DANS LA VIE d'Alain Deloche, trois « éléphants blancs » - entendez par là trois monstres sacrés égarés parmi les éléphants gris ordinaires - ont joué un rôle essentiel, inscrivant dans son destin des empreintes larges et profondes : un grand patron, un médecin inventeur de l'humanitaire et un missionnaire jésuite. Le patron, c'est le Pr Alain Carpentier. « Un génie », écrit-il. « Une sorte de scanner intelligent qui voit tout, comprend tout, enregistre tout. » Et « un vrai chercheur », pionnier du nouveau monde de la chirurgie cardiaque. Avec lui, Alain Deloche lance « l'anneau », cette technique qui va révolutionner les interventions sur la valve mitrale, en particulier chez l'enfant.
Les justes causes.
Un compagnonnage comme celui-là aurait logiquement dû conduire l'agrégé Deloche à un brillant statut de mandarinat parisien. Mais survint le deuxième éléphant blanc de sa vie, qui, sans le faire dévier de cette voie, lui en ouvrit, simultanément, une autre : Bernard Kouchner. Avec sa magie et son aura, il parvint à « substituer au silence imposé par le serment d'Hippocrate une sorte de serment d'hypercrate, serment de force suprême, où le médecin non seulement peut mais doit parler et révéler l'inimaginable ». Cet appel humanitaire va le mener tout d'abord au Biafra (sous la bannière de la Croix-Rouge). Médecins sans Frontières prit ensuite son envol et Alain Deloche sera de toutes les grandes campagnes, du Vietnam à l'Angola, du Liban à l'Erythrée, cofondateur du samu de la planète, don Quichotte des « justes causes », jusqu'au drame des boat people, à partir de 1977. Alain Deloche appareille sur « l'Ile-de-Lumière », le navire-hôpital qui croise en mer de Chine pour porter secours aux naufragés fuyant le nouveau régime communiste vietnamien. Prenait alors corps le grand projet kouchnerien autour des notions de droit et de devoir d'ingérence, à l'intérieur des drames qui ensanglantent la terre.
Dans la foulée, en 1980, c'est la fondation de Médecins du Monde, dont Alain Deloche assume la présidence pendant quatre ans (1984-1988). C'est à cette époque que survint le troisième éléphant blanc de l'histoire, en la personne de Pierre Ceyrac, rencontré dans un camp désolé du Cambodge. Le jésuite missionnaire au visage anguleux et au regard pénétrant va orienter Alain Deloche, au sens littéral : il lui fait découvrir avec enthousiasme « le mariage du judéo-christianisme et de l'univers indien. D'un côté, le faire et l'avoir judéo-chrétien ; de l'autre, l'être et l'amour asiatique : "Tu sèmes dans l'univers", c'est la philosophie indienne. Dans le même temps, il faut bâtir, il faut faire à l'occidental ».
Collectif.
Ainsi s'ouvre l'Asie à celui qui cumule la direction d'un grand service hospitalier parisien et celle d'une ONG humanitaire. La suite, l'apothéose (sans préjuger des épisodes encore à écrire), ce sera, à partir de 1995, ce collectif de chirurgiens français mobilisés au sein de la Chaîne de l'espoir pour opérer en France des enfants condamnés dans leur pays d'origine. Alain Deloche mobilise toutes les énergies, toutes les générosités, toutes les compétences pour servir sa cause. Quelque 160 médecins, chirurgiens et infirmiers, 200 familles d'accueil, toutes bénévoles, et plus de 180 000 donateurs composent autant de maillons.
« La Chaîne accueille en France une moyenne de deux enfants chaque semaine, précise le Pr Deloche. Le choc des cultures, l'état moral et physique de l'enfant constituent autant d'obstacles à la réussite d'un programme de soins. Un soutien psychologique, un réconfort et une cellule familiale permettent alors de rendre le séjour moins difficile. »
L'association forme également des médecins dans des pays défavorisés et elle finance des structures chirurgicales, notamment en Asie, avec depuis deux ans un centre cardio-vasculaire à Phnom Penh et en Afrique, avec un établissement ouvert à Dakar (Sénégal). Un hôpital de la mère et de l'enfant a été construit à Kaboul et des programmes de parrainage ont été lancés au Togo et au Cambodge pour donner une formation professionnelle aux enfants des rues.
Là-bas comme à Paris, les médecins de l'ONG partagent « le même credo, le refus de la détresse des plus faibles, du destin tout tracé de ceux qui n'ont pas eu la chance de naître dans un pays où l'accès aux soins et à l'éducation est assuré pour tous ».
Entre deux virées au long cours, l'éléphant blanc Deloche réintègre son hôpital du IIIe millénaire, comme il dit, Georges-Pompidou, où, depuis la fermeture de Broussais (devenu cimetière des éléphants), il dirige toujours le pôle de chirurgie cardio-vasculaire. Sans relâche, lui et ses compagnons, écrit Pierre Ceyrac, « repoussent les limites de leur destin pour rendre à d'autres, près de chez eux ou aux antipodes, non seulement leur santé, mais leur dignité et leur confiance en l'avenir [...] L'humanitaire évolue (grâce à lui) vers une certaine vision de l'humanité, sans laquelle l'équilibre du monde serait à jamais compromis, et l'âme de l'Occident, perdue ».
« Comme un éléphant blanc, agir à coeur ouvert... », éditions Michel Lafon, 440 pages, 20 euros.
La Chaîne de l'espoir, 96, rue Didot, 75014 Paris, CCP 3703700 B La Source, chainedelespoir.org.
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