Le parc hospitalier français est vieillissant. Le rénover - et parfois le reconstruire - coûtera pour les seuls CHU entre 25 et plus de 35 milliards de francs, selon les estimations (1). Soit plus d'un dixième de l'enveloppe dévolue chaque année à tout l'hôpital public pour son fonctionnement. Ou plus du quart de la dotation des CHU.
L'addition a de quoi donner des sueurs froides à l'administration. Elle n'est pas la seule. D'autres chiffres sont là pour montrer que le château hospitalier est aujourd'hui plus que branlant. Les 25 à 35 milliards nécessaires à la consolidation de l'édifice hospitalo-universitaire sont à comparer à ce que donne l'Etat aux hôpitaux via un fonds spécifique (2) pour leur « modernisation ». 500 millions de francs en 1998, 250 millions de francs en 1999, 800 millions de francs en 2000. A ce rythme, il faudra soixante ans pour financer tous les travaux nécessaires. Mais il est vrai que les hôpitaux ne comptent pas que sur la manne de l'Etat pour financer leur rénovation et recourent fréquemment à l'emprunt.
D'après les directeurs généraux de CHU, leurs établissements affichent déjà, en moyenne, un coefficient de vétusté de 0,6 point (un immeuble neuf a un coefficient de 1, un immeuble en fin de vie, un coefficient de 0). Et la vitesse de la détérioration de leurs bâtiments s'est récemment accélérée : + 16 % en cinq ans. Il n'y a donc plus de temps à perdre.
Un audit à venir
L'hôpital public ne connaît pas précisément son état de santé architecturale - la Conférence nationale des directeurs généraux de CHU est en train de plancher sur le sujet et doit rendre à la fin de l'année un rapport chiffré sur « les besoins en investissement » des établissements. Les professionnels et le ministère de la Santé ont toutefois leur petite idée de la situation et savent surtout de quoi elle découle. Un faisceau de causes s'entrelace pour aboutir au niveau actuel de dégradation. Les dates de construction des plus gros hôpitaux, les progrès techniques, les exigences croissantes des patients, les normes nouvelles, l'évolution de la démographie médicale, au fil des années, tout cela s'est conjugué pour démoder l'hôpital.
Quel âge ont les hôpitaux français ? Près de 60 ans pour certains, qui, comme de nombreux édifices publics, ont fait partie des programmes de reconstruction de l'après-Seconde Guerre mondiale. Deux fois moins pour d'autres, qui ont plutôt vu le jour au milieu des années soixante-dix. La majeure partie des CHU - c'est-à-dire de très gros hôpitaux, donc coûteux et à rénover - se rangent dans cette seconde catégorie. « Ce sont les lois Debré qui ont créé les CHU en 1958, indique un ingénieur hospitalier de la DHOS (direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des soins, au ministère de la Santé), elles se sont traduites par une vague de construction pour adapter le patrimoine aux nouvelles missions de ces hôpitaux régionaux et universitaires. Au bout du compte, les bâtiments nécessaires ont plutôt vu le jour entre 1970 et 1975. C'est ainsi que Rangueil à Toulouse, la Timone à Marseille, Pellegrin à Bordeaux, etc., construits sur des conceptions des années soixante, ont ouvert leurs portes dans les années soixante-dix ou quatre-vingt. »
« Edifiés à l'économie »
Trois conséquences. D'abord, tous ces hôpitaux quasi jumeaux « arrivent à obsolescence au même moment », observe Alexis Dussol, qui préside la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier. Ensuite, ainsi que le souligne Guy Vallet de la Conférence des directeurs de CHU, ces constructions datent d' « une période où l'on édifiait vite et plutôt à l'économie ». Sous-entendu, elles se sont rapidement dégradées. Enfin, la forme des bâtiments de l'époque - souvent des grandes barres - ne se prête plus que de loin aux organisations comme aux équipements actuels de l'hôpital. Elle manque aussi de souplesse d'adaptation. L'évolution des techniques médicales a creusé son sillon : aujourd'hui, les équipements médicaux supposent un environnement totalement différent de ce qu'ils requéraient il y a trente ans. La notion de confort hôtelier est passée par là : le temps où les chambres comptaient deux, voire trois lits, et ne comportaient pas de sanitaires est révolu. Les besoins de capacité en lits se sont réduits en même temps que diminuaient les durées moyennes de séjour. Fini aussi l'époque où chaque service avait son site opératoire. La nécessité de s'adapter, sous la houlette des ARH (agences régionales de l'hospitalisation), aux exigences des SROS (schémas régionaux d'organisation sanitaire) est apparue en 1996. Plus prosaïquement, le problème des parkings devient, quelquefois, insoluble.
