UNE ANALYSE, qu'on retrouve dans beaucoup de journaux, dénonce la « naïveté » des Européens face à la Russie et « l'erreur » commise lorsque le Kosovo fut incité à proclamer son indépendance ; cela aurait conduit les Russes à faire du sécessionnisme l'axe de leur politique dans le Caucase, comme en témoigne le dépeçage de la Géorgie, qui a perdu deux territoires : l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie.
Une telle analyse s'appuie principalement sur la realpolitik et considère le cynisme, la violence et la force comme les instruments diplomatiques les plus efficaces. La construction européenne ne s'appuie pas sur ces instruments ; et les plus blasés d'entre nous doivent admettre que l'Union européenne exerce sur l'est de l'Europe un pouvoir d'attraction qui suffit à faire pièce aux menées de la Russie. Même la Serbie, qui jure de ne jamais reconnaître le Kosovo indépendant, entend bien un jour faire partie de l'Union.
Poids moral.
La Géorgie, l'Ukraine, d'autres États que Moscou entend maintenir sous son joug, regardent vers l'Ouest. Toute l'armée russe ne peut rien contre le « charme » ou plutôt le magnétisme de l'Europe. Et si ces pays souhaitent aussi entrer dans l'OTAN, c'est parce qu'ils savent que les Russes menaceraient leur liberté s'ils adhéraient à l'UE. Celle-ci est totalement impuissante quand l'armée, selon un canevas mis au point depuis longtemps, déferle sur la Géorgie à la faveur d'une erreur de calcul de Mikheil Saakachvili ; mais elle garde son aura, sa force morale, en quelque sorte. Les Européens n'ont jamais milité pour l'indépendance du Kosovo ; comme naguère pour la Bosnie, ils ont fini par admettre que les Kosovars n'accepteraient pas le statu quo. Et après avoir pris la responsabilité de laisser ce territoire s'ériger en État indépendant, ils s'efforcent d'y créer les infrastructures administratives et économiques qui en feront un État viable. Cela coûte cher et exige de la patience.
SARKOZY A FAIT EN SORTE QUE LA RUSSIOE PRENNE CONSCIENCE DE SON ISOLEMENT
Vladimir Poutine et son ami Medvedev ne sont, pour leur part, nullement séduits par l'Europe en qui ils voient seulement une cliente à qui ils peuvent imposer leurs prix. Qu'il existe à Moscou un sentiment d'encerclement, notamment parce que les États-Unis sont présents dans tout le pourtour de la fédération de Russie, c'est indéniable. Que MM. Poutine et Medvedev n'aient plus eu que la guerre comme solution n'est pas vrai du tout.
Nicolas Sarkozy est allé dire aux Russes que leur comportement est anachronique, et c'est pourquoi M. Medvedev s'est fâché ; il lui a expliqué que la Russie ne peut pas édifier sa prospérité sur ses ventes de gaz et de pétrole et en même temps s'agiter dans le Caucase comme un éléphant dans un magasin de porcelaine ; que la guerre est une option qui efface les autres options.
Le président français de l'Europe n'avait pas d'autre choix que d'inciter les Russes à regarder l'horizon ; il n'avait pas besoin d'insister : eux-mêmes ont tenté de procéder à un coup de force tout en le minimisant, ont demandé qu'on les laisse faire et qu'après, tout irait bien entre l'Europe et la Russie. Non, a rétorqué M. Sarkozy. La politique occidentale est perçue en Russie comme agressive parce que la Russie post-eltsinienne ne croit plus, elle-même, qu'à la force. Comparer l'affaire du Kosovo à celle de la Géorgie, c'est mélanger torchons et serviettes : dans le premier cas, il s'agissait de protéger un peuple contre un massacre ; dans le deuxième, Moscou a reproduit en quelques jours sa reconquête de la Tchétchénie.
Une farce historique.
Il est bien possible que sa mainmise sur ce pays soit durable, du moins en termes d'années ; mais durable ne veut pas dire permanent et il est probable que, dans cette région très compliquée qu'est le Caucase, le calme obtenu par la force soit précaire. L'existence même de deux entités microscopiques comme l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, dont le peuplement se compte en dizaines de milliers, est une farce historique.
Dans ces conditions, l'assurance, la morgue, l'insolence de Moscou, qui prétend ne craindre aucune mesure de rétorsion et n'a d'ailleurs pas consenti à revenir sur sa « reconnaissance » des deux Républiques miniatures, cache de sérieuses faiblesses. M. Sarkozy aura fait remarquer à M. Medvedev son isolement : aucun des alliés de la Russie n'a reconnu les deux nouveaux États, alors que le Kosovo est reconnu par quarante pays. C'est ainsi : les lendemains d'un triomphe militaire donnent souvent la nausée. Il n'est donc pas impossible que l'engagement pris par les Russes sur un calendrier précis d'évacuation de la Géorgie soit cette fois sérieux. Après quoi, le monde jugera : les Européens et les Américains reconstruiront la Géorgie dévastée comme ils sont en train de construire le Kosovo ; en tout cas, c'est leur devoir. On saura qui démolit tout, et qui répare.
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