EN MAI 2000, un quotidien britannique, « The Independent », mettait en cause deux médecins britanniques, les Drs Martin Samuels et David Southall de l’hôpital de Stoke-on-Trent, les accusant d’avoir mis en place, avec les deniers publics, une étude sur des prématurés qui aurait eu des conséquences néfastes pour les enfants.
L’histoire commence dans les années 1980. L’équipe de pédiatres de la région du Staffordshire travaillait sur le devenir pulmonaire des enfants prématurés. A cette époque, ils étaient pris en charge par intubation et ventilation en pression positive. Mais cette approche, qui nécessite une sédation, peut se révéler délétère sur des poumons immatures et s’accompagner d’infections secondaires. Les pédiatres britanniques ont eu l’idée de mettre au point un système de pression négative extrathoracique (Cnep) permettant de traiter les enfants sans avoir recours à l’intubation. Ils ont testé, avec succès, ce matériel chez des enfants (nouveau-nés et nourrissons) dans le cadre d’une étude pilote. Une question demeurait : l’intérêt de cette technique chez les prématurés.
Meilleur pronostic sur le risque pulmonaire chronique.
Pour tenter d’y répondre, le Drs Samuels et Southall ont mis en place en 1989 un essai comparant la technique classique d’intubation et la mise en place d’un Cnep. Au total, 259 enfants ont été inclus dans l’étude : 244 d’entre eux ont été appariés (l’un des enfants recevant le traitement conventionnel, l’autre le nouveau système de ventilation) et le devenir des 145 autres enfants a été analysé individuellement. Une étude préliminaire des résultats, publiée en 1993, concluait à un meilleur pronostic sur le risque de pathologie pulmonaire chronique, mais cette différence ne se révélait pas significative. Par ailleurs, les enfants traités par Cnep avaient besoin en moyenne de 18 jours de moins d’oxygénothérapie que ceux traités par intubation au cours de leurs deux premiers mois de vie.
Néanmoins, une analyse complémentaire publiée en 1999 nuançait les résultats initiaux. Elle concluait, en effet, à une surmortalité, ainsi qu’à une majoration de risques d’anomalies crâniennes à l’échographie ou de pneumothorax chez les enfants traités par Cnep. Mais ces résultats n’étaient pas statistiquement significatifs. Repris par la presse grand public, ils ont pourtant alimenté la polémique sur les essais thérapeutiques financés par le gouvernement britannique. Une commission d’enquête a été créée et les Drs Samuels ou Southall ont été interdits d’exercice pendant deux ans.
Critère composite associant décès et invalidité sévère.
Cette semaine, dans le « Lancet » l’équipe du Dr Katherine Telford publie les résultats du suivi à long terme des enfants de l’étude. Les 133 enfants qui ont pu être localisés sur les 205 survivants de l’étude initiale ont tous été examinés par un pédiatre et un psychologue entre les âges de 9 et de 15 ans. Les auteurs ont procédé à deux analyses : l’une prenant en compte les enfants appariés et l’autre centrée sur le devenir en fonction du mode de prise en charge. Dans les deux cas, aucune différence significative sur le critère composite associant les décès et l’invalidité sévère n’a été retrouvée. La mesure du QI et les tests neuropsychologiques n’ont pas non plus montré de différence, quelle que soit l’analyse prise en compte. Pour les auteurs, «afin de limiter les sujets de polémique, les futures études interventionnelles menées en période néonatale devraient désormais prendre en compte la notion du devenir à moyen et long terme».
Dans un éditorial, les Drs Samuels et Southall expliquent que «depuis les années 1990, de nouvelles techniques de ventilation ont été mises au point (respirateurs non invasifs à pression expiratoire positive ou Cpap) et utilisées chez les prématurés. Elles permettent de limiter les risques de pathologies pulmonaires. Néanmoins, la technique de Cnep ne doit pas pour autant être abandonnée: appliquée chez l’enfant souffrant de bronchiolite, elle permet de passer un cap sans pour autant recourir à l’intubation ou à la ventilation non invasive. Elle peut aussi être utilisée chez des enfants souffrant de pathologies contre-indiquant l’utilisation de Cpap: hernie diaphragmatique ou paralysie du nerf phrénique».
« The Lancet », vol. 367, pp. 1032-1033, 1033-1034, 1034-1035, 1037-1038 et 1080-1085, 1er avril 2006.
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