LA SANTE EN LIBRAIRIE
L E premier vilain petit canard mis en scène par Boris Cyrulnik est Barbara, le dernier, Georges Brassens, mués en cygnes grâce au chant et à la poésie. A côté des Jean Genet, des Maria Callas et autres cygnes dont on sait plus ou moins les histoires originelles de vilains petits canards, se pressent en foule des « mal partis » de la vie qui, pour être restés anonymes, n'en ont pas moins accompli un chemin de résilience tout à fait remarquable. Il s'en trouve toujours un dont l'histoire, souvent romanesque, appuie à propos la démonstration de Boris Cyrulnik.
Ainsi, c'est un petit rouquin à « la gentillesse morbide » qui va servir de support à la mise en place des trois plans que nécessite selon l'auteur l'étude de toute résilience, et tout d'abord celui du tempérament personnel, forgé lors des interactions préverbales ; l'agression elle-même n'a de rôle qu'en fonction de la signification que le contexte familial et social va lui donner ; enfin, le soutien que ce contexte pourra ensuite accorder à l'enfant blessé, agressé, sera également déterminant pour la résilience.
Métamorphoser la douleur
D'emblée, l'auteur va insister sur cette part de créativité dont l'enfant va faire preuve pour « métamorphoser la douleur du moment » et en tirer des représentations fort différentes d'un enfant à l'autre, en puisant dans un pool de mécanismes de défense dont fait partie l'expression artistique, à côté du déni, de l'isolation, de la fuite en avant, de l'intellectualisation. Loin de tout déterminisme autorisant le racisme comme les hiérarchies et la tolérance au malheur, Boris Cyrulnik considère « le traumatisme comme un défi » à relever non seulement par chaque individu en fonction de ses ressources internes, mais aussi par tous pour apporter à chaque individu les ressources externes nécessaires.
Il faut donc penser résilience dès la mise en place des gènes lors de la conception, car « les déterminants génétiques existent, ce qui ne veut pas dire que l'Homme est génétiquement déterminé », comme le montrent les comportements induits chez les parents par les enfants atteints de certaines maladies, et en retour, les conséquences sur l'état de l'enfant. Il faut continuer à y penser pour le foetus, puis pour le nouveau-né, qu'atteignent à coup sûr les émois de la mère et qui « ne peuvent pas tomber ailleurs que dans l'histoire de leurs parents ». Les intervenants ultérieurs, le père en tête bien sûr, vont contribuer ensuite à solidifier, fragiliser, voire détruire, « l'échafaudage de la résilience », un échafaudage fait de biologie, d'affectif, de socio-culturel.
Une falsification créatrice
Viendra, après ce temps de la chenille, celui du papillon, celui de l'interprétation, de la représentation possibles. La longue histoire du « tricotage » d'une vie, en interaction avec les autres vies, prend alors un autre tour, celui d'une création permanente : ainsi par exemple le « combat héroïque » devient-il « mythe fondateur », la brume permet-elle de transformer l'horreur en passé « supportable et beau », le remaniement expressif de la blessure autorise-t-elle le lever du déni, et « la falsification créatrice transforme (-t-elle) la meurtrissure en organisateur du Moi ».
Décidément, « il est possible de s'en sortir », de mille et une manières, qui tiennent parfois au hasard saisi d'une rencontre, d'un mot. Mais dans un monde dont les exclusions vont sans doute s'aggraver, souligne l'auteur, il est temps de convoquer les politiques, les philosophes susceptibles de limiter le risque de blessures infligées aux enfants, les techniciens susceptibles de réparer les blessures, auprès d'enfants qui auront fort à faire pour « reprendre le cours de l'existence » grâce à la résilience.
« Les Vilains Petits Canards », Boris Cyrulnik, Editions Odile Jacob, 278 pages, 135 F (20,58 )
L'histoire d'une petite fille juive
C'est une histoire prise parmi tant d'autres à « l'expérience millénaire du malheur », celle d'une petite fille juive sur laquelle s'abattent la guerre de 40 et sa succession de séparations et de déracinements entre France et Roumanie. Madeleine Kahn n'a pas pu se décider à écrire l'histoire de son enfance à la première personne, ce qui n'enlève rien à l'intensité d'un récit que seule une psychanalyse aura pu libérer. Les 113 petites pages de cette autobiographie à peine déguisée derrière un prénom, glissent avec tant d'évidence que le jury du prix Littré n'a pu que les couronner.
Peut-être la petite Marina est-elle un bon exemple de cette résilience chère au cur de Boris Cyrulnik : séparée de ses parents français pour aller rejoindre sa grand-mère roumaine lors de la naissance d'un petit frère, elle ne pourra repartir en France et subira de plein fouet l'antisémitisme ambiant, puis l'invasion allemande. Oncle fusillé avec les hommes du village, exode en wagon à bestiaux puis à pied, séjour en camp de concentration, puis dans un couvent de religieuses, retour chez des parents autoritaires et peu compréhensifs, autant d'événements subis qui auraient pu obérer sérieusement l'avenir de Marina. Mais au plus noir du malheur, se trouveront une grand-mère pleine d'affection, une tante salvatrice, une religieuse maternelle, qui, peut-être, aideront Marina à grandir et à trouver dans « la médecine » de quoi ensevelir « lentement le passé ». Aujourd'hui, Marina-Madeleine, après avoir donné 27 ans à la médecine, après avoir fait un doctorat d'histoire, penche plutôt vers la littérature et prépare son deuxième ouvrage, qui mettra en scène une étudiante en médecine, mais cette fois, une étudiante de fiction.
« L'Echarde », Madeleine Kahn, Editions des Ecrivains, 116 pages, 109 F (16,62 )
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