Une fibre qui ne se repose jamais
Cendrillon, première levée et dernière couchée pour travailler, souffrait, mais a fini par rencontrer un prince charmant. Mis en évidence par Hagg et coll., le syndrome des fibres de Cendrillon peut se résumer ainsi : c'est l'histoire d'une fibre musculaire qui ne se repose jamais chez un individu sans espoir de rencontrer une fin heureuse… Résumé ainsi, le syndrome myalgique implique deux facteurs : le fonctionnement musculaire de l'individu et les facteurs d'environnement ou de stress, qui lui donnent une dimension psycho-socioprofessionnelle.
Diagnostic positif
La prévalence des douleurs du cou est importante, pouvant atteindre 40 % des salariés, en particulier du secteur tertiaire.
Il repose sur les critères de Hagberg (voir encadré). La douleur localisée à la palpation du trapèze moyen correspond à un « trigger point », zone normalement douloureuse à la pression forte, mais qui, dans le cas d'une myalgie, est sensible par une pression peu appuyée (abaissement du seuil de sensibilité ou hyperpathie du trapèze). Les « trigger points » correspondent à des zones proches de la plaque motrice du muscle riches en acétylcholine, nécessitant une oxygénation importante.
La palpation révèle un état de tension sévère permanent du trapèze moyen, parfois supérieur, qui apparaît dur et sensible. Ces douleurs peuvent être associées à des modifications posturales de la ceinture scapulaire, soit en élévation globale, soit en abaissement.
Qu'est-ce qui permet d'isoler ce tableau clinique ?
1) Données anatomopathologiques
En anatomie pathologique, différentes études ont montré des modifications pseudomyopathiques des fibres musculaires, avec des modifications de répartition entre les fibres I et II (les fibres de type I prédomineraient en nombre), des anomalies de la vascularisation capillaire caractérisées par un rapport capillaire/fibre diminué conduisant à une anoxie fonctionnelle locale. La teneur en ATP des fibres musculaires est diminuée, conduisant à une baisse des ressources en molécules énergétiques. La teneur en cytochrome oxydase et la présence de fibres musculaires « déchiquetées ou loqueteuses »(« ragged red fibers ») ne sont pas différentes entre les salariés exposés non myalgiques et les salariés myalgiques.
Il a été montré que ces fibres musculaires « déchiquetées ou loqueteuses » étaient le plus souvent des fibres de type I, fibres engagées dans un métabolisme oxydatif, lent, recrutées pour des postures prolongées ou pour des activités prolongées nécessitant de faibles contraintes de force.
2) Données électromyographiques
En électrophysiologie, il a été observé une diminution des phases de silence électrique au cours de l'activité isométrique (on sait, en effet, que toute activité musculaire tenue sans déplacement s'accompagne d'une alternance de phases électriques actives et de phases de silence ou de repos « gap », même si la résultante est une activité tonique isométrique musculaire), une activité électromyographique plus élevée au repos ; une persistance de l'activité électrique dans les trapèzes et le deltoïde au cours du sommeil.
Cette modification d'activité concerne aussi bien le côté atteint que le côté sain, sans aucun doute du fait de modifications spinales ou supraspinales. Ces modifications traduisent la responsabilité de modifications de l'activité motrice centrales médullaires ou corticales dans la genèse et la persistance des phénomènes douloureux du trapèze.
Facteurs de risque professionnels
Parmi les facteurs physiques et biomécaniques des cervicalgies au travail, certains sont non spécifiques car habituellement présents dans un environnement de « travail de force » : en isométrie, membres supérieurs en élévation, avec vibrations, mouvements intensifs et répétitifs sous une contrainte de temps forte.
Globalement, ce tableau douloureux musculaire est observé chez des salariés ayant un travail comportant des postures soutenues sur la musculature cervicale, ou des activités faibles, mais soutenues, des ceintures scapulaires, comportant souvent des postures assises. Cette affection douloureuse n'est pas le fait de l'hypersollicitation au sens biomécanique, ni de la surcharge physique au travail.
Un autre facteur biomécanique important est une insuffisance de repos au cours ou après le travail.
Facteurs psycho-socioprofessionnels
Il existe des facteurs organisationnels dans les trapézalgies posturales : faible contrôle de la charge de travail, exigence élevée au travail, faible soutien social (collectif de travail insuffisant ou inexistant), isolement familial (femme vivant seule avec un enfant), perception négative de l'état de santé, perception d'une situation de stress au travail. Plus globalement, la prévalence augmente avec l'insatisfaction au travail.
D'autres facteurs peuvent être mentionnés : le tabagisme qui peut être impliqué soit du fait de son action vasculaire générale, soit du fait de facteurs psychoaffectifs associés (faible soutien social, situations de stress personnels ou professionnels, niveau socioculturel), symptômes dépressifs, absence d'activité sportive, symptômes somatiques de stress, détresse psychologique.
Physiopathologie
1)Des mécanismes locaux
La contrainte de travail est souvent incriminée dans les affections musculaires observées chez les salariés (voir schéma).
Mais la caractéristique principale de la fibre de Cendrillon est qu'elle est observée au cours d'activités nécessitant de faibles charges musculaires.
Tout se passe comme si le travail statique intermittent de faible amplitude entraînait une activité motrice qui ne concernait qu'un seul contingent de fibres musculaires, le manque de relaxation (« gap ») étant la traduction de l'absence de passage de l'activité à d'autres fibres musculaires. L'absence de changement de posture (posture « fixée ») favoriserait une telle modification de l'organisation motrice au sein du muscle. Les modifications vasculaires observées dans le SFC peuvent être expliquées par plusieurs mécanismes : présence d'un défilé thoraco-brachial, pressions intramusculaires locales trop élevées, inadéquation de la réponse générale par rapport aux besoins locaux.