Le casse-tête des normes
Et les CHU n'en finissent pas de courir après l'application des normes de sécurité incendie, anesthésique, périnatale, etc. Dans des murs trentenaires, c'est souvent une gageure. Lutter contre les légionelles quand les canalisations sont surentartrées demande plus d'énergie que quand le réseau d'eau est neuf. Parfois, l'exercice casse-tête de la conformité aux normes confine à l'absurde. Ainsi, beaucoup de CHU sont étiquetés « immeubles de grande hauteur », ce qui leur impose une réglementation spécifique. Ironie de l'histoire administrative, ils ont été construits alors que les « immeubles de grande hauteur », inventés en 1977, n'existaient pas. Aujourd'hui, c'est un secret de Polichinelle : rares sont les CHU qui ne dérogent pas aux règles. Celui de Toulouse mène depuis plusieurs années une opération de mise à niveau qui n'est pas près de se terminer. Il n'a rien d'un cas isolé.
Rénover ou reconstruire ?
Si certains établissements peuvent se transformer en « hôpital de l'an 2000 » par le biais de la rénovation, d'autres ont besoin d'être rasés et reconstruits. Adapter ou réinventer ? La question se pose systématiquement. S'il arrive, comme à Mantes-la-Jolie, que la structure des bâtiments ne laisse aucune possibilité d'adaptation et que la décision de reconstruction s'impose d'elle-même, le choix n'est pas toujours évident. Car ce n'est jamais un bâtiment vide qui est en jeu. L'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), qui doit décider de l'avenir de son hôpital de la Timone, résume le dilemme : « Une rénovation complète, pour être conduite dans un délai raisonnable, nécessiterait la fermeture de plusieurs services concomitamment ; celle-ci conduirait à une réduction de la capacité d'accueil qui n'est pas souhaitable et imposerait de trouver des solutions de "rocades" à proximité du plateau technique, ce qui n'est pas chose aisée. La nature des travaux de rénovation générerait également des nuisances difficilement compatibles avec une activité de soins et certaines technologies médicales. »
Rénover ou reconstruire ? Le coût de chacune de ces options, à court et à plus long terme, entre également en ligne de compte. Pour la Timone, l'AP-HM reconnaît que « la reconstruction d'un établissement neuf impliquerait une dépense plus élevée que la rénovation totale des bâtiments », mais souligne que, « dans un bâtiment neuf, l'architecture intégrerait les nouveaux modes d'organisation liés à l'évolution de la pratique médicale et des technologies qui lui sont associées ». Or, explique l'institution, « cette conception moderne de l'organisation des espaces, indépendamment de son aspect positif sur la prise en charge des patients, aurait également probablement des répercussions favorables sur le plan des coûts en personnels ».
Très sérieusement envisagée pour certains CHU, la reconstruction est également à l'ordre du jour - ou a été nécessaire - pour une cohorte de centres hospitaliers bâtis avant guerre (Rodez, Toulon, Cannes, Perpignan, Douai, Alès, etc.).
17 milliards de francs
de travaux par an
Des travaux sont en ce moment engagés ou programmés dans de très nombreux hôpitaux. Ce sont les ARH qui, par le biais des contrats d'objectifs et de moyens qu'elles signent avec tous les hôpitaux, établissent des priorités. Le CHU de Dijon, qui fermera en 2007 son Hôpital général, va ainsi construire un nouveau bâtiment de 60 000 m2. Le CHU de Lille rénove depuis cinq ans son hôpital Claude-Huriez et construit un nouvel hôpital psychiatrique. L'hôpital parisien Avicenne va faire peau neuve. Le CHU de Bordeaux s'apprête à construire un pôle « tête et cou » et à rénover sa maternité.
