La santé en librairie
L'histoire pourrait commencer par une « passion », avec tout ce que ce terme comporte d'enviable et d'inquiétant. La parole serait alors à Laurence Gavarini, sociologue, co-auteur avec Jacques Testard du « Magasin des enfants », et avec Françoise Petitot de « la Fabrique de l'enfant maltraité ». L'auteur réunit dans un même livre et dans un même souci l'enfant désiré, précieux et attachant, rare, surinvesti, éventuellement procréé médicalement, et l'enfant menacé de souffrance, d'abus, de martyre, l'enfant comme « espèce en danger ». Ce faisant, elle parle évidemment aussi des parents qui désirent souvent passionnément cet enfant et de l'environnement social et culturel qui développe cette passion de l'enfant.
La conclusion de la sociologue est pleine d'espoir : à son sens en effet, l'humain devrait pouvoir se sortir du risque de confusion né des transformations juridico-biologiques en cours, et s'en sortir imparfait comme toujours, « marqué par le manque, donc le désir », ce qui est manifestement pour l'auteur une bonne nouvelle.
Le manque et le désir pourraient constituer une suite à l'histoire, passionnante certes pour le psychanalyste Jean Reboul, par ailleurs également gynécologue, mais aussi pour la philosophe et journaliste scientifique Nina Cacault. Le premier, après bien des années d'accompagnement de couples infertiles, après plusieurs films consacrés à ces derniers et deux éditions d'un livre intitulé « l'Impossible Enfant », n'a pas vraiment changé de point de vue : s'il ne néglige ni ne rejette les progrès de la procréation médicale assistée, il lui semble tout aussi important, voire davantage encore qu'hier, de laisser « un espace d'expression du désir » car « il n'y a pas d'enfant sans parole ». Autrement dit, son expérience, riche d'infertilités spontanément résolutives, lui dit que le médecin ne doit pas se précipiter d'emblée sur ses nouvelles capacités à faire venir l'enfant demandé, mais laisser sa juste place au manque et respecter le temps nécessaire à l'émergence du désir des parents.
La philosophe, elle, fait intervenir « un troisième désir », celui que le ftus peut avoir de naître. Les psychanalystes d'enfants, Françoise Dolto en tête, ont révélé à Nina Cacault toutes les richesses de la vie psychique ftale, et les praticiens de l'haptonomie, « science de l'affectivité » dédiée en premier lieu aux relations précoces entre enfant et parents, lui ont appris la richesse des échanges possibles. Le ftus, être humain à part entière, donc lui aussi « être de parole », mérite qu'on lui parle et qu'on l'écoute.
Vie intérieure
Désormais muni d'un désir et d'une vie psychique, le ftus prend décidément une consistance nouvelle et affirme sa présence dans l'histoire en cours. Jean-Marie Delassus, chef de service de maternologie, le dote même de « génie ». S'il est sans existence juridique officielle, le ftus n'en est pas moins être sensible pourvu d'une mémoire et d'une certaine autonomie, « genèse » de l'homme qu'il deviendra. On est bien loin, avec ce nouveau ftus à la vie intérieure longuement analysée, de l' « état biologique » auquel on le résumait volontiers.
Que « le ftus soit un sujet philosophique » ne contrarierait sans doute pas Marie-Josèphe Wolff-Quenot. Son statut d'embryologiste ne l'a en effet pas menée à se satisfaire d'une simple description, fût-elle riche et passionnante, du développement organique de l'embryon, puis du ftus. Elle en rapproche en effet les différentes images que ce développement a suscitées chez d'autres hommes, en d'autres lieux, en d'autres temps. D'intestin grêle naissant en mandala, d'oreille en intelligence cosmique, de voûte crânienne en voûte céleste, l'auteur, mené par l'embryon, guide son lecteur dans un univers qui n'a guère de limites.
Le glissement de ce ftus de génie à « l'attente sacrée » du bébé se fait dès lors aisément, même si le propos de Martine Texier, professeur de yoga, tend vers une réduction certaine de l'univers materno-ftal. On retrouve chez elle en effet des accents plus attendus autour du « vécu intime » de la femme enceinte, dont le yoga doit faire « un voyage de vrai bonheur, couronné par une naissance harmonieuse et réussie », selon les termes choisis par l'éditeur.
Une naissance harmonieuse et réussie, telle que l'évoque par exemple l'album de photos de Sarah Ney, accompagné d'un texte de Louise Lambrichs. Doublé d'une exposition de photos (galerie Claude Perrain, 1, rue du 29-Juillet, jusqu'au 30 novembre), le livre ne montre pas que paix et sérénité, mais l'atmosphère générale est plutôt à la coopération active des papas et au recueillement. « Naître... et naître encore », comme la plupart des ouvrages cités, aussi divers soient-ils, témoigne de l'émerveillement qui subsiste, quelles que soient les révolutions, devant l'étonnante aventure de l'avant-naissance et de la naissance.
« La Passion de l'enfant », Laurence Gavarini, Denoël Médiations, 417 pages, 145 F (22,11 euros).
« L'Impossible Enfant », Jean Reboul, Desclée de Brouwer, 189 pages, 20,50 euros (134,47 F).
« Comment le désir de naître vient au ftus », Nina Cacault, Desclée de Brouwer, 172 pages, 15 euros (98,39 F). (21,04 euros).
« In utero », Marie-Josèphe Wolff-Quenot, Masson, 240 pages, 149 F 22,72 euros).
« L'attente sacrée », Martine Texier, Le Souffle d'or, 253 pages, 90 F.
« Naître... et naître encore », sur des photos de Sarah Ney, un texte de Louise Lambrichs, Albin Michel, coll. « la Cause des bébés », 110 pages, 129 F (19,67 euros).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature