Deux modèles évolutifs tentent d'expliquer le vieillissement des organismes multicellulaires. Un phénomène attribué au déclin, à quelques exceptions près, de la sélection naturelle avec les années. Ces deux modèles font appel à l'existence de gènes spécifiquement liés à l'âge, mais aux modes d'action différents.
Dans un article que publie l'Académie des sciences américaine dans ses « Proceedings », des chercheurs américains, K.A. Hughes et coll. (Urbana, Illinois), privilégient l'un de ces modèles, dit par accumulation de mutations (AM). Leurs travaux ont été menés chez la drosophile. Ils ne peuvent être extrapolés à l'homme, mais montrent une méthode d'appréhension du problème chez l'humain.
L'accumulation de mutations
Un rappel des deux théories du vieillissement est, ici, indispensable. La première, dite de la pléiotropie antagoniste (PA), suggère que des allèles pléiotropiques s'accumulent au cours de l'existence. Ils accroissent la survie et les facultés de reproduction au début de la vie et inversent leur action plus tard dans l'existence ; dans la seconde théorie, accumulation de mutations (AM), des allèles aux effets purement délétères s'accumulent aussi. Ils ne s'expriment que sur le tard quand la pression de sélection s'affaiblit.
Même si l'impression générale est que, à terme, la conclusion est la même, les implications de ces deux théories sont différentes. Une action sur ces gènes pour prévenir le vieillissement risquerait d'influer sur le développement précoce de l'individu dans la première hypothèse.
Les travaux antérieurs n'ont pu se partager entre les deux théories. Pour y parvenir, les auteurs ont analysé l'âge spécifique de succès de la reproduction chez des mouches Drosophila melanogaster de cent génotypes différents. Elles ont été produites à partir de tous les croisements possibles entre dix lignées isogéniques, elles-mêmes issues d'une seule population d'élevage. Sans entrer dans les détails des travaux, à partir des quelque 6 000 mouches étudiées, il apparaît que les variations génétiques ainsi que les effets de la consanguinité croissent considérablement avec l'âge des insectes. Cette augmentation survient parce que les gènes dont l'action délétère se manifeste tardivement ne sont plus soumis à la pression de la sélection naturelle. Des données tout à fait en faveur de la théorie de l'accumulation de mutations.
Hypothèse de la pléiotropie antagoniste
Les auteurs, avec une grande honnêteté scientifique, reconnaissent que leurs travaux ne contredisent pas forcément l'hypothèse de la pléiotropie antagoniste. Elle a d'ailleurs été largement soutenue par les expériences de sélection artificielle, qui sont « probablement le meilleur moyen de détecter les corrélations génétiques négatives entre les éléments de "bonne forme" au début et en fin de vie ». De nombreux gènes du vieillissement récemment découverts chez la drosophile et d'autres organismes corroborent cette hypothèse. Les deux concepts ne s'excluent pas l'un l'autre. Ils contribuent tous deux à la sénescence.
Le modèle AP est en accord avec l'existence de peu de gènes aux effets majeurs sur la « forme » en fin de vie. A l'inverse, le processus AM conduirait au maintien de nombreux allèles délétères, qui auraient individuellement de faibles effets sur les performances et la santé en fin de vie.
Les méthodes actuelles d'identification des gènes du vieillissement sont plus efficaces dans la détection de gènes à effet important, précisent les chercheurs. Même des études bien pensées rateraient probablement des gènes à effet limité. De nouvelles technologies sont donc nécessaires pour les mettre en évidence. Les chercheurs attendent beaucoup des puces à ARN messager. Elles viennent de montrer que le vieillissement est accompagné de modifications du niveau d'expression de milliers de gènes. « Combiner cette technologie à celle des variations génétiques au sein d'une population (comme ici, NDLR) serait une approche fructueuse dans l'identification des gènes à faible effet compatibles avec le modèle par accumulation de mutations », concluent les auteurs.
« Proc Natl Acad Sci USA », doi/10.1073/ 222326199.
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