Dans la préparation de la riposte des Etats-Unis aux attentats du 11 septembre, deux grandes questions se dégagent : la moralité et l'efficacité d'une offensive militaire.
Disons-le sans ambages : en dehors du territoire américain, on n'a pas versé beaucoup de larmes sur les victimes, après le premier choc causé par l'horreur indicible de l'acte. On a immédiatement plongé dans une série de débats induits par la tragédie.
L'un de ces débats concernait le danger que présente la confusion, toujours possible, entre le terrorisme et l'islam. C'est à juste titre que les dirigeants musulmans des Etats-Unis ont demandé et obtenu de George W. Bush qu'il mette en garde ses concitoyens contre l'amalgame. Le président des Etats-Unis a multiplié les gages aux communautés musulmanes, d'abord en tentant de rassurer celle des Etats-Unis, ensuite en promettant de ne pas envoyer l'armée américaine contre un Etat arabe, promesse qu'il n'a faite que récemment, après avoir écarté l'idée de certains de ses conseillers d'attaquer l'Irak.
Cent pour cent de chances
Pour la majorité des Américains, traditionnellement respectueux de toutes les confessions, il n'a jamais été question de confondre un musulman avec un terroriste. Cette attitude a été adoptée partout dans le monde occidental, en dehors de quelques cas, relativement rares, de dérapage. En tout cas, aucun discours officiel, ni en Europe ni aux Etats-Unis, n'a donné lieu à un soupçon d'intolérance.
De toute façon, la question n'est même plus, pour les Américains, de se venger ou d'exercer des représailles. Elle est d'éviter de nouveaux attentats, alors même que leurs services de renseignements affirment qu'il y a « cent pour cent de chances » que de tels actes se reproduisent. Certes, le gouvernement des Etats-Unis serait heureux de mettre la main sur Ossama ben Laden et de le faire passer en justice. Mais il s'agit là d'un objectif secondaire ; la première des priorités, c'est de rendre les Américains et d'autres peuples à la vie civile, de faire en sorte que personne ne soit terrorisé à l'idée d'embarquer dans un avion ou de prendre un ascenseur.
La lutte contre le terrorisme implique la coopération avec les pays d'où les terroristes viennent le plus souvent. Elle implique la mise hors d'état de nuire non seulement de Ben Laden, mais de tous les réseaux qui préparent de nouveaux attentats.
Or, jusqu'à présent, les pays arabes ont été plus soucieux de demander modération et prudence à l'Amérique que de pourchasser les terroristes. Alors que les Etats-Unis venaient de subir un traumatisme sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, ils leur ont réclamé des gages politiques, notamment un engagement de Washington en faveur des Palestiniens.
M. Bush a promis de ne pas attaquer Bagdad, a mentionné la création d'un Etat palestinien et, loin de compter ses ennemis, a mis en œuvre une approche diplomatique en vertu de laquelle il devait considérer tout Etat arabe ou musulman comme un allié potentiel, susceptible de l'aider à lutter contre les réseaux terroristes.
Si les taliban avaient voulu...
Dans un moment où le peuple américain panse encore ses plaies, le président américain a donc fait preuve d'une modération extrême. Si les taliban avaient consenti à lui remettre Ben Laden, il ne songerait même plus à envahir l'Afghanistan. Avec une obstination qui en dit long sur leur sens politique, ils n'ont même pas été capables d'éviter ce nouveau malheur aux Afghans déjà accablés de tous les maux possibles et imaginables.
Mais même une attaque contre l'Afghanistan est jugée par les associations humanitaires comme une faute morale d'une gravité insigne. Il est vrai que le peuple afghan n'est coupable d'aucun crime. Mais comment combattre les mollahs autrement que par la force ? Pourtant, M. Bush a été sensible aux objurgations humanitaires et annoncé qu'il dégageait un budget de plus de 300 millions de dollars pour venir en aide aux Afghans une fois que Kaboul aura été débarrassée des taliban.
Il demeure que, aux yeux de l'Américain moyen qui aura suivi un tant soit peu l'incroyable ballet diplomatique qui dure depuis quatre semaines, c'est aux victimes qu'on demande d'être généreuses ; ce sont les pays arabes, par exemple l'Arabie saoudite, qui finance de par le monde les écoles où est enseigné l'intégrisme, qui s'estiment lésés par le projet américain de représailles ; et c'est enfin à l'Amérique, où les attentats ont fait six mille victimes, que l'on demande des comptes avant même qu'elle n'ait lancé son offensive. Cette surprenante logique, soutenue par une bonne partie de l'intelligentsia française, a désigné le coupable : ce n'est pas l'agresseur, c'est l'agressé.
