Incontournable et indiscutable, l’Evidence Based Medicine souffre cependant de limites méthodologiques qui peuvent être responsables de surtraitement. Beaucoup d’adaptations méthodologiques ont en effet été entreprises légitimement pour optimiser les rapports délais-coût-efficacité de la recherche clinique. Mais leur manipulation dans le but de favoriser la mise en évidence d’un bénéfice thérapeutique doit être considérée. D’où la nécessité de conserver un regard critique. « L’exercice est délicat, d’autant que les praticiens n’en ont pas toujours les moyens », affirme Pierre Durieux.
Quelles sont ces limites ? « La rigueur statistique ne veut pas dire qu’une étude soit pertinente cliniquement » explique-t-il en citant de nombreux exemples : « Lorsque la population incluse dans un essai ne correspond pas à celle rencontrée en pratique clinique, il est difficile d’envisager une transposition à l’identique du bénéfice rapporté. » Idem pour les critères de jugement utilisés, qu’il s’agisse des critères composites, difficiles à décortiquer en termes de bénéfice individuel, des surrogates markers ou critères de substitution, qui peuvent correspondre à des mesures intermédiaires sans valeur clinique directe, ou des analyses en sous-groupe, qui a posteriori peuvent favoriser l’émergence de groupes artificiels tirant partie d’une thérapeutique. Attention aussi au règne du petit ‘p’ : « La significativité statistique n’a pas la même signification selon la taille de l’échantillon et l’intervalle de confiance établi. » Ainsi, le recours à des cohortes de plusieurs milliers de personnes écrase parfois le bénéfice individuel : lorsque le p est à la limite de la significativité associé à un intervalle de confiance large, on peut se poser la question de la transposition du bénéfice en vie réelle… Dans cette tendance, « il est plus important de démontrer qu’un traitement apporte un bénéfice à un patient que de démontrer qu’un médicament est équivalent à un autre si aucun n’améliore la santé6 ».
C’est aux sociétés savantes ou aux tutelles que revient ce rôle d’analyse critique. Mais leur travail reste optimisable : « L’analyse qu’elles conduisent pour établir leurs référentiels n’est pas méthodologiquement suffisante, explique Pierre Durieux. Des approches plus scientifiques sont développées comme GRADE. Cette méthodologie, qui évalue la qualité des données de chaque étude prise en considération, commence d’ailleurs à être saisie par certaines organisations scientifiques. » Quant aux publications d’essais cliniques, « le Consort Statement est un outil méthodologique destiné à assurer la qualité de la littérature scientifique en décrivant l’ensemble des éléments à y apporter. » Espérons que les promoteurs d’essais cliniques se saisissent de tels outils pour optimiser in fine la substantifique moelle extractible de leurs étude, en faveur de la pratique clinique.
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