ILS N'EN SONT pas revenus, les élèves du collège Françoise-Dolto, dans le 20e arrondissement, de se retrouver sur la scène du plus prestigieux festival du monde, partageant la palme d'or remise à Laurent Cantet pour « Entre les murs ».
La surprise a été générale, car on aurait pu penser que cette oeuvre sur le langage et la transmission, avec son ping-pong verbal entre le prof (François Bégaudeau, excellent dans le rôle inspiré par son livre autobiographique) et les élèves, parlerait moins aux non-francophones. Mais c'est à l'unanimité que le jury a choisi ce film «étonnant», selon le qualificatif de son président, Sean Penn. Après le grand moment d'émotion, où il a eu du mal à maîtriser ses larmes, le réalisateur de 46 ans, fils d'instituteurs, a d'ailleurs vite retrouvé ses esprits, pour expliquer : «Je ne suis pas si surpris que ça que parler de l'école intéresse le monde entier, les questions sont un peu les mêmes quel que soit le pays où l'on se trouve.»
Et le cinéma français, qui n'avait pas été distingué depuis vingt et un ans (« Sous le soleil de Satan », de Maurice Pialat), de se réjouir en choeur de ce succès inattendu. La palme «consacre la vitalité du cinéma français», a résumé la directrice générale du CNC (Centre national de la cinématographie), Véronique Cayla. Les spectateurs, eux, devront attendre le 15 octobre, pour juger à leur tour.
Doublé italien.
Comme l'avait promis Sean Penn, le monde d'aujourd'hui est là, et bien là, dans le palmarès. Dans le grand prix, qui récompense «Gomorra», de l'Italien Matteo Garrone, sur la Camorra, pieuvre mafieuse qui étend ses tentacules sur toute une population, avec la drogue et les trafics en tout genre, dont celui des déchets, problème devenu crucial à Naples actuellement. L'Italie a réussi un beau doublé, puisque «Il Divo», portrait à charge, aux accents burlesques, de Giulio Andreotti, pilier de la Démocratie chrétienne, sept fois président du Conseil, aux multiples liens politiques, religieux, maçonniques et mafieux, a reçu le prix du jury. «Andreotti est un personnage très représentatif de l'Italie et d'une complexité incroyable, souligne le réalisateur Paolo Sorrentino, 37 ans. Cette période a secoué l'Italie et n'a jamais été vraiment explorée. La comprendre peut nous aider à mieux comprendre notre présent.»
Le prix d'interprétation masculine ne pouvait guère échapper à Benicio Del Toro, impeccable dans le rôle du « Che », que le film de Soderbergh présente de façon simpliste – mais c'est un choix de créateur – comme un idéaliste sans reproche et, dans la seconde partie, comme une figure christique, et le jury, là aussi, a été unanime. L'acteur américain d'origine portoricaine, 41 ans, rêvait du rôle et du film depuis plusieurs années.
Chez les femmes, la récompense, attribuée à la Brésilienne Sandra Corveloni, actrice de théâtre dont c'est le premier rôle au cinéma, a été le moyen de distinguer l'excellent film de Walter Salles et Daniela Thomas, « Linha de Passe ».
Après deux palmes, Jean-Pierre et Luc Dardenne sont une nouvelle fois au palmarès, avec le prix du scénario pour «Le Silence de Lorna», lui aussi sur un sujet très contemporain, l'immigration clandestine et ses trafics. Quant à la Caméra d'or (prix du premier film, toutes sections confondues), elle va à «Hunger», premier film de l'artiste britannique Steve McQueen, qui retrace de façon réaliste la grève de la faim dont mourut Bobby Sands, suivi par neuf autres membres de l'IRA, sans que ne cède l'inflexible Margaret Thatcher.
Consolation.
Il ne faudrait pas oublier le prix spécial que le jury a décerné à Catherine Deneuve (« Un conte de Noël », d'Arnaud Desplechin) et à Clint Eastwood (« l'Échange »). Un lot de consolation donné au privilège de l'âge et de la longue carrière qui paraît peu satisfaisant : ou bien l'actrice et le réalisateur méritaient un des prix existants ou bien il fallait les sacrifier, c'est la règle du jeu. En montant sur scène, Deneuve a fait le service minimum, ne semblant pas si reconnaissante que cela, mais tenant à souligner qu'elle aurait toujours envie de faire des films s'il restait des réalisateurs, «trop rares», comme Desplechin.
À la décharge du jury, il faut reconnaître que, sur les 22 films en compétition, une bonne moitié méritaient de figurer au palmarès. La sélection 2008 a été difficile, mais à l'arrivée, c'est le cinéma qui est gagnant. Et le cinéma tel qu'il nous montre notre monde et contribue, un peu, à le changer.
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