Pourquoi ? Parce que nous, les Occidentaux, sommes coupables de n'avoir jamais « compris » les raisons géopolitiques qui ont conduit des hommes désespérés à choisir de tuer et de mourir ; nous sommes coupables d'avoir été indifférents au sort des pays en développement, d'avoir été ignorants de la culture musulmane, et même d'avoir tenté de leur imposer une culture matérialiste et dissolue.
En réalité, si on peut reprocher à la France et à la Grande-Bretagne leur époque coloniale, on ne peut pas blâmer les Etats-Unis pour un comportement qu'ils n'ont jamais eu, ni dans le monde arabe ni en Afrique. La première grande querelle entre Roosevelt et Churchill date de 1945 : les Etats-Unis ont exigé et obtenu de la Grande-Bretagne qu'elle dissolve son empire, transformé aussitôt en Commonwealth. S'ils ont coopéré avec des Etats pour le creusement des puits de pétrole et la commercialisation de l'or noir, ils n'ont fait que les enrichir. Quand les mêmes Etats ont nationalisé leur industrie pétrolière et quadruplé les prix, les Américains ont payé rubis sur l'ongle. Quand l'Irak a envahi le Koweit, c'est l'Arabie saoudite, dont un bon nombre de nationaux sont des terroristes connus et repertoriés, qui a appelé l'Amérique à la rescousse.
Bien entendu, l'histoire des Etats-Unis est jalonné de guerres (celle du Vietnam, par exemple) et même de crimes (l'esclavage ou le sort réservé aux Indiens). On peut en dire autant de la plupart des puissances grandes ou moyennes. Ils ont eu le Vietnam, nous avons eu et l'Indochine et l'Algérie. Mais les Etats-Unis n'ont jamais combattu le monde arabe. Ils ont accueilli sur leur territoire environ six millions de musulmans qui forment une communauté active et dynamique.
M. Bush n'était donc contraint d'accorder aucun des gages que lui a réclamés le monde arabo-musulman. Et s'il l'a fait, ce n'est pas par faiblesse, c'est parce que ses services de renseignements et de sécurité sont très peu performants dans une région du monde qu'ils ont mal inflitrée, dont ses agents ne connaissent pas les langues et parce qu'il a appliqué le principe des Anglais qui consiste à faire un allié d'un ennemi qu'on ne peut vaincre.
Le plus étrange, c'est que la plupart des intellectuels arabes qui se sont prononcés dans les journaux à propos des attentats ont dénoncé la culpabilité américaine et occidentale, après avoir dit d'un mot un peu court leur compassion pour les victimes. Rares ont été ceux qui se sont dressés sans réserves, sans refaire l'histoire, sans conditions, contre des actes pourtant ignobles au sens universel, absolu, définitif du mot.
Ceux qui, mulsulmans ou non, arabes ou non, intellectuels ou non, de droite ou de gauche, ont trouvé une « explication » à ces actes, et surtout la pire des explications, c'est-à-dire la faute des Etats-Unis, donc une justification, ceux-là ne font qu'encourager une conspiration qui n'a qu'un objectif : détruire. Il ne s'agit ni de blanchir l'Amérique de ses excès et de ses erreurs, passées, présentes ou à venir ; il ne s'agit pas davantage de préférer la guerre à la paix. Il s'agit simplement de contrecarrer une menace qui n'a pas du tout disparu.
Surtout, ne faites rien
Contrairement à ce que, il y a moins d'un mois, on disait de lui, George W. Bush a fait preuve d'une patience exceptionnelle. Il a pris son temps parce qu'il a compris que la seule épée de Damoclès suspendue sur la tête des taliban les déstabilisait et amorçait leur défaite. C'est une subtilité tactique dont on ne l'aurait pas cru capable. Mais quand il a exigé la peau de Ben Laden « mort ou vif », quand il a eu ce mot malheureux de « croisade », il a eu droit aux quolibets du monde entier et à de sévères remontrances arabes. Tout a été dit, organisé, accompli par des médias, des peuples, des Etats pour que, en définitive, les Américains ne fassent rien. Tout a été fait pour que les victimes - parmi lesquelles plusieurs centaines de musulmans - meurent une seconde fois. Alors qu'il suffisait d'accorder à cette nation avec laquelle nous avons contracté quelques dettes une solidarité sans nuances. Alors qu'il suffisait de dire non à une violence aveugle, à une culture de mort, au néant absolu du crime et du suicide cumulés.
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