DANS LE DOMAINE du cardio-vasculaire, on a longtemps souligné le rôle positif des estrogènes : amélioration du profil lipidique par hausse du HDL, baisse du LDL, cholestérol, action antioxydante, inhibition de l’agrégation plaquettaire...
L’étude HERS avait déjà alerté sur l’absence de prévention cardio-vasculaire du THS.
La publication en juillet 2002 de la Women’s Health Initiative (WHI) a conforté cette notion, montrant, chez les femmes étudiées dans cette étude, une augmentation de la pathologie cardio-vasculaire globale aussi bien avec l’association estroprogestative qu’avec les estrogènes oraux seuls.
La même WHI confirmait l’augmentation du risque d’accident thromboembolique veineux déjà connu grâce à la publication des études antérieures, ainsi que celle de survenue de cancer du sein.
L’étude WHI était planifiée pour durer 8,5 années, elle a été arrêtée au bout de 5,2 ans. Les observateurs estimaient que les risques étaient devenus supérieurs au bénéfice.
En août 2003, une étude britannique, la Million Women Study (MWS) confirmait ces résultats.
A la suite de ces publications, les agences américaine, européenne et française du médicament ont restreint l’utilisation du THS.
Largement influencés par les médias, les prescripteurs et les patientes ont été désorientés. De ce fait, le nombre de femmes traitées a chuté de 45 % entre 2002 et 2004.
La publication de l’étude E3N en France, en novembre 2004, apportait pourtant des résultats rassurants, puisqu’elle concernait 100 000 femmes âgées de 40 à 65 ans en 1990, soit au début de l’étude. Il s’agissait donc de femmes « françaises » prenant un traitement « à la française ».
Les premiers résultats montraient que l’association estrogènes cutanés (timbres ou gel)-progestérone naturelle n’augmentait pas le risque de cancer du sein.
Les traitements utilisant d’autres progestatifs avaient les mêmes risques de cancer du sein que ceux décrits dans les autres études (WHI, MWS).
Lors du 11e Congrès mondial sur la ménopause (Buenos Aires, 18-22 octobre 2005), les résultats plus précis de cette étude de cohorte française ont confirmé que, après six ans de traitement environ, seuls des THS associant la progestérone naturelle micronisée aux estrogènes administrés essentiellement par voie cutanée n’augmentaient pas le risque de survenue d’un cancer du sein.
Lors du même congrès, tous les spécialistes ont remis en cause les populations de femmes qui avaient participé à la WHI et à la HERS : femmes de 63 ans en moyenne, en surpoids, voire obèses (IMC égal ou supérieur à 30), diabétiques, plus d’un tiers étaient traitées pour hypertension, 10,5 % étaient fumeuses et 40 %, d’anciennes fumeuses.
Les traitements utilisés associaient surtout les estrogènes équins à l’acétate de médroxyprogestérone, voire estrogènes équins seuls, chez les femmes hystérectomisées.
En France, les traitements sont généralement instaurés vers la cinquantaine au moment du début de la ménopause.
Cette association « française » est également intéressante à considérer s’agissant de risque thromboembolique veineux. L’étude français ESTHER (Estrogen and Thrombo Embolism Risk), déjà présentée en 2003 et dont les derniers résultats ont été divulgués lors du congrès, a montré que les estrogènes administrés par voie cutanée, contrairement à ceux par voie orale, n’augmentent pas le risque thromboembolique veineux.
L’étude E3N.
L’étude E3N a été coordonnée, en France, par Françoise Clavel-Chapelon. Il s’agit de l’étude épidémiologique de l’Education nationale, prospective, qui a pour objectif l’évaluation des facteurs de risque de cancer et de maladies chroniques chez la femme (traitements hormonaux, alimentation, facteurs reproductifs, mode de vie, sport, etc.).
Cette cohorte est composée de 98 995 femmes adhérentes à la Mgen (Mutuelle générale de l’Education nationale), nées entre 1925 et 1950. Le suivi s’est fait par un autoquestionnaire envoyé tous les deux ans depuis 1990 ; le dernier a été adressé en juillet 2005. Les données publiées en octobre 2005 recoupent les renseignements recueillis entre 1990 et juillet 2002. Sur 98 995 femmes incluses au début, 69 647 ont été retenues et suivies.
Le pourcentage de la répartition est le suivant : 70 %, estrogènes cutanés, 28 %, estrogènes oraux. Les associations avec les différents progestatifs sont transcrites sur le schéma ci-dessus.
La durée de survie moyenne a été de 7,7 ans.