Bon an mal an, les hôpitaux arrivent à investir dans le domaine immobilier quelque 17 milliards de francs par an (2,59 milliards d'euros), qu'ils déduisent de la dotation globale ou que, plus souvent, ils se procurent par l'emprunt. Les projets que ces 17 milliards leur permettent de réaliser, si ambitieux qu'ils soient (1 milliard de francs à Dijon - 152,4 millions d'euros), restent cependant « marginaux » au regard de la tâche à accomplir.
(1) La fourchette basse (« entre 25 et 30 milliards de francs ») provient du ministère de la Santé ; l'estimation haute (« 35 milliards ») est celle des directeurs de CHU après un rapide sondage qui ne prend en compte ni Lyon ni Paris.
(2) Le FIHMO (Fonds d'investissement hospitalier pour la modernisation).
Les recettes du laisser-aller
La misère des locaux hospitaliers ne s'est pas installée du jour au lendemain. Il est indéniable qu'au fil des années, « on » a laissé, faute de moyens, le patrimoine se dégrader. Difficile de mettre un nom sur ce « on ». Les professionnels du secteur accusent l'Etat de s'être désengagé de l'investissement hospitalier en général. « En vingt-cinq ans, la mobilisation de fonds publics au bénéfice de l'investissement a été divisée par 16 », expliquait récemment dans nos pages le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Gérard Larcher. « Les subventions de l'Etat se sont taries à la fin des années 1980, dix ans après que les prêts sans intérêt de la Sécurité sociale ont disparu », renchérit Alexis Dussol, président de la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier.
Du côté des pouvoirs publics, c'est une vision des choses un peu différente qui prévaut. L'Etat, explique-t-on, a fortement mis la main à la pâte après-guerre, au moment où il a fallu reconstruire une partie du parc hospitalier. L'effort consenti aurait dû générer des amortissements, permettre ainsi aux hôpitaux de réinvestir. Cela n'a pas été le cas. En partie parce que, au détour des années 1980, les dépenses ont été concentrées sur l'équipement biomédical (très coûteux). Les gestionnaires avaient-ils le choix ? Auraient-ils pu, à l'époque, consacrer un peu moins d'argent à l'introduction de nouvelles technologies dans leurs établissements et s'occuper davantage de l'entretien de leurs bâtiments ? De mauvaises langues disent que oui, que des répartitions plus équitables étaient possibles. Elles ajoutent que c'est souvent sous la pression du corps médical que cette voie n'a pas été suivie.
Des canalisations aux menuiseries :
l'inventaire d'une détérioration
L'électricité, les systèmes de chauffage, les canalisations d'eau, les ascenseurs, le béton, les menuiseries... tout vieillit à l'hôpital. Les structures comme les équipements. Jusqu'à atteindre, dans certains cas, un point de non-retour. L'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) a ainsi répertorié ce qui, dans les murs de son hôpital de la Timone, était devenu obsolète. En matière d'électricité par exemple, l'institution explique que « les équipements installés à la Timone dans les années soixante-dix ne sont plus fabriqués », ce qui, faute de pièces de rechange disponibles, « pose des difficultés dans le cadre de la maintenance ». Le réseau eau chaude-eau froide de l'établissement est lui aussi en fin de course. « Les canalisations présentent des niveaux d'entartrage importants » et cela rend compliquée la « manuvre des organes de coupure des vannes », souligne l'AP-HM.
Ce scénario est valable dans bon nombre d'établissements. Certains des équipements à renouveler coûtent très cher. La sécurité électrique en fait partie. D'autres ont vieilli non pas parce qu'ils sont abîmés et menacent de ne plus fonctionner mais parce qu'ils ne sont plus adaptés à l'organisation de l'hôpital moderne. C'est souvent le cas des ascenseurs, dont la capacité ne correspond plus aux flux de malades soignés ou qui ne répondent pas à la nécessité de séparer les circuits des patients de ceux de la logistique.
Une vision plus que noire du piteux état - du « délabrement », dit-il - de certains hôpitaux parisiens est donnée par le Pr Philippe Even dans son dernier pamphlet (« les scandales des Hôpitaux de Paris et de l'hôpital Pompidou »). L'ancien doyen de la faculté de Necker évoque les « inondations à répétition des sous-sols à chaque grosse pluie (qui noient) la pharmacie et détruisent des millier de dossiers » dans plusieurs hôpitaux ; il cite aussi les « incendies des sous-sols de Necker où les radios brûlent à petit feu des jours durant ».
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