Par Didier Riethmuller (1-2) et Christiane Mougin (2)
L’HISTOIRE naturelle du cancer du col est de mieux en mieux connue. L’étude collaborative de Xavier Bosch a clairement établi que le cancer du col est le premier cancer solide viro-induit de l’espèce humaine et que l’infection virale est contractée dans l’immense majorité des cas par voie sexuelle. Les relations entre cancer du col et infection par le papillomavirus humain (HPV) sont connues :
– un HPV oncogène est quasiment toujours retrouvé dans les cancers invasifs ;
– la charge virale et le caractère persistant de l’infection à génotypes oncogènes sont des indicateurs prédictifs de lésions intraépithéliales sous-jacentes ;
– dans les pays qui ont une incidence du cancer très élevée, la population de femmes à frottis cytologiquement normal a un taux de portage d’HPV oncogènes très élevé.
C’est bien parce que l’infection par le HPV est le facteur nécessaire, bien que non suffisant dans l’histoire naturelle du cancer du col, que le typage HPV a été proposé pour optimiser le dépistage conventionnel.
Le DNA viral peut être mis en évidence dans les cellules cervicales par une technique de Polymerase Chain Reaction (PCR), qui, bien que restant la référence, a l’inconvénient d’être lourde, « laboratoire dépendant », et d’induire des faux positifs par contamination. Son utilisation pour un dépistage de masse n’est pas actuellement envisageable. D’autres techniques de biologie moléculaire (HC II test, Amplicor) sont d’utilisation simple et de sensibilité comparable à la PCR. Ces tests sont disponibles, mais remboursés en France, uniquement pour le triage des Ascus (Atypical Squamous Cells of Unditermined Significance).
Triage des atypies mineures.
La fréquence élevée des frottis avec atypies mineures pose un problème majeur ; aux Etats-Unis, on estime leur nombre annuel à un million pour les Lgsil (Low Grade Squamous Intraepithelial Lesion) et à deux millions pour les Ascus. En France, leur nombre est respectivement de 75 000 et 150 000. Ces anomalies cytologiques correspondent en fait à de véritables Hgsil (High Grade Squamous Intraepithelial Lesion) histologiques dans 30 % des cas de frottis Lgsil et, dans 10 % des cas, de frottis Ascus. Le typage viral semble être d’un intérêt majeur pour trier ces atypies mineures. Il doit permettre d’identifier, parmi les patientes porteuses de modifications cellulaires peu importantes telles que les Ascus et les Lgsil, celles infectées par un HPV oncogène. On pourra alors limiter les investigations coûteuses à ces dernières et éviter des traitements et un stress inutiles chez les autres (non porteuses d’HPV oncogène). Cette démarche peut encore être améliorée par le « test HPV réflexe », qui combine, sur le même échantillon de cellules en suspension, un frottis en phase liquide et la possibilité d’un typage viral en cas d’anomalies dépistées par la cytologie. Cela permet en pratique, d’une part, de diminuer le coût du typage en le limitant aux cas de frottis anormaux et, d’autre part, d’éviter de convoquer à nouveau les patientes qui nécessitent un typage. Le frottis en phase liquide permet de diminuer le nombre de faux négatifs de la cytologie, soit dus à une mauvaise technique de prélèvement et d’étalement, soit à une erreur de lecture.
Manos montre que l’association frottis en phase liquide-typage HPV permet de détecter 100 % des Hgsil chez les femmes de moins de 30 ans qui ont un frottis Ascus ou Agus, alors que le frottis de contrôle ne détecte que 57 % de ces lésions de haut grade.
Environ 50 % des Ascus sont négatifs en HPV oncogènes, ce qui évite 50 % de colposcopies. Pour les Lgsil, l’avantage du triage semble a priori moins évident, puisque environ 70 à 80 % de ces lésions sont positives en HPV oncogènes. Mais il permet néanmoins de sélectionner les Lgsil qui sont à risque d’évolution vers une lésion de haut grade.
