L'effet psychosomatique a un statut paradoxal. Parfaitement admis, ne serait-ce que dans le recours au placebo dans les essais, souvent suspecté dans l'évolution d'une affection, il ne fait l'objet que de rares études, encore plus rarement d'études contrôlées dans les règles de l'art.
Dès que l'on sort du cas individuel où l'on peut suspecter quelque chose, pour entrer dans l'étude de population, il faut trouver un groupe éprouvé de manière grosso modo homogène par un même stress, auquel échappe parallèlement un autre groupe, retenu comme contrôle. Pas question, par exemple, de se pencher sur les conséquences d'une catastrophe naturelle, qui loge tout le monde à la même enseigne.
Une équipe américaine a imaginé une base de départ intéressante : les sombres effets que les populations chinoise et japonaise attribuent au chiffre 4. En japonais et en chinois, le mot quatre et le mot mort se prononcent pratiquement de la même façon. Et le chiffre est, autant que faire se peut, évité ; depuis les hôpitaux japonais ou chinois, qui, pour beaucoup, ne comportent pas de quatrième étage, jusqu'à l'armée chinoise (continentale), qui exclut le chiffre 4 des immatriculations de ses appareils de chasse. Pour confirmer cette défiance, les auteurs ont procédé à un petit sondage téléphonique, au sens propre, en relevant les numéros de téléphone de restaurants chinois ou japonais d'une part, américains d'autre part, en Californie, où les nouveaux abonnés peuvent choisir les quatre derniers chiffres de leur numéro. Là où l'on attendait 475 fois le chiffre 4, on ne le trouve que 366 fois dans les restaurants asiatiques, biais qui n'existe pas pour les restaurants américains.
Passés ces préliminaires, les certificats de décès de 209 000 Japonais ou Chinois, installés aux Etats-Unis et de plus de 47 millions « d'Américains de souche », enregistrés entre 1973 et 1998, ont été analysés. Résultat, le 4e jour du mois, on observe effectivement un pic de mortalité cardiaque dans les populations japonaise et chinoise, pic essentiellement lié aux patients atteints d'affections cardiaques chroniques (1,13). On note que ce pic est encore plus élevé pour les patients hospitalisés lors de leur décès (1,45), ainsi que pour les populations résidant en Californie, où les communautés chinoise et japonaise sont les plus nombreuses. L'isolement temporaire, à l'hôpital, vis-à-vis de la communauté, ne semble donc pas diminuer le stress. En revanche, une immersion permanente dans une communauté nombreuse le renforce. L'effet d'amplification par l'environnement paraît donc bien réel, mais semble moins un effet immédiat qu'un effet de milieu.
Maintenant, qu'est-ce qu'ont observé, au juste, les Américains ? D'abord, la mortalité. Si une légère tendance se dessine en faveur d'une surmortalité toutes causes confondues, et d'origine cardiaque, en l'absence d'affection chronique, le pic observé est essentiellement lié aux affections cardiaques chroniques.
L'intuition du romancier-médecin
Ensuite, les causes. Le stress était l'hypothèse de départ. Mais après élimination des autres causes envisageables, telles que le changement dans l'alimentation, la consommation d'alcool, la prise des médicaments, ou la charge de travail au jour fatidique, force est de constater que le stress reste l'hypothèse la plus vraisemblable à l'arrivée. Le pic retrouvé pour la population décédée à l'hôpital, alors que l'alimentation, la prise des médicaments, etc., sont a priori peu sujettes à variation le 4 de chaque mois, va d'ailleurs dans ce sens. Voilà donc isolées une manifestation et sa cause, autant dire une nouvelle affection, que les auteurs baptisent « effet Baskerville », en référence au personnage que Conan Doyle, lui-même médecin, avait décrit comme porteur d'une affection cardiaque chronique et qui meurt sous l'effet d'un stress extrême, poursuivi par un chien monstrueux et prétendument surnaturel.
On verra si « l'effet Baskerville » fera recette sous ce nom. Quoi qu'il en soit, les auteurs rendent hommage à l'intuition du romancier-médecin britannique, mais restent prudents sur la question des décès d'origine psychosomatique. Il est vrai que l'on n'observe rien chez les Occidentaux au 13e jour du mois. Mais il est vrai aussi que le mot treize n'évoque rien d'autre que le chiffre dans les langues européennes, contrairement à quatre pour les Japonais et les Chinois. Or, si l'on avance sur le terrain du psychisme, il faut admettre la consonance comme élément majeur. Le débat reste ouvert. Mais les Américains semblent bien avoir observé un phénomène réel, difficile à expliquer sans recours au psychisme.
D. P. Phillips et coll., « British Medical Journal », vol. 323, 22-29 décembre 2001.
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