Le 28 août 2001, dans la matinée, un homme entre au bloc chirurgical de la clinique de La Ravine à Louviers, dans l'Eure, pour une opération de l'épaule. Au préalable, le Dr X l'endort à l'aide d'un flacon multidose de 10 ml de Fentanyl. Le patient ne signale pas qu'il est atteint d'hépatite C et l'anesthésiste n'est pas autorisé à faire un test, raconte au « Quotidien » le Dr Jean-Pierre Besse, président du Centre de lutte contre les infections nosocomiales (Clin) de la clinique.
« Trois mois après, le service de gastro-entérologie de l'hôpital Charles-Nicolle, de Rouen, nous signale un cas de forme aiguë d'hépatite C contractée à La Ravine, poursuit le chirurgien. Immédiatement, nous déclenchons une enquête pour comprendre. La DDASS de Seine-Maritime et le Centre de coordination de lutte contre les infections nosocomiales Paris-Nord sont alertés. Parallèlement, contact est pris avec quatre personnes elles aussi opérées le 28 août au matin. Elles feront l'objet d'un dépistage des virus du sida et des hépatites B et C, et deux d'entre elles se révéleront positives au VHC. Nous entrevoyons, alors, la possibilité d'une contamination par le biais du flacon multidose de Fentanyl. »
Principe de précaution
Le Dr X, d'ailleurs, est prié d'en abandonner l'utilisation, en vertu du principe de précaution. Son confrère anesthésiste de La Ravine emploie, déjà, le flacon à usage unique.
Et les investigations continuent. Quelque 150 patients de la clinique ayant été soumis au même protocole anesthésique, entre mars-avril et novembre 2001, sont testés à leur tour ; aucun n'est déclaré positif. La direction générale de la Santé (DGS) fait état, sur 98 sérologies, de 0 VIH, 0 VHC, 86 VHB négatifs, 6 positifs en anti-HBf sans antigène HBf et 2 positifs en anti-HBC. Aussi parle-t-elle d' « absence de contexte épidémique », et estime que « les résultats positifs en anti-HBC ne veulent pas dire qu'il y a un lien de cause à effet par rapport au Dr X ». « Doit-on aller plus loin dans le rappel des patients ? se demande le Dr Besse, qui affirme « marcher main dans la main avec les autorités sanitaires, animé de la même rigueur scientifique ». Déjà, la DGS indique qu'elle veut connaître « les tranches de contamination possibles », antérieures au printemps 2001, sachant que le Dr X exerce depuis 12 ans.
Pour le Dr Jean-Pierre Besse, la pratique qui consiste à utiliser un flacon multidoses d'analgésique, bénéficiant évidemment d'une AMM, « ne se fait pas qu'à La Ravine ». « C'est une technique acquise durant les études médicales. Et, relève-t-il, si les notes sur les bonnes pratiques adressées aux anesthésistes mettent l'accent sur le matériel à usage unique, aucune ne mentionne l'emploi de flacon à usage unique. » De son point de vue, « c'est un concours de circonstances malheureux » qui a porté la clinique à la une de l'actualité : le premier patient du Dr X, le matin du 28 août 2001, était porteur du VHC. Un tel risque est désormais écarté, à La Ravine tout au moins, puisqu'on y utilise maintenant des flacons à usage unique.
« On peut s'interroger sur le fait de savoir pourquoi on continue à fabriquer des flacons d'analgésique multidoses », reconnaît le Dr Jean-Marc Dumex, président du Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs français. Mais les recommandations de la Société française d'anesthésie relatives aux règles d'hygiène, s'appliquent aux flacons à usage unique comme aux autres, souligne le responsable syndical ; à savoir, recourir à des seringues et à des aiguilles stériles et jetables après usage unique. « Un malade = une seringue, une aiguille, une tubulure et un flacon, le tout jetable dans un récipient spécifique », traduit le Dr Jean-Michel Pawlotsky, patron du service de virologie de l'hôpital Henri-Mondor, à Créteil (Val-de-Marne). Le Dr X, il est vrai, a eu à repiquer son premier patient de la matinée du 28 août 2001 porteur du VHC, et il l'a fait avec la même seringue et la même aiguille (c'est-à-dire, déjà utilisées).
L'affaire de la clinique Louviers, qui met en avant une pratique médicale abolie depuis décembre 2001, a déclenché la mobilisation générale des autorités sanitaires du pays. Depuis le 13 août dernier, l'Institut national de veille sanitaire et l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé sont sur le pont, à l'instar de la DGS et du C-Clin Paris-Nord. Certes, pour le moment, on s'en tient à l'hypothèse « d'un acte isolé », mais tous les moyens seront mis en oeuvre, si nécessaire, pour remonter dans le temps. Le Dr X, en effet, anesthésie chaque année 5 000 personnes à la clinique La Ravine. A l'échelle nationale, sur les 5 000 à 6 000 nouveaux cas annuels d'hépatite C, quelques-uns seulement sont imputables à des soins médicaux.
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