18-21 janvier 2006 - Paris
DEPUIS LES premières observations du « french paradox », au début des années 1990, l’étude Monica, suivie de beaucoup d’autres, a fini par imposer la notion d’une relation entre la mortalité et la consommation d’alcool affectant la forme d’une courbe en « J ». Le creux de la courbe semble essentiellement dû au bénéfice cardio-vasculaire d’une consommation modérée, que l’on peut situer à deux ou trois verres par jour, trois ou quatre jours par semaine, et qui s’accompagne d’une réduction du risque de l’ordre de 30 à 40 %.
Ces travaux épidémiologiques se sont en fait révélés extrêmement difficiles à mettre en place. «La relation entre la consommation d’alcool et la mortalité est le type même de la question piège en épidémiologie», explique le Pr Pierre Ducimetière (Inserm). «Les consommations rapportées sont en effet systématiquement sous-estimées, ou, au contraire, surestimées; les confusions entre abstinents et repentis sont fréquentes; enfin, les facteurs à ajuster sont multiples. Néanmoins, on peut aujourd’hui défendre pied à pied les conclusions de ces études.»
Ces conclusions sont de trois ordres. En premier lieu, la réduction du risque ischémique, qu’il s’agisse des cardiopathies ou des AVC, est certaine. Le cas du principal facteur confondant, la classe sociale, a été réglé par des études britanniques qui montrent que, après ajustement pour la catégorie socioprofessionnelle, le bénéfice d’une consommation modérée diminue, mais reste signi ficatif. Pour le Pr Ducimetière, «la classe sociale joue un rôle, mais ne fait pas tout. Deuxième conclusion de l’épidémiologie : la régularité de la consommation est aussi importante que la quantité dans les effets bénéfiques ou délétères de l’alcool. Ici encore, ce sont des études anglo-saxonnes qui ont montré les effets néfastes des pics de consommation du samedi soir – eux aussi très connotés socialement, d’ailleurs. Une étude américaine récente concluait ainsi à un doublement de la mortalité après infarctus du myocarde chez les buveurs excessifs (1). Troisième notion, enfin, le bénéfice d’une consommation modérée et régulière est retrouvé chez les deux sexes, avec une dose optimale un peu inférieure chez les femmes, qui boivent d’ailleurs plutôt moins que les hommes – « comme s’il existait une sorte d’homéostasie», commente le Pr Ducimetière.
Reste la question sur laquelle, en France au moins, tout le monde retient son souffle : le vin rouge est-il supérieur, en termes de prévention cardio-vasculaire, à la bière et aux autres alcools ? Incontestablement, l’épidémiologie déçoit, sur ce point, les attentes du vignoble national.
«Toutes choses égales par ailleurs, il n’apparaît pas de bénéfice évident du vin sur les autres alcools», affirme le Pr Ducimetière.
Les arguments en faveur d’un effet supplémentaire du vin rouge ne manquent pourtant pas. Mais c’est la biologie qui les apporte.
De nombreux résultats montrent que les polyphénols du vin rouge présentent des propriétés antiagrégantes et antioxydantes et se révèlent capables de stimuler la NO synthase endothéliale. Ces résultats obtenus in vitro se complètent désormais de résultats obtenus chez l’animal. Le Pr Ramaroson Andriantsitohaina (Cnrs) a ainsi rapporté deux types d’expériences effectuées par son groupe. Dans un modèle d’occlusion de l’artère cérébrale moyenne chez le rat, d’une part, les polyphénols inhibent la libération de glutamate et d’aspartate cytotoxiques, avec une amélioration du flux résiduel durant l’occlusion.
Chez des lapins hypercholestérolémiques, d’autre part, après pose d’un stent sur l’artère iliaque, l’administration orale de composés polyphénoliques du vin rouge réduit la croissance néo-intimale. Le Pr Andriantsitohaina souligne que «la prévention de la resténose après angioplastie avec une molécule sûre et peu coûteuse constitue un enjeu important». Ces résultats méritent sans doute d’être nuancés, puisque le Pr Ludovi Drouet (hôpital Lariboisière), qui étudie l’effet antiagrégant des polyphénols chez le porc, note «qu’il semble exister un bénéfice à court terme, mais qu’il disparaît lorsqu’on laisse vieillir le modèle».
D’une manière générale, cependant, on ne peut qu’être surpris du décalage entre l’épidémiologie et la biologie. Peut-être les études épidémiologiques manquent-elles encore de résolution. Peut-être faut-il envisager des phénomènes parasites, telle une malabsorption des phénols du vin rouge, qui empêcherait les buveurs d’en tirer partie, et le phénomène de se manifester dans les études de population. Peut-être, aussi, est-il simplement dans l’ordre des choses que le « french paradox » garde quelque mystère.
D’après des interventions des Prs Pierre Ducimetière (Inserm 258, épidémiologie cardio-vascuaire et métabolisme, Villejuif), Ramaroson Andriantsitohaina (Cnrs 7081, pharmacochimie de la communication cellulaire, Illkirch), Ludovic Drouet (hôpital Lariboisière, Paris) et Jean-Pierre Broustet (Bordeaux).
(1) Mukamal KJ et coll. Binge Drinking and Mortality After Acute Myocardial Infarction. « Circulation » 2005 ; 112 : 3839-3845.
Un petit verre de prévention ?
Face à l’ensemble des résultats, certains aujourd’hui, tel le Pr Jean-Pierre Broustet (Bordeaux), n’hésitent pas à soutenir la notion d’une consommation modérée et régulière de bon vin durant les repas en prévention secondaire post-infarctus : « Il n’y a aucun commencement de preuve de la nocivité de la poursuite, voire de l’instauration, d’une consommation modérée au cours des repas, et les recommandations d’abstinence relèvent de la vox populi, du consensus conjugal souvent insistant et de l’ignorance largement répandue dans le corps médical des publications probantes. » Voilà qui est dit. Il risque toutefois de passer encore un peu d’eau sous les ponts avant que la faculté ne saute le pas.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature