LE PETIT Mohamed est hospitalisé pour quelques jours encore dans l’unité pédiatrique de l’hôpital Mencheyat el-Bakri du Caire. Ce petit garçon de 5 ans, qui joue aux Lego, est l’objet de toutes les attentions : sa mère, accoutrée d’un masque FFP2, de gants et d’une surblouse, veille sur lui ; des médecins se relaient pour l’ausculter et, dimanche 18 février, le ministre français de la Santé, Xavier Bertrand, et son homologue égyptien Hatem el-Gabaly, se sont rendus à son chevet. Il faut dire que, depuis le début de l’hiver, sur les 8 Egyptiens soignés pour grippe aviaire, il est le seul à avoir survécu. Le 16 février, une femme de 37 ans infectée par le virus H5N1, et qui était hospitalisée au Caire, est décédée, portant à treize le nombre de victimes égyptiennes depuis onze mois. En dehors des pays d’Asie du Sud-Est, l’Egypte est actuellement le pays le plus touché par la maladie.
Le bon réflexe de la mère.
Le jeune Mohamed a été conduit par sa mère à l’hôpital local le 14 février en raison de l’apparition d’une fièvre et d’un tableau d’infection respiratoire haute moins de vingt-quatre heures après qu’elle l’eut surpris à jouer avec une volaille morte. Depuis un mois environ, une campagne d’affichage a sensibilisé les mères au lien possible entre les infections respiratoires et le décès des poulets de basse-cour. La mère du jeune garçon a eu le bon réflexe : consulter rapidement et mentionner l’existence d’un contact avec de la volaille. Le Pr Adel Khattab, pneumologue et conseiller du ministre de la Santé pour la grippe aviaire, raconte au « Quotidien » : «Le 14février, bien que l’état clinique n’ait pas été alarmant (toux, fièvre, mais absence de dyspnée) , que la radiographie se soit révélée dans les limites de la normale et que le bilan biologique n’ait pas retrouvé d’anomalies, un test diagnostique par prélèvement naso-pharyngé a été effectué, et l’enfant a immédiatement reçu de l’oseltamivir. Il a été ensuite transféré sous oxygénothérapie simple au service pédiatrique de référence, l’hôpital Mencheyat el-Bakri du Caire. Outre le traitement antiviral, l’enfant a reçu de la ceftriaxone et de la clarithromycine. Le 16février, il ne présentait pas de neutropénie (5 300 GB) ni de thrombopénie (186 000 plaquettes) . Son bilan hépatique était normal (TGP : 10 ; TGP : 22) et sa radiographie pulmonaire retrouvait une surcharge périhilaire avec une infiltration modérée des deux plages pulmonaires. En moins de quarante-huit heures, sous traitement, la radiographie est revenue à l’état de base et le bilan est resté dans les limites de la normale (3 800 GB et 226 000 plaquettes) . L’enfant va être hospitalisé encore quelques jours. L’ensemble de ses proches a reçu un traitement prophylactique et des prélèvements virologiques ont été effectués, ils se sont tous révélés négatifs.»
Mutation génétique.
La question d’une éventuelle résistance du virus à l’oseltamivir s’est rapidement posée puisque, entre le mois de décembre 2006 et la mi-février 2007, 8 personnes – traitées selon les schémas recommandés par l’OMS – sont décédées des suites d’une infection par le virus H5N1. Chez deux de ces malades, qui vivaient dans la région de Fayon, les laboratoires égyptiens ainsi que ceux de l’OMS et du CDC ont détecté une mutation sur le gène de la neuraminidase. «Cette mutation avait déjà été identifiée une première fois en 2005 au Vietnam. Mais rien ne permet actuellement d’affirmer que son existence induit une résistance partielle ou totale à l’oseltamivir, ni de suspecter qu’elle pourrait être à l’origine d’une modification de la transmissibilité interhumaine», analyse pour « le Quotidien » le Dr Hassan el-Bushra, responsable du bureau régional de l’Est méditerranéen pour l’OMS. Pour les deux experts français qui accompagnaient la mission, les Prs François Bricaire et Jean-Philippe Derenne, «il convient désormais de vérifier la sensibilité des souches au traitement in vitro et, en cas de résistance, de tester l’efficacité éventuelle de l’oseltamivir à doses majorées. La piste de l’association de différents antiviraux doit aussi être explorée et on ne peut exclure que l’amantadine pourrait trouver une place dans ce contexte».