Surveillance post-thérapeutique des Hgsil.
Les lésions intraépithéliales de haut grade bénéficient d’une prise en charge thérapeutique moderne : excision lésionnelle en chirurgie ambulatoire sous anesthésie locale grâce à l’utilisation d’anses diathermiques. Cette électrorésection est reconnue comme étant efficace, simple, et procurant à l’anatomopathologiste des pièces propices à un diagnostic histologique de qualité. L’incidence des Hgsil ayant notablement augmenté chez les femmes jeunes, et l’âge de la première grossesse reculant dans les pays industrialisés, les résections cervicales sont devenues « économes », afin de préserver l’avenir obstétrical des patientes. Cette économie de tissu cervical aboutit à un nombre variable de résections non in sano, allant selon les publications de 7,8 à 31,8 % (25 %, en moyenne). L’attitude classique de reprise chirurgicale rapide de ces résections considérées a priori comme incomplètes s’est modifiée ces dernières années, et un suivi attentif est actuellement proposé en l’absence de frottis anormal après la chirurgie. En effet, des études de suivi ont montré que les lésions résiduelles n’existaient réellement que dans 14,5 à 17 % des cas. Toutefois, le risque de développer un carcinome invasif du col utérin après traitement pour une lésion intraépithéliale est multiplié par cinq en comparaison de la population normale, ce qui nécessite une surveillance étroite de ces femmes traitées. Et cela même en cas d’excision complète, puisque environ un tiers des patientes présentant une récurrence ou récidive avaient une résection considérée initialement comme in sano. Le rapport de l’Anaes de 1998 préconise un contrôle colpo-cytologique entre trois et neuf mois après la chirurgie, puis une surveillance annuelle par cytologie, associée ou non à la colposcopie, cela pendant au moins sept ans. En France, la surveillance post-thérapeutique des Hgsil est donc fondée sur l’association frottis cervico-vaginal colposcopie ; or celle-ci ne semble pas être supérieure, pour le dépistage des lésions résiduelles et des récidives, à la surveillance par simple frottis.
Le portage en HPV oncogène après l’intervention.
Si l’on s’appuie sur le fait qu’il ne peut exister de progression lésionnelle sans HPV oncogènes, et que la majorité des électrorésections aboutit à la clairance du virus par des mécanismes inflammatoires renforçant l’immunité locale, on peut dire que la persistance du portage en HPV oncogènes en post-thérapeutique permet de sérier les femmes à risque. A risque de récurrence, lorsque la résection est in sano, et à risque de lésions résiduelles, lorsque la résection était évaluée comme incomplète. De plus, il existe une parfaite corrélation génotypique entre les HPV dépistés avant et après la conisation en cas de persistance du portage viral. La charge virale est évaluée avant la procédure, puis dosée à nouveau entre trois et six mois après la conisation. En cas de résection in sano, la normalisation du frottis et la négativation du test viral à trois mois permettent de quasiment affirmer la guérison et sont extrêmement rassurantes. Lorsqu’il existe, en cas de marges saines initiales, un portage viral persistant à trois mois, une surveillance attentive doit être instaurée, puisque la progression lésionnelle est toujours possible. Dans les cas de résection non in sano, la normalisation cytovirologique à trois mois est, là aussi, rassurante, alors que la persistance virale signe souvent la réalité d’un traitement incomplet. Dans notre courte expérience (289 cas de suivi), aucune lésion résiduelle après traitement d’une Hgsil n’a échappé au diagnostic virologique. Ces résultats sont confirmés par plusieurs publications de 2001. En effet, l’évolution naturelle du portage en HPV se fait vers la négativation après conisation : 94 % d’HPV négatif à douze mois pour Kucera. Lorsqu’il existe un portage persistant après l’ablation, le risque de lésions résiduelles existe. Pour Paraskevaidis, les lésions résiduelles après conisation étaient HPV positives dans 93 % des cas, alors que seulement 48 % des frottis étaient anormaux. Dans le travail de Nobbenhuis, il existait 15,8 % de lésions résiduelles et la sensibilité du dépistage pour ces lésions était de 62 % pour le frottis et de 90 % pour le test HPV (avec une valeur prédictive négative de 99 %). Deux autres articles notent une valeur prédictive négative de 100 %.