Pendant cette période, le traitement a été suivi en moyenne pendant 5,5 ans. Le nombre total de cancers du sein diagnostiqués a été de 1 896.
Il en résulte que le risque relatif (RR) de cancer du sein est de 1,4 (intervalle de confiance : 1,2-1,6).
Quelle que soit la voie d’administration, orale ou transdermique, des estrogènes (17 ß-estradiol), l’association d’un progestatif de synthèse augmente significativement le risque de cancer du sein. RR = 1,8 dans le cas de l’acétate de chlormadinone, de la médrogestone, de l’acétate de médroxyprogestérone, de l’acétate de nomégestrol, de la promégestone, de l’acétate de noréthistérone : RR = 1,3 (statistiquement significatif) pour la dydrogestérone (rétroprogestérone).
L’association progestérone micronisée-estrogènes n’est pas responsable d’une augmentation du risque de cancer du sein (RR = 1).
L’étude E3N, contrairement à la WHI, retrouve une augmentation significative du risque (RR = 1,4) en cas d’utilisation des estrogènes seuls.
Les cancers du sein apparus sous THS sont, d’après cette étude, plus souvent des cancers lobulaires que des cancers canalaires. Ces tumeurs possèdent, le plus souvent, des récepteurs (ER+).
La prolongation de la cohorte E3N confirme donc la différence d’effet entre la progestérone micronisée et les progestatifs de synthèse sur le risque de cancer du sein, même après six ans de traitement.
Etude ESTHER.
L’augmentation des accidents veineux thromboemboliques (Avte) était, avec celle des cancers du sein, la cause principale d’arrêt de l’étude WHI.
Ces Avte surviennent surtout pendant la première année d’une estrogénothérapie administrée peros.
Oger et coll. (2003) avaient déjà confirmé l’existence de ce risque et son rapport avec la voie de prise des estrogènes.
P. Y. Scarabin, en 2003, a publié l’étude ESTHER montrant que, chez les femmes sous THS, seules celles utilisant des estrogènes peros avaient un risque accru d’Avte.
La poursuite de l’étude a permis de conforter ces données ; lors du congrès de Buenos Aires, elle a permis d’évaluer l’impact thromboembolique veineux du progestatif associé aux estrogènes.
M. Canonico a insisté sur le fait que le risque veineux sous estrogènes oraux est augmenté, quel que soit le progestatif associé (OR = 4,9).
En revanche, les femmes sous estrogènes cutanés, en comparaison avec les non-utilisatrices, ont un OR qui varie en fonction du progestatif qui leur est associé :
– estrogènes cutanés seuls : OR = 0,9 (IC 95 %, 0,4-2) ;
– estrogènes cutanés + progestérone naturelle micronisée : OR = 0,6 (IC 95 %, 0,3-1,2) ;
– estrogènes cutanés + progestatif preégnane : OR = 1 (IC 95 %, 0,6-1,8) ;
– estrogènes cutanés + progestatif norprégnane : OR = 3,2 (IC 95 %, 1,7-5,9).
P. Y. Scarabin a également étudié l’impact de la voie d’administration de l’estrogène suivant la présence ou non d’une anomalie de la coagulation (mutations thrombogènes). En l’absence d’anomalie, les femmes traitées par estrogène transdermique ont un risque identique (OR = 1,2) à celles ne prenant pas de traitement (OR = 1), alors que celles prenant les estrogènes par voie orale ont un risque significativement accru (OR = 4,1).
Il a insisté sur le fait que les Avte sont essentiellement liés à la prise d’un THS par voie orale, surtout pendant la première année d’utilisation, et plus particulièrement chez les femmes à risque.
THS et maladies cardio-vasculaires.
Les effets positifs des estrogènes sur les marqueurs du risque cardio-vasculaire sont connus. Pourtant, les résultats des études HERS et WHI ont semé le doute sur les conclusions des nombreux travaux parus auparavant à ce sujet.
Les experts européens, lors des deux dernières années, notamment lors du congrès de Buenos Aires, ont insisté sur les limites de ces deux études de cohorte. Les estrogènes utilisés étaient essentiellement les estrogènes conjugués équins par voie orale et le progestatif associé, le médroxyprogestérone acétate.
L’âge moyen des patientes de la WHI, on le sait, était de 63 ans.
Les résultats obtenus par Clarkson sur les guenons stérilisées recevant une alimentation proathérogène ont également montré que les estrogènes administrés tôt, avant l’apparition des plaques d’athérome, avaient un effet bénéfique (« International Journal of Fertility », 2002 T. 47).
