À la rentrée 2011, 220 postes n’étaient pas pourvus, 1 400 médecins de l’Éducation nationale devaient suivre plus de 12 millions d’élèves. Plus de 40 % d’entre eux devaient partir à la retraite d’ici à 2019, avertissait la Cour des comptes dans un rapport accablant sur une profession en partie laissée à l’abandon par son ministère de tutelle.
Trois ans plus tard, la situation de la médecine scolaire n’a pas connu d’embellie. Les postes vacants sont toujours plus nombreux (263 à la rentrée 2014...), laissant le soin des 12 millions d’élèves à moins de 1 100 praticiens, selon les chiffres du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU-UNSA Éducation). Sa secrétaire générale n’est guère optimiste. « Quatre collègues admises au concours, qui devaient commencer leur formation à l’EHESP de Rennes [École des hautes études en santé publique], ont démissionné cette année », explique le Dr Jocelyne Grousset.
Sur le terrain, la situation ne fait qu’empirer, et pas seulement en région parisienne. « Mon territoire, une partie de Reims et ses environs, englobe 13 000 élèves de la maternelle au lycée. Nous avons perdu la moitié de nos effectifs en six ans, entre les départs à la retraite et les défections au profit de l’assurance-maladie ou de la MSA », témoigne le Dr Sylvie Fontaine.
« Je cours beaucoup »
« La moitié des postes sont vacants », déplore une autre médecin scolaire, membre du SNMSU-UNSA, exerçant en Seine-Saint-Denis. Elle se partage donc entre les 27 établissements scolaires de son propre territoire (soit 8 500 élèves), les six autres de deux villes qui ne sont déjà plus couvertes, et l’inspection académique, qui accueille les élèves des secteurs sinistrés. La vingtaine de médecins scolaires du département doit également prendre en charge les quelque 4 000 élèves des lycées professionnels, à qui ils doivent fournir un « avis médical pour les travaux réglementés » avant le 31 décembre. « Je cours beaucoup. J’ai fait jusqu’à cinq établissements par jour. Nous sommes les rois du post-it ! » explique la médecin, qui préfère garder l’anonymat.
Selon le syndicat des médecins de l’Éducation nationale Force ouvrière (SMEDEN-FO), les médecins devraient superviser des secteurs ne dépassant pas 5 000 élèves, voire 3 000 à 4 000 dans les zones prioritaires.
Profusion de tâches
Les missions des médecins scolaires, jugées déjà trop nombreuses et non hiérarchisées par la Cour des comptes en 2011, ne se sont pas resserrées.
La loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’école précisait pourtant qu’elles devaient s’articuler autour de trois grands thèmes (protection, prévention, éducation) déclinés en sept axes. En vain. « Il n’y a pas eu de déclinaison concrète. On reste avec les anciennes missions, qui deviennent irréalisables. Une nouvelle circulaire a même allongé la liste des filières nécessitant un avis médical pour les travaux réglementés », déplore le Dr Grousset.
Après le départ à la retraite de sa consœur, le Dr Sylvie Fontaine a doublé ses consultations pour ces avis. Elle doit en outre s’occuper des enfants porteurs de handicap et des projets d’accueil individualisé (PAI) pour les malades chroniques, les enfants souffrant d’allergies alimentaires ou de diabète. Sans compter les examens à la demande ou les urgences. « On essaie de répondre vite, surtout pour les nouveaux PAI, en se disant que les renouvellements peuvent attendre jusqu’à fin octobre. Mais nos délais d’intervention sont de plus en plus longs », reconnaît-elle.
Fin de la visite des 6 ans
« La visite obligatoire des six ans, c’était 3/4 d’heure auparavant. L’an dernier, je n’ai pu voir que 20 % des 800 élèves de grande section », explique le Dr Fontaine (Reims). « On aime notre métier, mais on finit par laisser tomber la prévention ou le dépistage systématique des troubles d’apprentissage » déplore-t-elle.
« On priorise, on met des filtres, confie dans le même registre ce médecin scolaire de Seine-Saint-Denis. J’ai 170 élèves porteurs de handicap et 350 PAI à suivre. Quand j’ai un PAI dans une grande section, je m’arrange pour examiner les 26 élèves de la classe mais sinon, je distribue des questionnaires aux enseignants, je récupère les certificats des services de PMI et je compte sur les infirmières pour m’envoyer les enfants à problèmes ». Elle aussi doit rogner à regret sur les actions collectives de prévention.
Un projet de loi en retrait ?
« Le travail est passionnant. Mais on ne rendra ce métier attirant pour les jeunes qu’en revalorisant les salaires », juge le Dr Grousset. La modification de la grille salariale en 2012 a porté le salaire d’un médecin scolaire en début de carrière à 2 092 euros brut. Seulement 11 % des effectifs peuvent prétendre finir la carrière au grade de première classe (les autres suivant un échelonnement indiciaire jusqu’à 3 625 euros maximum).
Quelles perspectives ? Le projet de loi de santé de Marisol Touraine qui instaure un « parcours éducatif en santé » tout au long de la vie scolaire est jugé par les syndicats en-deça du parcours santé déjà prévu par la loi de refondation de l’école de 2013. « Il est indispensable de revenir à ce parcours santé, en expliquant qui fait quoi (parmi les médecins, enseignants, infirmiers, libéraux, PMI), à quel âge », insiste le Dr Grousset. Le SMEDEN-FO dénonce carrément l’« abandon de la médecine scolaire » par l’État, avec un projet de loi qui ne serait pas à la hauteur des enjeux (prévention des conduites à risque, prise en charge des enfants défavorisés). Le Dr Olivier Véran, député PS et rapporteur du volet « prévention/promotion de la santé » de ce projet de loi, ne ferme pas la porte. « Le sujet est en cours de réflexion, nous formulerons des propositions pour enrichir le texte », promet-il.
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