QU'ON NE S'ATTENDE pas à visiter une exposition de peinture : ce parcours est pluridisciplinaire et revendiqué comme tel. Quelques toiles, mais aussi beaucoup de sculptures, d'objets d'art décoratif ou d'art graphique, de croquis d'architecture, de photographies, œuvres dont la plupart sont dévoilées en France pour la première fois, grâce aux prêts de la galerie Tretiakov de Moscou, du musée-réserve d'Etat de Smolensk et du musée d'Etat Lev Tolstoï de Moscou, entre autres.
L'exposition ne prétend pas dresser une rétrospective de la production russe de la seconde moitié du XIXe, mais entend illustrer ce formidable retour aux sources nationales, mythes et histoire, que connut la Russie depuis les années 1850 et la fin de la guerre de Crimée, jusqu'à la Révolution de 1917, et qui vit l'émergence d'un authentique art populaire.
L'art accompagna le fort mouvement qui renforçait alors chez le peuple russe la conscience de son identité. En témoignent les éclatants paysages sur toile de Kouindji, de Lévitan ou de Nesterov, dans les premières salles de l'exposition, magnifiques étendues au trait précis et léché, espaces infinis qui répondaient au sentiment d'appartenance à « la terre russe » et d'exaltation d'une « nature nationale ».
Entre-temps, en 1863, un groupe de jeunes artistes se constitue, en opposition à l'Académie et à ses sujets imposés. C'est la « révolte des quatorze », qui revendique la référence de la peinture aux sujets russes contemporains. Répine, Kramskoï, Savistski, Iarochtchenko, entre autres, se lancent alors, en dépit de la censure, dans une œuvre qui traite de la réalité sociale et politique.
Les artistes de l'époque se délivrent de la tradition et de l'inspiration occidentales. Ils recherchent une identité propre, nourrie à la relecture des littératures légendaires ou historiques (contes slaves ou récits de faits d'armes) et inspirée de l'art populaire. Les louboks (estampes traditionnelles) sont exploitées par les peintres, la broderie paysanne est remise au goût du jour, de grandes collections d'objets en bois sculpté ou peint (pièces de vaisselle), de pièces en métal ouvragé et de céramiques se constituent, qui font revivre et qui vont enrichir le patrimoine.
Vroubel, artiste multidisciplinaire.
Mais c'est le mouvement néo-russe qui constitue l'un des aspects majeurs du retour aux sources nationales. Il prend place dans deux centres de créations bien définis : Abramtsevo, près de Moscou, et Talachkino, près de Smolensk. De ces familles d'artistes, se détache la grande figure multidisciplinaire de cette fin du XIXe, Vroubel, qui pratiqua tous les arts, et qui fut à la fois imprégné par l'héritage russe et désireux d'innovation : décors et costumes pour des opéras, céramiques, sculptures décoratives inspirées d'opéras bylines de Rimsky-Korsakov, architecture, peintures...
Le mouvement néorusse s'exprime aussi à travers les œuvres des peintres Roerich et Vasnetsov (voir de ce dernier l'étonnant Ivan Tsarevitch sur le loup gris de 1889), du dessinateur Bilibine, illustrateur attitré des contes populaires de son pays, du sculpteur Konenkov avec ses bois sculptés, du décorateur Malioutine, qui traite la symbolique païenne, ou encore de l'architecte Ropet, inspiré par les constructions ancestrales en bois, les motifs des broderies et les ornements des anciens manuscrits.
Cette fidélité à l'héritage, cette glorification du passé et des traditions sera également l'un des fers de lance des artistes du mouvement néoprimitiviste dans les années 1905-1910. Gontcharova, Larionov ou Malevitch exalteront dans les premières années de leur création les traditions nationales, notamment à travers l'évocation du monde paysan.
Passionnante est cette synthèse entre l'exploitation des thèmes appartenant à l'histoire et la volonté de renouvellement qui peu à peu l'accompagna. C'est dans ce ressourcement que les grands peintres russes du début du XXe siècle trouvèrent l'énergie qui leur permit de transcender l'histoire sans la trahir, comme dans un souci de purification. Le mot de Malevitch, « Purifiez-vous de l'accumulation des formes appartenant aux siècles passés », résume parfaitement cette synthèse.
« L'Art russe dans la seconde moitié du XIXe siècle : en quête d'identité ». Musée d'Orsay, 1, rue de la Légion-d'Honneur, Paris 7e. Tél. 01.40.49.48.00, www.musee-orsay.fr. Jusqu'au 8 janvier.
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