«NOUS AVONS tous été émus par ce film et notre décision sur la palme a été unanime», a expliqué le président Wong Kar-wai. Couronner Ken Loach, qui aura 70 ans le 17 juin et une oeuvre très riche derrière lui, n’était pas d’une grande audace. Mas il est vrai que « le Vent se lève » (sortie en France le 8 novembre), qui évoque le combat des Irlandais contre les colonisateurs Britanniques dans les années 1920, a le souffle lyrique nécessaire pour emporter l’adhésion. Et c’est un film engagé mais beaucoup moins manichéen qu’on ne l’a dit. Ken Loach n’abandonne jamais le combat : «Nous espérons que “le Vent se lève” constitueun pas, un tout petit pas dans le face-à-face des Britanniques avec leur passé impérialiste», a-t-il dit en recevant la palme. Et d’ajouter : «Si nous osons dire la vérité sur le passé, peut-être oserons-nous dire aussi la vérité sur le présent.»
Engagé aussi, mais en se refusant tout lyrisme, Bruno Dumont, 48 ans, reçoit le Grand Prix du jury – récompense qu’il avait déjà obtenue avec « l’Humanité » – pour « Flandres » (sortie le 30 août), qui montre les horreurs d’une guerre d’aujourd’hui (Irak, mais on peut penser aussi à la guerre d’Algérie). Un film abstrait, brut, sans musique et quasiment sans dialogues qui demande beaucoup au spectateur (trop, en ce qui me concerne).
La guerre encore, avec « Indigènes », mais les soldats de l’armée d’Afrique qui ont participé à la libération de la France, sont beaucoup plus intéressants que ceux mis en scène par Dumont. Si le beau film de Rachid Bouchareb, que l’on pourra voir à partir du 27 septembre, a été jugé un peu académique dans sa forme, il ne manque pas de force. Le jury n’a pas manqué de le récompenser, via un prix d’interprétation partagé entre ses cinq acteurs principaux, Jamel Debbouze, Samy Nacéri, Sami Bouajila, Roschdy Zem et Bernard Blancan. Bouchareb, qui a en projet un sujet sur la guerre d’Algérie, en a profité pour rappeler que la France a toujours une dette portant sur les pensions dues aux anciens combattants venus d’Afrique.
L’humanité de « Volver ».
Wong Kar-wai et ses huit collègues ont été sensibles aussi, dans un tout autre genre, à l’humanité et à l’émotion de « Volver », qui était l’un des grands favoris pour la palme et connaît déjà un honnête succès en salle. Il a attribué à Pedro Almodovar un très mérité prix du scénario et l’a distingué au moins autant que ses actrices en donnant un prix d’interprétation féminine collectif (Penelope Cruz, Carmen Maura, Lola Duenas, Blanca Portillo, Yohana Cobo et Chus Lampreave).
En plaisantant, Wong Kar-wai a assuré qu’il était plus facile de faire un film qu’un palmarès ; on voit comment les difficultés ont été contournées.
Le jury a bien choisi en tout cas en attribuant son prix à « Red Road », premier film de la Britannique Andrea Arnold, histoire d’une femme dans un Glasgow violent et saturé de caméras de surveillance. Cela devrait faciliter sa diffusion en France et ailleurs.
On se félicitera aussi du prix de la Caméra d’or (premiers films, toutes sections confondues), qui est allé à l’unanimité du jury présidé par les frères Dardenne au film du Roumain Corneliu Porumboiu, « 12h08 à l’est de Bucarest », une comédie grinçante sur la mémoire de la révolution de 1989 présentée à la Quinzaine des réalisateurs.
Enfin, parmi les nombreux autres prix attribués à l’issue de ce festival, on notera avec amusement celui de l’Education nationale décerné à « Marie-Antoinette » «pour son intérêt cinématographique et pédagogique et ses qualités artistiques», qui peut s’enorgueillir d’être à l’origine d’un dvd-rom pour les lycéens français.
L’an prochain, le festival doit célébrer avec fastes son 60e anniversaire. On espère une sélection pleine d’autant de surprises que de bougies.
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