« EN PHYSIQUE des particules, il était tout à fait naturel pour les physiciens travaillant sur les détecteurs des photons d'imaginer leur utilisation dans le domaine de la radiologie médicale », explique Georges Charpak. Le détecteur gazeux permet d'obtenir des images grâce à l'effet de la conversion dans un gaz sous pression tel le xénon, de photons X en électrons lesquels sont ensuite amplifiés et détectés par une chaîne électronique adaptée. Étant donné que ce détecteur est sensible à un photon X unique et insensible au rayonnement diffusé, il est possible d'obtenir des radiographies de grande qualité radiologique (comparable à celle d'une radiographie classique) tout en économisant considérablement les doses de rayonnements X. La deuxième innovation - des nouvelles techniques de reconstruction tridimensionnelle - est le fruit d'une collaboration entre les équipes de l'Ensam à Paris et de l'ETS à Montréal. Les reconstructions s'appuient sur l'identification directe de structures anatomiques en cohérence avec des contours radiographiques virtuels, la précision de reconstruction étant de l'ordre de 1 mm sur une vertèbre.
Ainsi, depuis 2003, le nouvel appareil EOS offre une solution digitale pour obtenir deux radiographies simultanées face et profil du squelette de la tête aux pieds en position débout, et de surcroît au prix d'une irradiation très faible du patient. Contrairement au scanner qui reconstruit le squelette à partir des segments fragmentés, EOS est un examen d'ensemble de l'individu comme par une vue d'avion, permettant en un seul cliché une étude axiale globale et une étude de la situation spatiale de chaque articulation par rapport aux autres articulations sus et sous jacentes.
Cette avancée technologique en radiologie est particulièrement importante pour la pratique orthopédique où les examens sont répétitifs et où les images fournies par scanner en position couchée ne sont pas une solution suffisamment performante pour le diagnostic et le suivi. Alors que la reconstruction tridimensionnelle en station débout permet de réduire la marge d'erreur inévitable due au passage de l'image de face à celle de profil et permet une évaluation très précise des repères avant l'intervention, par exemple déterminer la position idéale de la prothèse. Faut-il rappeler la grande fréquence des examens radiologiques (donc des doses délivrées) qui est souvent nécessaire en orthopédie pour vérifier l'évolutivité des déformations et leur contrôle après traitement orthopédique ou chirurgical ?
À Saint-Vincent-de-Paul.
La diminution des doses d'irradiation est considérée comme un avantage majeur au regard des suspicions sur les risques médicaux de l'irradiation excessive à long terme qui sont évoqués dans plusieurs publications (dont l'article « Risk of cancer from diagnostic X-rays dans « The Lancet » 363, 2004, vol. 9406).
L'appareil EOS a fait l'objet de l'essai clinique à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul en incluant 45 enfants scoliotiques. Les résultats de cet essai montrent que l'irradiation pour les examens classiques du rachis étaient réduits de huit à dix fois par rapport à la radiographie conventionnelle actuelle. Et la comparaison EOS/TDM avec reconstruction tridimensionnelle montre une diminution qui va d'un facteur 100 pour les organes génitaux et sternum et à plus de 600 pour la thyroïde. D'autres essais cliniques sont actuellement menés à l'hôpital Erasme à Bruxelles.
Les applications existantes et potentielles de l'appareil EOS sont multiples. En ce qui concerne la pathologie rachidienne, l'exploration globale du corps permet de mieux déceler les déformations et de mesurer les compensations qui se produisent au niveau non seulement du rachis mais de l'ensemble du corps dans l'équilibre et la fonction de l'individu. Les indications concernent le suivi évolutif des affections rachidiennes, des bilans préopératoires, la surveillance postopératoire visant à évaluer les déséquilibres et les compensations immédiates et à long terme, le contrôle des actions des corsets orthopédiques, la mesure de la capacité et du volume thoracique pour détecter les effets favorables ou néfastes des divers appareillages.
En remplacement des examens répétitifs et irradiants.
Quant aux membres inférieurs, le système EOS permet une meilleure étude des déformations au niveau du genou, qu'elles soient d'origine squelettique, ligamentaire ou musculaire, et d'apporter des renseignements plus précis sur le plan rotatoire 3D au niveau de la hanche. Ce qui amènera à terme à des études dans l'espace des remplacements prothétiques et à la création de nouveaux critères de contrôle de détérioration spatiale à distance. Bref, on entrevoit l'intérêt d'utiliser cette nouvelle technologie en remplacement des examens répétitifs et irradiants en pathologie ostéo-articulaire, tels que bilans répétitifs des affections rachidiennes, des bilans squelettiques du bassin et des membres inférieurs, des radiographies thoraciques de dépistage. Par ailleurs, on peut s'attendre à une extension des possibilités d'utiliser les détecteurs gazeux des photons dans l'analyse des tissus osseux ou d'autres tissus (muscles, ligaments, poumons) avec le système EOS à double énergie en cours de validation.
Il existe actuellement deux prototypes, l'un situé à l'Ensam, l'autre était à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul et actuellement à Bruxelles, et deux autres appareils sont en cours d'installation à Montréal. Le lancement sur le marché est envisagé pour l'année prochaine, le coût sera de l'ordre de la moitié de celui d'un scanner de dernière génération.
Conférence de presse à l'Académie nationale de médecine.
La mise au point de l'appareil d'imagerie EOS a été possible grâce à la collaboration de plusieurs équipes : Georges Charpak et Irène Dorion (Biospace instruments), Pr J. Dubosset, Pr G. Kalifa et Dr S. Ferey (hôpital Saint-Vincent-de-Paul), W. Skalli et F. Lavaste (Ecole nationale supérieure des arts et métiers), J. Deguise (laboratoire de recherche en imagerie orthopédique à Montréal).
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