Ce test a donc, dans le suivi des lésions de haut grade traitées, non seulement une excellente sensibilité, mais également une très bonne spécificité pour le dépistage des lésions résiduelles. Il nous apparaît que l’utilisation du typage viral représente un réel progrès dans la prise en charge de ces lésions intraépithéliales de haut grade et que cette indication devrait rapidement passer à la nomenclature.
Dépistage primaire.
Si la très grande sensibilité du test viral n’est plus à démontrer, sa spécificité reste à évaluer en termes de coût/bénéfice. Il est logique dans une politique de dépistage d’accepter des faux positifs qui seront « corrigés » par un dépistage secondaire, alors que les faux négatifs ne sont pas tolérables. L’intérêt du typage viral dans le dépistage primaire est en cours d’évaluation, bien que certains pays l’utilisent en première intention systématiquement associé au frottis cervico-vaginal. Aux Etats-Unis, cette association est d’ailleurs validée par la FDA.
Toutefois, le dépistage combiné pose le problème de son coût. L’infection virale est fréquente chez les jeunes femmes (plus de 20 % de positivité en HPV oncogènes chez les femmes de moins de 35 ans dans une série personnelle) ; mais, dans la majorité des cas, les jeunes femmes vont se débarrasser du virus en six à huit mois et ne développeront jamais de Hgsil. Le typage n’aurait donc un intérêt dans le dépistage primaire qu’à partir d’un certain âge, permettant ainsi de sélectionner les femmes avec un portage viral persistant. Un travail de Cuzick (2003) a montré l’efficience du test viral à partir de 30 ans.
L’amélioration de la sensibilité du dépistage par l’association cytologie-virologie permet, grâce à sa valeur prédictive négative de près de 100 %, de proposer un intervalle d’au moins trois ans entre deux dépistages, ce qui réduit le coût.
L’évaluation du test viral en dépistage primaire exclusif se poursuit activement. Les premiers résultats sont très encourageants. La très grande sensibilité du test viral permet d’éviter les faux négatifs. Chez les patientes présentant un test positif, on réalise (sans reconvoquer la femme) sur le prélèvement cellulaire en phase liquide une analyse cytologique qui, par sa grande spécificité, va « corriger » les faux positifs. Les patientes doublement positives (virologie + cytologie) sont convoquées en colposcopie. Une étude de Holmes évaluant le coût/bénéfice de cette politique montre son caractère moins onéreux que la cytologie bi-annuelle.
Le typage viral a également un intérêt en termes de couverture de population dépistée. Parfaitement automatisée, d’apprentissage rapide et avec une possibilité d’autoprélèvement, cette technique pourrait être utilisée dans les pays en voie de développement. Le dépistage par un seul typage viral permet la réduction de l’incidence du cancer du col (comparé au dépistage par frottis), quelle que soit la tranche d’âge étudiée (Sherlaw-Johnson).
Enfin, le typage viral permet de sélectionner la population à risque. En effet, 25 % des femmes porteuses d’une charge virale élevée en HPV oncogènes développeront un Hgsil dans les quinze ans, alors que les femmes HPV négatif ne développeront une Hgsil que dans 0,05 % des cas.
La performance accrue du dépistage découlera certainement de la pratique des prélèvements en phase liquide et de la réalisation du typage viral. Mais cette optimisation a un prix, et la question qui se pose est de savoir si la société est prête à ce surcoût ; charge aux investigateurs travaillant sur le sujet de démontrer aux organismes payeurs quels en sont les bénéfices médicaux, voire financiers.
(1) Service de gynécologie-obstétrique.
(2) EA 2085.
CHU Saint-Jacques, Besançon.
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