«GRÂCE AU modèle animal que nous avons développé, il est maintenant possible de reproduire en laboratoire cet état de cancer dormant et d'examiner directement les cellules cancéreuses qui sont tenues en échec par le système immunitaire», souligne dans un communiqué le Pr Robert Schreiber, professeur de pathologie et d'immunologie à la Washington University School of Medicine (St. Louis), qui a dirigé ce travail. «Cela nous permettra de voir si nous pouvons provoquer cet état sur le plan thérapeutique.»
L'étude, publiée dans la revue « Nature », est le fruit d'une étroite collaboration entre des groupes aux Etats-Unis (St. Louis, New York et Boston), en Australie (Melbourne) et en Italie (Brescia).
«Nous pourrions être capables un jour d'utiliser l'immunothérapie afin d'induire de façon artificielle l'équilibre et transformer le cancer en une maladie chronique, mais contrôlable», suggère le Pr Mark Smyth (Peter McCallum Cancer Center, Melbourne), autre membre de l'équipe. «Une bonne fonction immunitaire est maintenant reconnue comme un facteur important pour prévenir le développement de certains cancers. Avec des recherches supplémentaires et une validation clinique de ce processus, on pourrait peut-être transformer des cancers établis en une maladie chronique, comme d'autres maladies graves sont contrôlées au long cours par la prise de médicaments.»
Voici plus d'un siècle, on proposa que le système immunitaire pouvait être capable de reconnaître les cellules cancéreuses comme étant potentiellement nuisibles. La théorie dite d'immunosurveillance du cancer suggérait que, lorsque cette reconnaissance avait lieu, le système immunitaire pouvait attaquer les tumeurs avec les mêmes armes déployées pour éliminer les micro-organismes envahisseurs. Ainsi, les efforts d'immunothérapie actuels visent à promouvoir la reconnaissance et l'attaque du cancer par le système immunitaire.
Cette théorie a toutefois fait l'objet de controverses et, en 2001, Schreiber et coll. ont apporté une révision majeure en proposant un nouveau modèle, dit d'immunoediting. Ce modèle propose que le conflit entre le système immunitaire et le cancer peut avoir trois issues différentes : 1) élimination du cancer ; 2) équilibre (maîtrise de l'expansion des cellules transformées, mais pas d'éradication) ; 3) échappement (cellules tumorales variantes possédant une immunogénicité émoussée ou la capacité d'atténuer les réponses immunes), avec croissance vers un cancer cliniquement apparent.
Tandis qu'il existait de nombreuses preuves expérimentales à l'appui des processus d'élimination et d'échappement, celles-ci faisaient défaut pour la phase d'équilibre.
Cancer à partir d'un organe transplanté.
Ce processus d'équilibre était soupçonné essentiellement sur la base d'observations cliniques. Par exemple, certains cancers entrent en rémission spontanée pendant plusieurs années. Des organes transplantés ont pu transférer des cancers qui se sont développés chez des receveurs (traités par immunosuppresseurs) et qui n'étaient pas apparents chez les donneurs.
Koebel, Schreiber et coll. démontrent et caractérisent l'état d'équilibre dans un modèle de cancer chez la souris, induit par carcinogenèse chimique – un composant du goudron trouvé dans la fumée de cigarette (3-méthylchloranthrène ou MCA).
Des souris ont reçu une injection sous-cutanée de MCA à faible dose. Celles qui développaient des sarcomes ont été écartées, tandis que celles qui ne portaient que des petites masses stables au site d'injection ont été étudiées.
Les chercheurs ont constaté qu'en inactivant l'immunité adaptative (cellules T et IFN-gamma) des souris les masses jusqu'ici stables grandissent alors en sarcome.
L'équilibre est tenu par l'immunité adaptative, alors que l'élimination est connue pour requérir les deux types d'immunité, innée et adaptative.
Les cellules tumorales en équilibre sont hautement immunogènes, tandis que les cellules qui échappent à l'équilibre et deviennent des tumeurs grandissantes ont une immunogénicité atténuée.
«Nous avons utilisé un modèle expérimental pour montrer que le système immunitaire est capable non seulement de reconnaître et de détruire le cancer, tandis qu'il se développe (autrefois appelé immunosurveillance du cancer), mais aussi de maintenir le cancer dans un état dormant», explique au “Quotidien” le Pr Schreiber. Du fait de ce processus d'équilibre, un individu peut héberger des cellules cancéreuses dormantes pendant de nombreuses années sans présenter de signes cliniques du cancer. Toutefois, si le système immunitaire de cet individu est compromis, alors le cancer est libre de se développer de manière incontrôlée, et produit une maladie cliniquement apparente. Nous pensons que de nombreux facteurs peuvent entraîner une dépression du système immunitaire, comme le vieillissement, le stress et diverses influences environnementales.»
Selon les auteurs, ce travail peut avoir de nombreuses implications. «Premièrement, si nous pouvons découvrir les voies moléculaires et cellulaires qui conduisent à l'équilibre, nous pourrons peut-être induire par la thérapeutique un état d'équilibre dans les cancers. L'équilibre pourrait ainsi devenir un objectif alternatif de l'immunothérapie du cancer plutôt que l'éradication complète. Deuxièmement, nos résultats suggèrent que nous devrions être très prudents en interprétant les résultats actuels des tests carcinogéniques. Ces tests sont généralement conduits chez des animaux dotés de systèmes immunitaires intacts. Par conséquent, l'absence d'apparition clinique d'un cancer dans ces tests pourrait refléter aussi bien une maîtrise de la croissance du cancer par un processus d'équilibre que l'absence de carcinogénicité du composé. »
Ces résultats soulèvent également la possibilité que l'inflammation chronique puisse promouvoir le cancer en interférant avec la capacité de l'immunité adaptative à maintenir en équilibre un cancer occulte.
Des objectifs.
«Nous nous efforçons maintenant de: 1)définir la base moléculaire et cellulaire de l'équilibre dans le modèle tumoral de cette première étude; 2)généraliser ces résultats en utilisant différents modèles tumoraux et le cancer humain; 3)explorer des mécanismes qui pourraient favoriser le développement d'un état d'équilibre. Je pense que notre étude constitue un exemple important qui atteste que le système immunitaire peut vraiment affecter le développement du cancer d'une manière aussi bien qualitative que quantitative.
«Toutefois, l'influence de l'immunité sur le développement du cancer n'est pas égale dans tous les tissus, et il sera dès lors important dans le futur de déterminer pourquoi l'immunité est capable de contrôler le développement du cancer dans certains tissus, mais pas dans d'autres.»
Pour le Dr Cornelis Melief (Leiden, Pays-Bas), auteur d'un commentaire associé, «les implications de ce travail sont d'une portée considérable».
«La visualisation des lésions dormantes pourra permettre de caractériser les signatures moléculaires, estime-t-il, et de les comparer à celles des lésions devenues cancéreuses, même chez des hôtes immunocompétents. Une telle compréhension pourrait conduire au développement de nouveaux traitements, y compris des interventions pharmacologiques non immunes, pour convertir les cancers en lésions stables moins agressives. Une recherche plus profonde des tumeurs dormantes se justifie, ajoute-t-il, en particulier pour celles induites par les carcinogènes chimiques, comme celles qui peuvent être présentes chez les fumeurs.»
Koebel et coll., « Nature », 18 novembre 2007, DOI : 10.1038/nature06309, N&V de Melief.
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