Indemniser l’abattage.
«Mais, plus qu’une résistance à l’oseltamivir qui semble très peu probable, les cas survenus au cours des derniers mois soulèvent la question du retard à l’accès au traitement. Si l’on peut se féliciter que le jeune Mohamed ait bénéficié d’une prise en charge quasi immédiate, il faut reconnaître que tous les autres malades se sont présentés tardivement à l’hôpital et qu’ils n’ont pas signalé dans un premier temps leur contact avec des volailles malades», explique le Pr Khattab.
En Egypte, 4,5 millions de familles élèvent des volailles dans leur cour, sur leur balcon ou sur leur toit pour leur consommation personnelle, ce qui signifie qu’environ un quart de la population (75 millions d’habitants) a chaque jour des contacts proches avec des poulets. Dans ce pays qui compte 1 milliard de volailles et où, chaque jour, 2 millions de poulets sont consommés, cette viande est vitale puisqu’elle représente 45 % des apports en protéines de la population.
Pour le Dr El Bushra, «pour une famille, déclarer la maladie animale aux autorités sanitaires correspond à se priver –voire à priver ses voisins et son village– en protéines pour quelques semaines puisque les abattages de volailles malades ne sont pas indemnisés. C’est pour cette raison que les adultes malades tentent de cacher leur éventuel contact avec des volailles mortes. Mais, heureusement, les campagnes d’information menées auprès des mères de familles semblent assez efficaces». On se rappelle que, au début de 2006, des spots télévisés qui montraient une mère parlant du décès de son enfant avaient permis d’alerter efficacement la population.
Le Dr Talib Ali Elam, de la FAO, a expliqué que «les seules indemnisations actuellement prévues concernent les élevages industriels et le réseau de surveillance vétérinaire n’effectue pas de prélèvements chez les particuliers. La surveillance existe puisque, depuis le début de 2007, 24737tests ont été effectués, que 168 d’entre eux sont revenus positifs et que 5millions de vaccinations ont été effectuées entre mars 2006 et février 2007. Mais il convient maintenant de mettre en place un système de compensation qui incite les familles à déclarer les décès survenant dans leur basse-cour. Dans les semaines qui viennent, une mesure d’échange des volailles mortes contre des poussins de 1jour vaccinés et du grain pour 40jours de croissance sera testée dans certaines régions du pays».
«Avec l’intensifications des campagnes d’information et la mise en place d’un Numéro Vert qui a déjà reçu plus de 315000appels, cette mesure devrait inciter les plus pauvres parmi les plus pauvres, les personnes les plus à risque d’infection, à consulter plus rapidement et d’une façon globale l’Egypte à lutter plus efficacement contre la maladie», conclut le Pr Khattab.
Limiter la pression de sélection
Le 18 février 2007, si seulement 22 cas avaient été confirmés, 2 365 personnes avaient, depuis le début de l’épizootie dans ce pays, bénéficié d’un traitement par oseltamivir. «Il s’agissait de cas suspects (1991 en 2006, 207 en janvier 2007 et 147 en février) chez qui, par manque de moyens, un test sérologique a été effectué moins d’une fois sur trois, mais qui ont été traités en suivant les recommandations de l’OMS», explique le Pr Khattab. Pour les experts infectiologues français, «ce type d’utilisation des antiviraux peut créer une pression de sélection et contribuer à l’émergence de résistances aux médicaments actuellement disponibles. Dans ces conditions, il est impératif de mettre à la disposition des hôpitaux locaux des tests de diagnostic rapide qui pourraient permettre de faire localement un premier tri des cas suspects».
La France veut aider l’Égypte
Le ministre français de la Santé, Xavier Bertrand, a affirmé que la France aiderait davantage l’Egypte à lutter contre la grippe aviaire. Il a annoncé que la coopération avec les autorités égyptiennes allait s’étendre notamment pour la production de vaccins, en collaboration avec l’Institut Pasteur, et la fourniture de masques de protection de type FFP2. «C’est un problème sérieux, et l’Egypte le traite dans la transparence», a analysé le ministre. Un échange d’experts entre les deux pays est envisagé dans les prochaines semaines, notamment pour la création d’un centre de gestion de crise sanitaire. Xavier Bertrand a aussi souligné que «l’ensemble des organisations internationales devrait se mobiliser encore davantage sur le continent africain, y compris en Egypte, et pas seulement être mobilisé sur le continent asiatique».
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