Le dernier facteur vasculaire impliqué dans la genèse des fibres de Cendrillon est l'induction d'une réponse sympathique exagérée.
Ces manifestations vasculaires potentielles peuvent expliquer à la fois les modifications anatomopathologiques et la présence de zones « gâchettes ».
2) Mécanismes centraux: liens avec le stress au travail
Le lien entre travail et stress est essentiel. Normalement, quand le mécanisme abordé précédemment (souffrance de la fibre musculaire) survient en dehors d'une activité «imposée», l'organisme «gère» par la mise au repos compensateur. Chez un salarié, la mise en repos n'est possible qu'à la phase de pause. Si celle-ci est trop courte, rare, voire supprimée, l'individu n'a d'autre solution que de poursuivre une activité ou une posture dans des conditions douloureuses qui vont s'amplifier, avec majoration des effets délétères sur la fibre musculaire et renforcement du stress. Cette «hyperstimulation» nociceptive prenant sa source sur de faibles activités musculaires induit une hypersensibilisation centrale, facteur de chronicisation douloureuse. Plus l'individu se confronte à la tâche, plus il souffre…
Outre ces aspects classiques, il a été montré que l'activité cognitive modifie le mode de fonctionnement et de recrutement musculaire pour une tâche donnée. Les facteurs de stress mentaux et psychologiques altèrent la performance motrice à la fois dans le domaine spatial, mais aussi dans la vitesse du mouvement.
Ainsi, comme le décrit Aptel, il existe une intrication évidente entre les facteurs biomécaniques et cognitifs, et la possibilité de survenue de ce syndrome.
Aspects thérapeutiques
1) Prévention
La prévention du syndrome des fibres de Cendrillon nécessite une approche ergonomique des postes de travail, approche qui concerne à la fois la dimension « charge de travail » et les conditions environnementales psychoémotionnelles (organisation du travail, relations au travail). Chez les travailleurs sur informatique, les durées maximales sans pause ne doivent pas dépasser une heure. Ces actions visent à réduire la perception stressante globale du travail.
2) Traitements
A ce stade, la prise en charge doit comprendre : le traitement des conséquences musculaires et les actions de prévention secondaires sur le lieu de travail. Dans l'idéal, il faut combiner les actions en médecine du travail et les actions thérapeutiques.
Le traitement à la phase initiale impose d'évaluer tous les facteurs associés par recensement des activité sphysiques au travail et au domicile. Dans la majorité des cas, il faut arriver à convaincre le salarié de l'intérêt du respect des périodes de repos et de la réduction de l'activité globale.
Les traitements myorelaxants couplés à un apprentissage d'exercices de détente musculaire en masso-kinésithérapie peuvent suffire.
Dans les formes rebelles, incapacitantes, ayant conduit à des arrêts de travail itératifs ou prolongés (de plus de trois mois), une prise en charge interdisciplinaire permet d'aborder l'aspect psychologique de la douleur et du dysfonctionnement musculaire prolongé, de même que l'aspect purement physique (déconditionnement musculaire, intolérance musculaire à l'effort). Ces formes nécessitent alors, outre un reconditionnement musculaire général par la pratique d'exercices en aérobie, un réapprentissage du mouvement, en évitant les cocontractions en ergothérapie. La pratique d'exercices musculaires couplée au myo-biofeedback est recommandée.
La prévention tertiaire impose un partenariat étroit avec le médecin du travail, le retour au travail et le maintien dans l'emploi étant dépendants de la possibilité de réduire la perception stressante du poste de travail.
Certaines formes sont rebelles à ces différentes formes de prise en charge. Dans ce cas, il existe un lien fort entre la dimension symbolique du travail et la personnalité de l'individu (structure « perfectionniste » confrontée à une exigence forte sans autonomie associée à une non-reconnaissance, dans certains cas, structure névrotique couplée à un conflit interindividuel, dans d'autres cas). Dans ces formes rebelles, il peut être nécessaire soit d'envisager un changement de lieu de travail, soit de discuter l'opportunité d'une psychothérapie.
Conclusion
Le syndrome des fibres de Cendrillon est un tableau myalgique bénin, mais parfois très incapacitant, expliqué par la conjonction d'un défaut de désactivation de certaines fibres musculaires au cours d'une activité musculaire de faible intensité et d'une perception consciente ou inconsciente du stress. Sa prise en charge repose sur la correction des facteurs de stress et des traitements de détente des trapèzes.
Références
M. Aptel. De l'épidémiologie à la physiopathologie des TMS : le modèle de Bruxelles, un referential intégrateur in « Neuropathies et pathologies professionnelles », Elsevier-Masson Ed, Paris, 2007, 51-62.
G.M. Hagg, A. Astrom. Load pattern and pressure pain threshold in the upper trapezius muscle and psychosocial factors in medical secretaries with and without shoulder/neck disorders. « Int Arch Occup Environ Health », 1997 ; 69 : 423-432.
U. Lundberg. Stress responses in low-status jobs and their relationship to health risks : musculoskeletal disorders. « Ann N Y Acad Sci », 1999 ; 896 : 162-172.
Critères de trapézalgies musculaires ou syndrome de Cendrillon*
Critères positifs
Douleur localisée en regard du trapèze.
(Pas de paresthésies dans le membre supérieur) (forme pure).
Douleur à la palpation du trapèze.
Abaissement du seuil de douleur palpatoire.
Critères négatifs
Non-reproduction par la mobilisation passive du rachis cervical.
Examen neurologique normal.
Examen de la coiffe des rotateurs normal.
Examen de l'articulation acromio-claviculaire normal.
* D'après Hagberg
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature