Les républicains ont incontestablement remporté les midterm elections, pour plusieurs raisons : parce que, traditionnellement le parti majoritaire perd des sièges au milieu du mandat présidentiel et que les républicains ont évité ce phénomène naturel, pour la première fois depuis 1994, l'année où Bill Clinton a fait gagner les démocrates ; ensuite parce qu'ils ont renforcé leur faible majorité à la Chambre et reconquis, mais de justesse, la majorité au Sénat ; enfin parce qu'ils ont gagné quelques gouvernorats.
C'est d'autant plus une victoire pour George W. Bush qu'il s'est fortement impliqué dans la campagne à laquelle il a consacré beaucoup de temps et de voyages (et des sommes faramineuses). Et comme l'a fort bien dit Tom Daschle qui, jusqu'à mardi, était le chef de la majorité démocrate au Sénat, les candidats républicains ont été élus non pas pour eux-mêmes mais parce que M. Bush est resté très populaire.
L'obsession du terrorisme
L'Amérique est tout simplement obsédée par la lutte contre le terrorisme et même par la perspective d'une guerre contre l'Irak ; elle a placé au deuxième rang toutes ses autres préoccupations. Face à ce consensus populaire, les démocrates ne risquaient pas de mettre en avant les dangers de la politique de M. Bush. Au contraire, ils ont tenté désespérément de se hisser à son niveau de patriotisme et de fermeté.
Le monde doit tirer la leçon de ce phénomène. Il doit comprendre que l'Amérique ne prend pas un coup aussi sévère que les attentats de New York et de Washington sans se venger. Le peuple américain n'a toujours pas digéré l'agression sans précédent dont il a été victime et d'ailleurs les commémorations de nine-eleven (11 septembre 2001) se multiplient après le premier anniversaire.
En Europe, on a tout à fait le droit de penser que M. Bush incarne une politique excessive, imperméable aux idées de ses alliés, arrogante dans des domaines comme l'environnement, et cynique quant à ses relations avec le monde des affaires. Mais M. Bush risque de durer. Les midterm semblent lui garantir un second mandat. C'est donc avec ce président-là, cette Amérique-là qu'il va falloir composer, peut-être pour les six ans à venir, six ans qui seront riches en conflits internationaux, l'Irak peut-être, mais qui sait ? l'Iran ou la Corée du Nord.
Une majorité courte
Ce qui compte dans cette affaire, ce n'est pas que les démocrates aient perdu ; M. Bush ne dispose pas d'une majorité écrasante et, pour faire passer une loi, une majorité ric-rac ne suffit pas. Il n'y a pas de disposition législative majeure qui ne requiert au moins les voix de 60 sénateurs (ou 60 % des voix).
Ce qui compte, c'est que beaucoup d'élus démocrates soit n'osent pas se dresser contre le père de la nation en danger, soit adhèrent complètement à son point de vue ; et que, pour beaucoup de décisions capitales, comme la guerre avec l'Irak, M. Bush dispose bel et bien des voix de son parti et d'un pourcentage confortable des voix de l'opposition.
On ne voit vraiment pas, dans ces conditions, comment la seule superpuissance, qui a adopté un budget militaire de 330 milliards de dollars et qui fera ce qu'elle dit, à savoir qu'elle pourchassera ses ennemis partout où ils se trouvent, s'embarrassera longtemps des subtilités de la diplomatie si chères à la France et à l'Europe.
Si on cherche une explication au comportement de Tony Blair, le Premier ministre britannique, raillé comme le « coursier » de l'Amérique qui obéit au coup de sifflet de son patron à Washington, elle est là : réaliste, M. Blair, qui avait une affection profonde pour Bill Clinton, n'a pas voulu distendre ses liens avec Washington au seul motif que M. Bush est réactionnaire. Comme il l'a répété récemment, les Anglais sont aux côtés des Américains parce qu'ils les ont trouvés quand ils ont eu besoin d'eux, parce qu'il y a des gestes qu'on n'oublie pas et parce que les menaces qu'ils tentent d'écarter aujourd'hui sont bien réelles.
