La santé en librairie
Ce que nous apprennent les mandrills et les manchots
« A quoi ça sert » d'aller parler avec des manchots sous moins 50 °C ou d'affronter la jungle étouffante à la poursuite de singes mandrills ? Les réponses de Pierre Jouventin, éthologue de son état, ne satisferont pas forcément tous les économistes et tous les gestionnaires, mais elles ont toute chance de plaire à un grand nombre de lecteurs, du moment qu'ils ont le moindre goût pour l'aventure, l'humour, de nouveaux savoirs ou tout simplement la vie.
Pierre Jouventin a bien passé çà ou là, quelques mois, voire quelques années dans un laboratoire de chercheur plus ou moins classique. Il a même créé à Chizé, dans les Deux-Sèvres, un laboratoire dont il est resté directeur pendant dix ans. Mais dans ses « Confessions d'un primate », il nous parle surtout de ses « huit années... en une vingtaine de missions sur des îles désertes ou au fin fond de la forêt équatoriale ».
Ayant préféré dire « l'anecdotique », « parfois plus révélateur », plutôt que le scientifique réservé aux publications ad hoc, il nous raconte par exemple comment lui est venue son admiration pour le (petit) cerveau des manchots : il ne les a plus trouvés si « bêtes », après avoir failli se faire dévorer par un léopard de mer pour n'avoir pas suivi la stratégie prudente de ces drôles d'oiseaux. De même, qui croyez-vous qui l'emporta, d'un jeune singe mandrill décidé à affirmer sa dominance ou de l' homo sapiens éthologue vexé de s'être fait mordre le nez par le premier ? Ce fut le singe mandrill, qui réussit à faire savoir au vétérinaire quelle basse vengeance avait exercée sur lui Pierre Jouventin en terrifiant le singe avec un serpent mort.
Lieux de l'extrême
Avec de telles histoires, l'auteur nous amuse, certes. Il nous fait aussi découvrir ces lieux de l'extrême, telles les îles Kerguelen où les chercheurs sont bloqués pour une année, ou l'île de rêve de l'auteur, Europa, ou encore la forêt équatoriale que connaissaient si bien les Pygmées... Surtout, il nous émerveille avec les formes de vie de ces régions de l'extrême, et en particulier ces manchots des régions antarctiques, qu'il ne faut pas confondre avec les pingouins de l'hémisphère Nord : la distinction n'est pas seulement géographique, car les uns sont des plongeurs hors pair, mais ne volent pas, les autres sont moins bons plongeurs et meilleurs volants. On voit les pères couver l'uf entre leurs pattes, puis nourrir le petit pendant que leur compagne court les mers, les individus se serrer les uns contre les autres pour résister à des températures et à des vents qui semblent exclure toute possibilité de survie. On entend les chants confondus de ces milliers d'oiseaux en troupeaux, dont chacun sait reconnaître la voix de son parent et la voix de son petit. Et on ne peut que sourire du succès de l'éthologue auprès de la gent manchote femelle avec laquelle il sait désormais converser.
Les mandrills ne sont pas moins intéressants, tant dans leur forêt natale, où leur organisation sociale répond à la « pénurie chronique par des déplacements incessants et par un opportunisme alimentaire », que dans une animalerie d'occasion à Marseille, où ils savent saisir avec art tout l'espace et toute la liberté qu'on leur laisse, volontairement ou non. Pour inattendue qu'elle ait été dans l'histoire du chercheur, la découverte des Pygmées et de leur fantastique connaissance de leur forêt et de ses habitants n'en est pas moins passionnante et n'en donne pas moins matière à réflexion.
Car l'auteur s'est donné pour objectif d'amuser, d'informer, mais aussi de « donner à réfléchir ». Les occasions ne manquent pas, mais se trouvent peut-être en plus grande concentration encore dans une troisième partie, qui fait succéder les « sagouins » aux manchots et aux mandrills. L'auteur fait ici référence, non point à l'espèce de singes d'Amérique du Sud du même nom, mais aux « hommes exploitant malproprement leurs ressources naturelles ». La fréquentation des uns et des autres mène aisément à la conclusion selon laquelle l'homme fait partie intégrante du monde animal. A ce titre, mieux connaître l'animal est aussi un moyen de mieux connaître l'homme, les spécificités de l'un n'étant pas toutes des infériorités par rapport à l'autre. De la constatation de la « continuité de la vie » découlent aussi des implications théoriques, à la gloire de Darwin et du travail de biologiste de E. O. Wilson, mais aussi plus philosophiques, concernant en particulier le respect que tout être vivant doit à ses semblables et à la planète sur laquelle il vit.
« Les Confessions d'un primate », Pierre Jouventin, Belin/Pour la Science, 192 pages, 14,94 euros (98 F).
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