AU LENDEMAIN de la mort d'un Tunisien de 41 ans décédé, selon la préfecture de police, des suites d'une « crise cardiaque, sans aucun élément anormal», les deux CRA de Vincennes, situés en fait dans le 12e arrondissement de Paris, ont connu un début d'émeute. Plusieurs foyers ont provoqué un incendie qui, malgré l'intervention de 150 pompiers et d'une cinquantaine d'engins, a détruit la moitié du CRA 1. Sur les 249 « rétentionnaires » (pour employer la terminologie officielle) présents, pour une capacité totale de 280 places, 18 ont dû être hospitalisés à l'Hôtel-Dieu, légèrement intoxiqués par les fumées, ainsi que par les gaz lacrymogènes employés par les forces de l'ordre.
Cette mutinerie des personnes sans papiers, qui attendent d'être libérées ou reconduites à la frontière, intervient alors que la CIMADE (comité intermouvements auprès des évacués, service oecuménique d'entraide) dénonce régulièrement le climat délétère qui règne dans les 31 établissements français où, depuis 1985, l'association assure une mission d'accompagnement juridique et social, seule habilitée à intervenir dans les CRA.
Fonctionnement des CRA et application des quotas.
«Depuis le début de l'année 2008, affirme Benoît Merckx, coordinateur des intervenants en Île-de-France, les tensions et la violence sont permanentes au centre de Vincennes. Les plaintes des personnes retenues se multiplient, accompagnées de certificats délivrés par les unités médicojudiciaires. Elles font état de dérapages des forces de police, de violences physiques et verbales répétées.» Pour le coordinateur, «toutes ces dérives sont la conséquence du fonctionnement du CRA et de l'application de la logique des quotas d'expulsion: à Vincennes, les tentatives de suicide, les automutilations au rasoir avec lacération du corps et les ingestions diverses (fourchettes, cuillers…) , sont fréquentes, ainsi que les grèves de la faim et les départs de feu. En 2007, une personne s'est donné la mort au CRA de Bordeaux, une autre cette année au CRA de Marseille, une troisième a pu être sauvée après s'être immolée par le feu au CRA du Mesnil-Amelot».
Chaque CRA dispose de sa structure médicale, avec une infirmière présente en permanence et un médecin qui effectue trois vacations hebdomadaires. Mais le week-end, une seule infirmière assure la garde médicale pour les deux CRA de Vincennes, 41 fonctionnaires de police surveillant les rétentionnaires. Selon la CIMADE, ce suivi infirmier «n'est pas à la hauteur du stress, des violences subies et des pathologies présentées par les personnes retenues, dont plusieurs sont atteintes de tuberculose, d'hépatite et de VIH-sida, et devraient, à ce titre, bénéficier d'une autorisation de séjour».
«La fragilité psychique et physique des personnes, alors que la présence médicale est insuffisante, est aggravée par la capacité trop importante des centres, accuse Jean Haffner, responsable de l'accueil des étrangers en France au Secours catholique, organisme partenaire de la CIMADE. La loi limite à 140 le nombre des places dans chaque centre; son esprit n'est pas respecté quand deux centres sont jumelés, comme à Vincennes, qui fonctionnent, en fait, avec la même direction et un greffe commun. Or, s'inquiète M. Haffner, un projet analogue est programmé pour 2009 à côté de Roissy, avec la création, au Mesnil-Amelot, d'un deuxième CRA, voisin du premier site. À nouveau, la lettre de la loi sera respectée, mais non son esprit.»
C'est ce que la CIMADE qualifie d' «industrialisation du dispositif d'éloignement des étrangers en situation irrégulière». La Ligue des droits de l'homme (LDH) considère pour sa part que «la responsabilité des pouvoirs publics est d'ores et déjà engagée par la succession de drames qui frappent les sans-papiers». France Terre d'asile «déplore des événements dramatiques qui étaient, hélas, prévisibles, conséquences d'une politique absurde qui (...) entache notre réputation de terre des droits de l'homme».
Le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) se déclare «solidaire de l'expression de la révolte des sans-papiers, ainsi que de tous ceux qui estiment que les centres de rétention représentent une honte pour la République».
«Une enquête est en cours, répond la préfecture de police à ce tollé associatif, pour établir l'ensemble de la chaîne de responsabilité matérielle dans les événements» survenus aux CRA de Vincennes. Le député vert Noël Mamère ne s'en satisfait pas, qui réclame la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire.
35 000 étrangers dans les CRA en 2007
Selon la CIMADE, 35 000 étrangers ont été retenus l'an dernier dans les 22 centres de rétention administrative (CRA) avant d'être fixés sur leur sort : libération ou expulsion. Parmi eux, 242 enfants, dont 80 % n'avaient pas 10 ans. Selon la loi du 29 octobre 1981 qui a créé les CRA, la durée de rétention est comprise entre deux et trente-deux jours au maximum, avec une moyenne de neuf à dix jours. Les personnes retenues disposent de chambres à deux ou quatre lits. La loi prévoit qu'ils bénéficient d'une assistance médicale 24 heures sur 24, d'une douche quotidienne et de la possibilité de téléphoner.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature