3 : 192-206.
(8) G. Erenberg. The relationship between Tourette syndrome, attention deficit hyperactivity disorder, and stimulant medication : a critical review. « Seminars in pediatric neurology » 2006 ; 12 : 217-221.
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