On s’interroge donc aujourd’hui sur l’influence de l’âge du début de traitement et sur le choix des produits et de leur voie d’administration.
Deux publications très récentes aux Etats-Unis se sont, d’ailleurs, également intéressées à ce problème.
Fr. Grodstein (« Journal of Women’s Health », vol. 15, 2006) a repris comme base la Nurses’Health Study de Boston. Les patientes ménopausées ont été suivies de 1976 à 2000. Celles ayant commencé le THS très tôt ont une diminution significative du risque relatif de maladies coronariennes (0,66 avec les estrogènes seuls et 0,72 avec les estrogènes plus progestérone). Les auteurs de cette étude insistent donc sur le rôle joué par le moment de la première prise du THS par rapport au début de la ménopause dans la prévention du risque coronarien.
Les investigations de la WHI, de leur côté, ont repris cette étude et différencié les patientes traitées par estrogènes conjugués équins selon le moment de la première prise par rapport à l’âge de la ménopause (« Arch Int Med », 2006).
On le sait, les patientes étudiées avaient un âge compris entre 50 et 79 ans (63,6 ans, en moyenne).
Dans le groupe 50-59 ans, les estrogènes conjugués équins auraient un rôle bénéfique sur les maladies coronariennes ; en revanche, les accidents sont plus nombreux chez les femmes de plus de 70 ans.
Une étude est en cours, l’étude KEEPS. Elle sera menée par huit centres nord-américains pendant cinq ans. Sept cent vingt femmes ménopausées âgées de 42 à 58 ans ont été incluses. Trois groupes de traitement sont étudiés :
– 0,45 mg de CEE (estrogènes conjugués équins oraux)/jour + progestérone micronisée (200 mg/j pendant 12 jours/mois) ;
– 50 µg/j d’estradiol transdermique + progestérone micronisée ;
– placebo.
Les résultats devraient mesurer l’effet d’une hormonothérapie précoce sur la plaque d’athérome (taux de lipides, de la protéine C réactive) et la différence possible existant entre les traitements utilisés, notamment sur les marqueurs du risque cardio-vasculaire (taux de lipides, de la protéine C réactive).
Les principes de bonnes pratiques.
Au vu des récentes publications, il faut donc retenir que les traitements le plus souvent proposés en France et dans d’autres pays européens sont justifiés, à condition de respecter les principes de bonne pratique.
L’Afssaps a précisé en mai 2004 : «Chez une femme présentant des troubles du climatère gênants ou perçus comme tels et qui consulte à cet effet, les THS sont, quel que soit le statut de la patiente vis-à-vis de l’ostéoporose, recommandés en première intention. Les surrisques démontrés ou suspectés ne remettent pas en cause à eux seuls l’indication du THS.»
En octobre 2004, cet organisme a précisé : «Le traitement hormonal de la ménopause (THM) est indiqué (chez la femme ménopausée de 50 à 60 ans si T < 2,5 ou si T entre – 2,5 et – 1 au cas par cas) s’il existe des troubles climatériques, et la durée de sa prescription est fonction de ces troubles.»
Au vu des récents résultats, il est, en 2006, tout à fait licite de proposer aux femmes ménopausées une prise en charge lorsqu’elles se plaignent de troubles liés à leur déficit hormonal : bouffées de chaleur, sueurs nocturnes, arthralgies, troubles du sommeil, raideurs musculaires, etc.
Il faut obligatoirement établir avec l’intéressée la balance individuelle bénéfice/risque de ce traitement.
L’information doit être apportée de la façon le plus claire possible.
Le choix des doses, des molécules et de la voie d’administration se fera individuellement en fonction des pathologies ou des risques associés à chaque patiente.
A l’avenir ? D’autres voies d’administration possibles des progestatifs sont à l’étude : des gel vaginaux, des anneaux à la progestérone, par exemple.
Les DIU contenant du lévonorgestrel sont intéressants à envisager. Des études sont en cours dans les pays nordiques pour affirmer la non-nocivité sur le sein de ce produit administré par voie locale.
On pense à un nouveau dispositif plus petit, plus adapté à la taille de l’utérus des femmes ménopausées.
Il ne faut pas oublier, néanmoins, que la prise en charge de la femme ménopausée doit être globale. Elle ne se résume pas à la prescription ou non d’hormones. La prévention de l’ostéoporose, du cancer du sein et des maladies cardio-vasculaires passe aussi par une hygiène de vie : alimentation équilibrée, activité physique et arrêt du tabac doivent être recommandés.
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