Bernard Ménétrel naît le 22 juin 1906 dans un milieu conservateur-patriote, farouchement antiparlementaire ; son père Louis est médecin dans les beaux quartiers. Parmi sa clientèle, l'ami de la famille, le héros de Verdun, Philippe Pétain, qui vient suivre de près les études du petit. Il lui recommande de travailler en histoire, mais de ne pas s'appesantir sur les frontières européennes « qui seront bientôt modifiées ».
Dans cette génération, un praticien sur cinq est fils de médecin. Bernard Ménétrel suivra donc l'exemple de son père. Après avoir réussi l'internat (jusqu'à sa mort, des rumeurs feront état de favoritisme) et tout en ne souhaitant pas devenir médecin des hôpitaux, il obtiendra un poste de chef de clinique en cardiologie auprès du Dr Edouard Donzelot, dans le tout nouvel hôpital Beaujon. A la mort de son père, il reprend le cabinet et la clientèle aisée de celui-ci, tout en poursuivant divers travaux de recherche (sur le carbone activé, par exemple).
Arrive la guerre. Au moment où Pétain engage la France dans la collaboration, il ajoute au rôle de médecin personnel du maréchal, 84 ans, le titre ambigu de secrétaire privé, et entre au cabinet en mai 1940. Dès lors enfle et se cristallise l'image de l'éminence grise. Le livre entreprend de voir si elle est fondée.
On a mille fois décrit l'atmosphère vichyste. Un mélange d'intrigues minables - Laval, Brinon, Darlan jouent leur petite carte - et d'irréalisme d'opérette. Derrière un vieillard gâtifiant se tiennent ceux qui pensent encore tenir tête aux Allemands, mais n'ont pas l'autorisation d'aller à Paris. Bernard Ménétrel s'insère à merveille dans cet ensemble de petites intrigues recuites : il hante l'Hôtel du Parc.
De fait, hostile aux Allemands avec plus d'inconscience que de mérite, antiroyaliste, anticollaborationniste - Rebatet l'écure -, indifférent aux déportations, Ménétrel est presque unique en son genre. Il est vichyste-maréchaliste, attaché à la personne du maréchal : près du corps.
L'examen de ses activités, grâce à ses visites personnelles, révèle pourtant un grand sens de l'intrigue : il fait tomber Laval, puis permet de le réinstaller. Il crée un vaste système de renseignements qui glane des informations dans la zone occupée dont le cabinet du maréchal est coupé. Préfectures, renseignements militaires, services postaux sont ainsi quadrillés. Lui-même multiplie les courriers de propagande, veille à la présence du maréchal sur tous les supports : livres, brochures, almanachs, albums à colorier... Détesté de tous, Ménétrel reste à l'abri grâce à son statut ambigu, il est à la fois public et privé, il en joue habilement lorsqu'il s'agit de se défausser. On le voit, par exemple, approuver un gouvernement « des praticiens de la race française », mais regretter de ne pouvoir y participer.
Un statut modeste?
Quand le vent tourne pour Vichy, Bernard Ménétrel est bien là : il est dans la chambre de Pétain quand les Allemands enfoncent sa porte le 20 août 1944, lui, le médecin qui suit son malade, et le suivra en captivité à Sigmaringen, avant d'être arrêté, transféré dans un camp en mai 1945. A son procès, qui se terminera par un non-lieu le 18 mars 1947, il insiste sur son statut modeste au sein du microcosme vichyste. Au-delà de cette ruse, on peut s'interroger sur une ligne directrice : Ménétrel a « collé » à Pétain, l'a suivi plus qu'il ne l'a manipulé, sur fond d'irréalisme absolu, il semble avoir toujours pensé que le maréchal contrait encore les Allemands.
Il y a quelque ironie dans le fait de s'interroger sur l'influence d'un personnage qui semble ne pas en avoir eu vraiment. Le regard de Bernard Ménétrel s'est arrêté à Pétain, son second père, l'objet de toute sa sollicitude médicale et plus. Lui, Ménétrel, déclare n'avoir jamais souhaité la victoire de l'Allemagne, n'avoir en rien adhéré au nazisme, avoir aidé des juifs, son antisémitisme n'étant que la vieille référence culturelle de sa caste. Da manière générale, il ne s'est mêlé de politique que parce qu'il était au service d'un homme qui représentait la France, ou, comme le résume l'auteur : « Les idées de Pétain étaient les siennes par imprégnation et par formation... Le maréchal était là, et il était, lui, à ses côtés. »
Le 31 mars 1947, la voiture du conspirateur au petit pied rencontre un platane à Mallemort (?) dans les Bouches-du-Rhône, un fait qui donnera de l'étoffe à la légende du type « l'homme qui en savait trop ». Ni Talleyrand ni Beria, Bernard Ménétrel fut au moins à moitié lucide lorsqu'il écrivait : « Le maréchal n'a autour de lui que de très honnêtes gens. Nous sommes peut-être idiots, mais nous resterons honnêtes. »**
« Le docteur Ménétrel. Eminence grise et confident du maréchal Pétain ». Ed. Perrin, 388 p., 22,70 euros.
* Auteur aussi du « Monde des médecins au XXe siècle » (1996) et spécialiste de Jean Moulin.
** Lettre au Pr Pierre Mauriac, Vichy, 30 juillet 1941.
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