La réaction des évêques, hostiles à une loi qui interdirait le port de signes religieux ostentatoires, était prévisible : depuis un siècle qu'un équilibre a été établi entre les influences respectives du clergé et de l'Etat, l'Eglise n'a pas besoin d'être contrainte, à la faveur d'un danger perçu, le prosélytisme islamique, de donner de nouveaux gages de neutralité au pays, alors que l'anticléricalisme a disparu en même temps qu'a diminué l'influence du catholicisme.
Elle s'est d'ailleurs fort bien accommodée du voile (ou du foulard) puisqu'elle accueille dans ses écoles des jeunes filles qui le portent. Elle préfère la foi à l'athéisme et les activités qu'elle soutient ou entretient n'offrent pas le terrain le plus propice à l'expansion de la religion musulmane. Mieux, on peut dire qu'elle contribue à l'cuménisme, comme elle le faisait naguère avec les enfants juifs, que leurs parents envoyaient à l'école catholique pour la qualité de l'enseignement.
La première religion de France
Elle craint, bien sûr, que la réaffirmation politique de la laïcité par la loi ne porte atteinte à sa propre action et au retour d'une partie de la jeunesse française vers le christianisme. Mais on remarquera que, dans leurs interventions à Lourdes, les évêques, dont les sensibilités sont différentes, de même que l'est le degré de leur opposition à la loi sur la laïcité, n'ont jamais rappelé que le catholicisme est la première religion en France ; ils n'ont donc pas fait de cet argument, inscrit dans les faits et dans les chiffres, l'axe d'un discours sur sa prépondérance, qui n'est pas justement rétribuée par l'Etat lorsqu'il met sur le même plan le voile, la kipa ou la croix.
Et il est vrai que, pour paraître impartiaux, nos dirigeants ont fait l'amalgame entre un danger, le voile, et les signes des autres religions qui ne sont pas souvent visibles à l'école publique : les juifs ne se sont pas débarrassés de l'étoile jaune pour afficher aujourd'hui leur différence sous une autre forme, dans leurs écoles et leurs lieux de prière ; et la croix est infiniment plus discrète que le voile, qui se voit à cent mètres.
En tout cas, les évêques se sont bien gardés d'envoyer un message d'exclusion : nous sommes en France, fille aînée de l'Eglise, et nous avons, à ce titre, des droits que les autres n'ont pas. Bien au contraire, leur message est celui de la tolérance. Et en l'envoyant aux Français en général et aux catholiques en particulier, ils augmentent la perplexité des laïcs que la loi embarrasse et indispose parce que, très précisément, elle met un terme à la tolérance.
Des musulmans exemplaires
Mais le gouvernement a d'autres responsabilités que l'Eglise : la laïcité n'est pas réclamée que par des laïcs catholiques, des agnostiques ou des athées ; elle est exigée également par les juifs et par des musulmans, comme Malek Boutih ou Rachid Kaci, qui se sont élevés contre l'octroi, par Nicolas Sarkozy, de la représentativité des musulmans à une organisation plutôt intégriste. Il y a beaucoup de musulmans en France qui souhaitent être considérés comme des citoyens à part entière, complètement intégrés dans la société et qui ne veulent pas que leur premier déterminant soit la religion. D'une certaine manière, ils voudraient faire le parcours des juifs que rien ne distingue, aujourd'hui, sinon la réaffirmation de leur identité, des autres Français.
De ce point de vue, Malek Boutih et Rachid Kaci sont deux modèles d'intégration laïque. Le premier, qui dirigeait SOS-Racisme, est entré au PS ; le second milite à l'UMP. Tous deux se rejoignent sur la laïcité. Ce qui les intéresse, c'est le progrès social des immigrés et des beurs, pas le fondamentalisme qui se bat pour des causes étrangères et admire Ben Laden.
On ne peut ignorer ni ce qu'ils sont, ni ce qu'ils font et s'il y a des hommes à encourager en France, ce sont bien les Boutih et les Kaci, ainsi que les nombreux enfants d'immigrés qui occupent des emplois, parfois des positions importantes, dans les entreprises ou les administrations. M. Kaci, par exemple, a publiquement demandé la loi sur la laïcité. Et si on ne la rédige pas, ce sont ces musulmans-là qui seront mis en minorité, c'est le fondamentalisme qui triomphera : le port du voile est sûrement sincère et dépourvu de toute arrière-pensée chez de nombreuses jeunes musulmanes. Mais, dans certains cas, il se présente comme une provocation, assortie de nombreuses explications télévisées, toutes appuyées sur la liberté, mais toutes tendant au retour de l'obscurantisme.
On en a fait une cause. Dès lors, la société française, qui est composite et bien plus métissée qu'elle ne le croit elle-même, ne peut que défendre ardemment les principes qui la structurent : elle ne peut pas tendre la main à ceux qui veulent la changer à leur manière et peut-être la convertir. Elle doit s'opposer à eux. Et elle n'y parviendra qu'en appliquant les méthodes démocratiques, par opposition à des adversaires auxquels la démocratie n'inspire aucun respect.
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