Il est bien possible que M. Bush se méprenne sur sa capacité à déclarer la guerre à une partie du monde et de la gagner à terme. Mais on lui assez fait le procès d'une intelligence et d'une culture médiocres (il sort quand même de Harvard) pour ne pas voir en lui un visionnaire qui aurait repris à son compte la théorie de Huntington d'un conflit de civilisations entre l'Occident et le monde arabo-musulman. Il se considère plutôt comme un policier qui réprime le crime. Si les auteurs des attentats avaient été lapons, il aurait rasé la Laponie.
C'est une constante que non seulement les ennemis de l'Amérique, mais ses alliés, doivent compter dans leurs calculs. La riposte américaine peut être d'une puissance inouïe et elle peut être longue ou différée. Le comportement de M. Bush, qu'on le soutienne ou non, n'a plus rien à voir avec celui de son prédécesseur, qui n'a répliqué aux attentats contre des ambassades américaines en Afrique en 1999 qu'en lançant des tomahawks sur l'Afghanistan et le Soudan (lequel, d'ailleurs, n'était nullement concerné). Mais, avec le recul, on est en droit de se poser la question : si Clinton avait envahi l'Afghanistan en 1999, les attentats contre les Twin Towers et le Pentagone auraient-ils jamais eu lieu ?
Bien parler ne suffit pas
Il en va de même pour l'Irak. Encore une fois, une action militaire contre ce pays nous semble prématurée, d'autant qu'elle n'aurait pas, comme en 1991, le prétexte d'une provocation sans précédent, l'invasion du Koweit. Mais comme on ne sait pas grand-chose de Saddam Hussein, sinon que c'est un brigand sans foi ni loi, on en sait encore moins sur ce qu'il nous prépare. L'Europe, où on arrête presque tous les jours des terroristes appartenant à des réseaux réactivés, risque de s'opposer à une démarche américaine qui trouvera plus tard sa justification.
Jacques Chirac parle d'or quand il dit que le monde n'a pas besoin d'une nouvelle guerre et Hubert Védrine (ancien ministre des Affaires étrangères) a raison quand il estime que les Etats-Unis feraient mieux d'intervenir au Proche-Orient et trouver une solution au conflit israélo-palestinien. Le problème vient de ce que M. Bush perçoit l'intifada comme une forme aiguë de terrorisme et que les victimes des attentats contre les bus sont à ses yeux les mêmes que celles des Twin Towers. On est, ici et là, très pessimiste sur l'issue des élections en Israël et sur le pouvoir particulièrement dur qui pourrait en sortir. Mais, de ce point de vue, les Israéliens ne sont pas différents des Américains. Contre le crime, eux aussi veulent un policier qui extermine les gangsters ; et quand des pacifistes européens volent au secours de Yasser Arafat cerné dans sa Muquataa, non seulement leur geste est dérisoire et inefficace, non seulement il réduit le problème à un seul facteur, les droits des Palestiniens, mais il oublie que la répression israélienne, comme la répression américaine, est dictée par la violence que subit un peuple agressé. Et ils devraient, tout en exaltant la cause palestinienne, prendre aussi un ticket de bus à Tel-Aviv, toujours au nom de leur pacifisme affiché.
Cette immense vertu européenne, qui consiste à lutter contre la violence par des moyens gradués, ne peut-être exercée en vérité que si l'Europe se transforme en grande puissance militaire. Certes, élu et confirmé, M. Bush fait ce qu'il veut quand bon lui semble. Mais vous ne pouvez pas opposer que des mots à cet homme-là, il demandera combien vous avez de divisions. Tant que l'Europe n'aura pas une armée crédible, sa diplomatie apparaîtra, à ces gens qui ne sont pas du tout ses amis, comme une alternative confortable à la détermination sans failles de M. Bush et des Américains.
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