L’ÉDUCATION est le lieu géométrique de toutes les controverses : les meilleurs experts apportent sur le fonctionnement de l’enseignement et ses échecs des éclairages contradictoires ; les syndicats d’enseignants opposent à l’action du gouvernement une hostilité systématique, et annoncent des catastrophes à venir ; bien entendu, l’idée même qu’on puisse réduire leurs effectifs leur semble iconoclaste ; les parents d’élèves sont perplexes et commencent à caser leurs enfants dans le privé, s’ils trouvent des places et s’ils en ont les moyens.
La lassitude des enseignants.
Le ministre ne manque pas de fermeté et il en faut lorsque la révolte des professeurs devient permanente. Il fait surtout un constat de pur bon sens : l’école produit des illettrés et la violence y devient la norme, comme le révèle la carte de la violence scolaire publiée la semaine dernière par « le Point ». Or cette décadence n’est pas une fatalité : dans des temps relativement récents, l’école a vraiment joué son rôle de creuset social et républicain et elle a formé des jeunes gens cultivés et civilisés.
On admet sans réserve la lassitude des enseignants : ils ont appliqué plusieurs réformes depuis 40 ans et on n’a cessé d’exiger d’eux des efforts multiples d’adaptation. En outre, les décideurs ont aussi brûlé ce qu’ils adoraient, comme l’enseignement global des mots, remplacé aujourd’hui par l’ancien enseignement syllabique. Les plus zélés des réformateurs n’ont caché ni leur perplexité devant une situation plus grave à mesure qu’on tentait d’y remédier, ni leur découragement devant le produit négatif de leurs efforts.
Cependant, les contre-propositions des syndicats d’enseignants sont toujours fondées sur le même principe : pléthore et inflation. Plus d’effectifs, un coût plus élevé. Toujours plus. Or, dans toutes les dérives de la société française, une leçon s’impose : l’augmentation du nombre de citoyens n’explique ni l’accroissement du nombre des actes de violence, disproportionné par rapport au développement démographique, ni la hausse du nombre des élèves qui sont les laissés-pour-compte du système (ni, d’ailleurs, la hausse vertigineuse des déficits et de la dette). A juste titre, les enseignants dénoncent des conditions d’exercice effrayantes ; mais ils ne sauraient la mettre au compte exclusif d’une pénurie d’effectifs, alors même que l’école reproduit la violence constatée ailleurs, hors de l’école.
On dit de Gilles de Robien que c’est un pur conservateur, mais il ne fait rien d’autre que de tenter de réunir les conditions qui ont permis à l’école de produire des citoyens de qualité pendant les deux premiers tiers du vingtième siècle. Sa volonté de réintroduire la méthode syllabique vient du souvenir que cette méthode marchait fort bien, alors que celles qui l’ont remplacée, toutes intelligentes qu’elles fussent, ont fabriqué des gens incultes. Les enseignants se gaussent : ils n’ont jamais appliqué complètement la méthode globale, mais plutôt un panachage des deux méthodes et ils continueront à le faire.
TOUT SE TIENT : LES MATHS, LA GRAMMAIRE, LE VOCABULAIRE CONTRIBUENT A EMPECHER LA VIOLENCE
Langage et violence.
Autrement dit : le ministre peut toujours causer, nous connaissons notre métier. Les enseignants peuvent-ils nous proposer une garantie de résultats puisqu’ils savent mieux que quiconque comment il faut former nos jeunes enfants ? Ils prendraient d’autant moins un tel risque qu’ils ont déjà échoué, même si c’est moins leur faute que celle des précédents réformateurs.
Bien entendu, les problèmes ne se limitent pas à la méthode de formation. M. de Robien veut réformer aussi l’enseignement de la grammaire et des mathématiques. On ne peut que l’approuver dès lors que la grammaire est la charpente du langage et qu’on massacre le français non seulement dans les milieux les plus défavorisés mais chez ceux dont le métier consiste à communiquer. Là aussi, les enseignants devraient nous expliquer pourquoi, en dehors de la minorité qui sort de l’école sans avoir rien appris, la majorité parle un français qui est la caricature de celui de ses grands-parents. Le florilège des sous-produits du français, du verlan aux jargons nés spontanément dans les cités, aura été, si on y pense, le véhicule des incivilités. Si les gens ne s’exprimaient que d’une manière élégante et ne connaissaient pas d’autre façon de parler, ils ne pourraient pas être violents ; car l’exactitude du vocabulaire et de la grammaire contient déjà une vertu immémoriale, la politesse. Vertu, politesse, que ces mots-là sont étranges dans la brutalité du monde contemporain ! On voudra bien nous excuser pour cet accès de nostalgie.
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