UN PRÉAMBULE saisit d’emblée le lecteur qui a envie de réfléchir (autant dire tout le monde). L’auteur montre qu’on pense spontanément son époque comme normale. Forcément, car « le présent, c’est là où j’habite ; il conserve donc toujours en lui la petite familiarité de la maison, à côté de quoi le passé semble prodigieusement bizarre ».
Il en résulte que même si nous nous complaisons à un moment donné dans l’évaluation d’un mieux ou d’un pire, il est presque impossible de juger que « notre époque est monstrueuse ». Suivez son regard...
À preuve, « dans la quotidienneté de son exercice, le nazisme devint très vite assez normal ». Une démonstration qui a deux conséquences. La première est que l’horreur inouïe de la Shoah, à laquelle malgré tout le nazisme ne se réduit pas, cache l’existence de ce que Foucault nommait « des dispositifs de pouvoir » rendant possible l’abomination avant même qu’elle ne se mette en place.
La seconde conséquence, c’est ce que ce manque de relativisme empêche de voir clairement : notre époque, puisque nous la coupons de son histoire. « De quelle anormalité nous sommes-nous accommodés, quelle est la bizarrerie de notre normalité », questionne Lagandré avant d’entrer en vrille dans le fonctionnement de nos vies quotidiennes.
Il faut donc casser l’Histoire, déconnecter l’individu de son immersion, de son historicité, et présupposer une communauté de Nature entre les êtres. Ce fameux « lien de sang », cette consubstantialité biologique n’est-elle pas la ruse utilisée par le totalitarisme absolu, reprise par le pouvoir en place aujourd’hui ? Une complicité canaille s’installe, dont on verrait un exemple dans le tutoiement systématique. Ajoutez-y le mythe d’une France éternelle et pacifiée, donc totalement mythique, souvent évoquée par les discours élyséens.
Des pions ?
Prolongeant les études de Jean-Pierre Faye sur les langages totalitaires, l’auteur éclaire subtilement, non pas les mots violents du pouvoir mais ce qui, « dans la langue, produit des effets de pouvoir », en présupposant évident un monde qui ne l’est nullement.
Autre mécanisme, casser la démocratie représentative, ses pitoyables errements, son agaçante logomachie. « Aujourd’hui, le pouvoir ne représente plus le peuple : il est le peuple », nous est-il expliqué. Un pouvoir qui va utiliser chaque individu comme molécule relais qui diffuse partout. Il nous semble pourtant que le national-socialisme s’est avant tout établi sur une terreur-fascination supposant beaucoup de verticalité. Un pouvoir, enfin, qui, présupposant une société sans crime, va multiplier les législations de circonstances ou prévenir toute infraction possible (on pense au « Minority Report » de Spielberg).
Sommes-nous vraiment les pions sans individualité ni liberté de cette « société intégrale », manipulée sans cesse par un pouvoir machiavélique ? Notre royaume est une prison, s’exclame Cédric Lagandré avec une réelle force de conviction. Son utilisation de la référence nazie ( « Redutio ad hitlerum ») en fait pourtant aussi un inquiétant apprenti-sorcier.
Cédric Lagandré, « la Société intégrale », Climats, 87 pages, 12 euros.
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