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L'ESPÉRANCE de vie a doublé en un siècle dans les pays riches. Le corps, jusque-là produit de la nature, devient celui de l'industrie humaine et entre ainsi dans le domaine du droit, de l'entreprise et du marché. De la procréation à la mort, tout a changé ; pour une partie du monde au moins. L'inégalité entre les hommes a un sens radicalement nouveau : celle d'une présence différente de la nature dans la façon de naître, de grandir et de mourir.
La médecine n'est plus seulement là pour guérir mais aussi pour refaire et transformer, perfectionner, arrêter le temps qui passe. Chacun est convié à la fabrication de soi à travers le sport, l'alimentation, la médecine, la chirurgie. La presse féminine a fait de ce projet une injonction à travers la consommation de parures, de cosmétiques ou de soins plus invasifs du corps ; la presse masculine s'y est mise aussi pour faire de la prise de propriété de soi, de la production de son corps un but en soi, un impératif moral. Nous sommes soumis, de manière tyrannique, à un devoir d'investissement sur soi, de gestion de notre temps de vie, explique Hervé Jubin et, bientôt, à un devoir de maîtrise du temps de la mort.
Le culte de soi remplace tous les autres.
L'homme moderne est censé dominer la nature mais cette domination ressemble plus à un esclavage avançant masqué sous les couleurs de la liberté, de la satisfaction et de la sécurité. Nous pensions avoir vaincu la nature, nous sommes en train de la supprimer : « Cette victoire (...) menace son vainqueur. Avec la disparition de la nature, c'est la seconde mort de Dieu qui s'accomplit, de ce Dieu modeste du quotidien qui édictait des règles et des lois dont l'expérience la plus humaine et la plus humble reconnaissait l'autorité (...) Le réel, voilà ce qui s'en va. »
Qui dit maîtriser dit choisir, explique H. Jubin. Après le monde de la nature et du destin, le monde du choix est celui du marché, dont la logique s'applique au corps comme au reste, qui devient alors un « maître du jeu politique, social, économique, scientifique ». La vieillesse est un marché, comme la beauté ou la procréation. Nous ne sommes plus là pour transmettre mais pour jouir de nous-mêmes, le plus souvent dans une incapacité relationnelle dont l'engouement pour les relations virtuelles sur le Net ou encore l'augmentation des pratiques sado-masochistes témoignent. « Faire société n'est plus proposer un projet pour demain ou après-demain, c'est garantir à chacun son capital physique et les meilleures conditions pour le consommer intensément et longtemps. » Cette économie de l'isolement avec concentration exclusive de chacun sur son seul patrimoine, son seul capital, le corps, va de pair avec une misère sexuelle de plus en plus grande, une incapacité relationnelle croissante, dans une vie de plus en plus longue à remplir. « Le monde qui vient sera illisible, incompréhensible à qui n'est pas dans le royaume du corps, de sa satisfaction, de son désir ou de son bien-être », écrit H. Jubin. « La mécanique de la vie est débridée et le mode d'emploi est perdu », explique ce spécialiste des relations de marché, président d'Eurogroup Institute, société de conseils aux entreprises en matière de ressources humaines et de stratégies. Il nous faut réinventer un « rapport au réel que le marché n'épuise pas, une relation interpersonnelle que la satisfaction n'épuise pas, une inscription dans le temps à laquelle la durée confère une valeur unique ».
Le défi de la longévité.
Joël de Rosnay, Jean-Louis Servan-Schreiber, François de Closets sont nettement plus confiants dans l'avenir. Le premier parle de nos connaissances scientifiques et de la physiologie de la sénéscence, le deuxième de son aspect psychologique et philosophique, le troisième de l'impact sur la collectivité de l'allongement du temps de la vie et de la crise sociale et économique qui risque de l'accompagner. Ces trois sexagénaires (et plus) dynamiques conversent avec Dominique Simonnet, rédacteur en chef à « l'Express ». Conseils de bon sens et recettes de vitalité côtoient quelques récits d'expérience personnelle de cette nouvelle génération pionnière.
François de Closets explique, avec le savoir-faire qu'on lui connaît, le bouleversement économique et social provoqué par la longévité et les paradoxes du système français, qui réduit le temps de vie dite active entre entrée tardive et sortie de plus en plus précoce dans le monde du travail. « Constructif », il veut voir dans cette crise l'occasion d'un renouveau salutaire pour notre société : « C'est une crise qui naît du "plus", un troisième âge qui vient s'intercaler entre maturité et vieillesse. Une aubaine pour autant que nous sachions en profiter. Ce plus nous oblige à être intelligents. »
Hervé Juvin, « l'Avènement du corps », Gallimard, 255 pages, 17,50 euros.
Joël de Rosnay, Jean-Louis Servan-Schreiber, François de Closets, Dominique Simonnet, « Une vie en plus », 220 pages, 18 euros.
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