Quand le sympathique s'emballe

Le syndrome du "coeur brisé"

Publié le 09/02/2005
Article réservé aux abonnés

LES CONSÉQUENCES potentiellement fatales du stress émotionnel sont bien ancrées dans la sagesse populaire, comme l'illustrent les expressions « être mort de peur » ou « avoir le cœur brisé ».
Ces dix dernières années, plusieurs études ont décrit la survenue chez des patients d'une dysfonction myocardique profonde mais réversible, provoquée par un stress émotionnel soudain. Toutefois, malgré une prise de conscience croissante de ce syndrome appelé cardiomyopathie de stress (ou, plus prosaïquement, syndrome du « cœur brisé »), son mécanisme demeure inconnu.
Dix-neuf patients affectés d'une cardiomyopathie de stress (entre fin 1999 et fin 2003) ont été étudiés par l'équipe du Dr Ilan Wittstein, cardiologue à la faculté de médecine de Johns Hopkins (Baltimore), pour identifier les caractéristiques cliniques qui distinguent ce syndrome de l'infarctus myocardique aigu, ainsi que sa cause.

Un tableau clinique bien spécifique.
Comme l'explique le Dr Wittstein, « après avoir observé plusieurs cas de syndrome du "cœur brisé" à l'hôpital Johns Hopkins - survenus, pour la plupart, chez des femmes d'âge moyen ou avancé -, nous avons constaté que ces patients présentaient des signes cliniques assez différents de ceux de l'infarctus du myocarde (IDM) classique, et que quelque chose de très différent se passait. Ces cas, de prime abord, étaient difficiles à expliquer, car les patients étaient auparavant en bonne santé et présentaient peu de facteurs de risque cardiaque. »
Les dix-neuf patients avaient été hospitalisés pour une douleur thoracique ou des signes d'insuffisance cardiaque, apparus immédiatement après un stress émotionnel intense. Dans la moitié des cas, cette vive émotion avait été provoquée par l'annonce d'un décès inattendu ; dans d'autres cas, elle avait été consécutive à une fête surprise, un vol à main armée ou un accident de voiture. Tous les cas, sauf un, sont survenus chez des femmes (95 %), souvent ménopausées (16/18) ; l'âge moyen des patients était de 63 ans. Trois d'entre eux ont nécessité un traitement de soutien hémodynamique par contrepulsion diastolique intra-aortique et un quatrième a eu une fibrillation ventriculaire.
L'angiographie n'a objectivé aucune maladie coronaire, sauf chez un patient, et le bilan sanguin n'a mis en évidence qu'une élévation minime des enzymes cardiaques (troponine I incluse).

Dysfonction ventriculaire gauche.
Dans la plupart des cas, l'électrocardiogramme a montré une profonde inversion de l'onde T et un intervalle QT prolongé au cours des 48 premières heures.
L'échographie a révélé une dysfonction ventriculaire gauche sévère, présente à l'admission (fraction d'éjection moyenne de 20 %) et, signe cardinal, une contraction affaiblie de la portion supérieure et moyenne du ventricule gauche, avec conservation de la fonction basale. Fait surprenant, la guérison a été bien plus rapide qu'après un IDM, avec amélioration de la fonction ventriculaire en quelques jours et guérison complète en deux semaines. Ces modalités évolutives tranchent totalement avec celles de l'IDM, dont la guérison partielle prend plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et qui laisse le myocarde endommagé de façon souvent définitive.
Les auteurs montrent pour la première fois que ces patients ont une activation sympathique exagérée, qui se traduit par des taux plasmatiques de catécholamines - adrénaline, noradrénaline, dopamine - (dosés chez 13 patients) 2 ou 3 fois plus élevés que ceux mesurés chez 7 témoins atteints d'un IDM, et de 7 à 34 fois supérieurs aux taux normaux, cela dès l'admission à l'hôpital et pendant la semaine suivante. Les métabolites des catécholamines (métanéphrine et normétanéphrine) sont également élevés, de même que les taux d'autres protéines liées au stress (neuropeptide Y, peptide natriurétique cérébral et sérotonine), ce qui confirme que le syndrome est induit par le stress.

Excès de catécholamines.
Les biopsies endomyocardiques (chez 5 patients) ont également mis en évidence des lésions en faveur d'un excès de catécholamines (infiltrat mononucléaire inflammatoire et, chez un patient, bandes de contraction avec nécrose des myocytes).
Le mécanisme qui relie la stimulation sympathique à la paralysie myocardique demeure toutefois inconnu. « Il reste à savoir comment les hormones de stress agissent pour paralyser le cœur, mais il existe plusieurs explications possibles qui feront l'objet d'études supplémentaires », indique le Dr Hunter Champion, un coauteur de Johns Hopkins. « Ces molécules pourraient provoquer un spasme microvasculaire, avoir un effet toxique direct sur le myocyte ou encore induire une surcharge intracellulaire en calcium perturbant temporairement la fonction myocytaire. »
Les auteurs concluent qu'un stress émotionnel sévère peut déclencher un type particulier de dysfonction myocardique transitoire.
Comme le souligne le Dr Wittstein, cette étude devrait aider les médecins à mieux faire la distinction entre cardiomyopathie de stress et infarctus du myocarde. Ils pourront ainsi rassurer leurs patients quant à l'absence de lésion cardiaque permanente.

« New England Journal of Medicine », 10 février 2005, p. 539.

> Dr VERONIQUE NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7685