DE NOTRE CORRESPONDANTE
LA RÉPERCUSSION clinique du tabagisme est variable et dépend en partie de facteurs de susceptibilité individuelle.
L'une des complications les plus graves du tabagisme est l'emphysème, une maladie inflammatoire destructrice du poumon qui évolue insidieusement, parfois même longtemps après l'arrêt du tabagisme.
On sait que les individus fumeurs et portant un déficit en alpha 1-antitrypsine sont prédisposés à développer un emphysème, mais on ne connaît pas beaucoup d'autres facteurs de susceptibilité. Une meilleure compréhension de ces facteurs pourrait permettre de prédire qui est à risque de faire cette maladie respiratoire obstructive chronique.
Des cellules T activées.
Dans l'emphysème, les alvéoles pulmonaires perdent de leur élasticité, se déforment peu à peu ou se rompent. La respiration devient de plus en plus laborieuse, inefficace, et provoque une sensation persistante d'essoufflement.
On sait que, dans les poumons emphysémateux, les cellules T activées sont de type Th1 (T Helper de type 1) ; en libérant une chimiokine, ces cellules Th1 contrôlent la libération d'enzymes (métalloprotéinases de la matrice) qui détruisent l'élastine.
Mais comment la fumée du tabac induit-elle l'immunité Th1 ? Et quelle est la nature de cette immunité Th1 ? Une équipe du Baylor College of Medicine (Texas) apporte de précieux éclaircissements.
Leur hypothèse de départ était que le tabagisme pourrait induire une réponse auto-immune vis-à-vis d'un antigène pulmonaire. L'immunité Th1 peut en effet être liée à des processus auto-immuns.
Les chercheurs ont examiné les cellules T CD4 + isolées dans le sang de 36 patients emphysémateux et de 27 sujets témoins. Après stimulation par les peptides élastine – mais pas en réponse au collagène ou à l'albumine –, les cellules T des emphysémateux libèrent les cytokines IFN-gamma et IL10 et prolifèrent ; l'ampleur de la réponse des cellules T à l'élastine est associée à la sévérité de la maladie.
En comparant le plasma de 39 sujets emphysémateux et de 30 sujets témoins, les chercheurs montrent également la présence plasmatique accrue d'anticorps antiélastine (mais non anticollagène) chez les emphysémateux.
L'analyse des cellules isolées du poumon (d'un emphysémateux et d'un témoin) a confirmé la présence de cellules B sécrétant des anticorps antiélastine dans le poumon emphysémateux.
On sait que l'auto-immunité est caractérisée par des réponses T et B dirigées contre des autoantigènes, mais aussi par l'absence de cellules T régulatrices.
Les chercheurs ont trouvé un taux réduit de cellules T régulatrices dans les poumons des patients emphysémateux (mais pas dans le sang).
Des fragments d'élastine présentés aux cellules T.
«Nous montrons qu'un sous-groupe spécialisé de cellulesT, isolées dans le sang et les poumons des fumeurs et ex-fumeurs, reconnaît comme étrangers des fragments élastine du poumon», explique au « Quotidien » le Dr Farrah Kheradmand (Baylor College of Medicine, à Houston), qui a codirigé ce travail.
«Nous avons aussi constaté que les individus qui présentent une plus forte reconnaissance vis-à-vis de l'antigène élastine ont un emphysème plus sévère. Nous montrons que, d'une façon semblable aux autres maladies auto-immunes, l'absence d'un sous-type particulier de cellulesT, nommé cellulesT régulatrices, est associée à la pneumopathie du fumeur. »
«Bien que nous n'ayons pas mis en évidence une relation de cause à effet, nous pensons que le tabagisme entraîne une maladie auto-immune médiée par les cellulesT qui peuvent détruire les organes riches en élastine.»
Les chercheurs proposent le modèle suivant : l'exposition à la fumée de cigarette induit la sécrétion d'enzymes protéolytiques par les cellules du système immunitaire inné (élastase par les neutrophiles et MMP9 et MMP12 par les macrophages) qui libèrent des fragments élastine du poumon.
Cette élastolyse de faible niveau serait insuffisante pour induire l'emphysème.
Cependant, chez les individus susceptibles, elle pourrait déclencher une immunité antiélastine médiée par les cellules T et B.
En effet, une exposition prolongée à la fumée de cigarette aboutirait à l'accumulation des fragments élastine, qui sont présentés par les cellules APC (Antigen-Presenting Cells) aux cellules T, qui peuvent à leur tour activer les cellules B dirigées contre l'élastine. L'absence de cellules T régulatrices dans le poumon entraînerait l'expansion des cellules Th1 antiélastine et leur libération de cytokines et chimiokines.
L'activation synergique de plusieurs enzymes élastolytiques, orchestrée par les cellules Th1 autoréactives, conduirait finalement à la destruction massive de l'élastine et à l'emphysème, même longtemps après que l'exposition au tabagisme a cessé.
Les artères et la peau.
«Ces résultats lient l'emphysème à un antigène spécifique du poumon (l'élastine), concluent les chercheurs, et suggèrent la possibilité d'une pathologie auto-immune dans d'autres tissus riches en élastine, comme les artères et la peau des fumeurs. » Cette découverte a donc des implications plus larges, car elle pourrait expliquer d'autres troubles associés au tabagisme, comme les rides prématurées de la peau (l'élastine est très abondante dans la peau) et la maladie cardio-vasculaire (les artères sont riches en élastine).
«Nous examinons actuellement le rôle du tabagisme dans d'autres organes riches en élastine (artères) afin de déterminer si la destruction de l'élastine peut être liée également à ce type d'inflammation auto-immune. Nous utilisons pour cela des modèles animaux», confie-t-il.
Pour le Dr Kheradmand, «il existe donc un solide composant de la pneumopathie du fumeur qui dépend de la susceptibilité de l'individu».
«Ces informations permettront de reconnaître plus tôt la maladie chez les fumeurs et, à un âge plus jeune, ce qui contribuera à la prévention et à l'arrêt du tabagisme.»
« Nature Medicine », Lee et coll., 22 avril 2007, DOI: 10.1038/nm1583.
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