UN SALARIE DU GROUPE automobile PSA s'est pendu sur son lieu de travail à Mulhouse (Haut-Rhin) le 16 juillet, portant à 6 le nombre de suicides de travailleurs de la société depuis le début de l'année. L'ouvrier de 55 ans, en poste au montage, a été retrouvé inanimé vers 14 h 30, dans le magasin de stockage de pièces. Il s'agissait d'un homme ayant vingt-neuf ans d'ancienneté, considéré comme «sérieux et faisant preuve d'une très bonne adaptation». Son geste intervient quinze jours à peine après la création d'un Numéro Vert d'assistance psychologique et une semaine après la première réunion d'une cellule en vue de prévenir les suicides et qui associe le médecin du travail, la direction, les syndicats et un psychiatre extérieur. Des membres de l'équipe médico-psychotraumatique du centre hospitalier de Mulhouse ont été appelés en renfort sur place, tandis que, le lendemain, se réunissait le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (Chsct).
«Comme tous les membres de la hiérarchie de PSA», le Dr Nicolas Brosset, l'un des huit médecins du travail, se dit «préoccupé». «Nous nous interrogeons sur les éléments de travail qui ont pu participer au déclenchement de ces gestes de désespoir. Il y a un cumul de dysfonctionnements à repérer», souligne le praticien, en poste depuis 1995. «Douze années au cours desquelles on a favorisé la prise en charge des personnes dépressives», précise-t-il.
Une série noire.
En juin, la CGT avait révélé que les responsables de la société exerçaient des pressions sur certains employés en congé maladie, leur reprochant dans des courriers un «absentéisme incompatible avec l'organisation industrielle» et leurs «obligations contractuelles». La CFE-CGC, à l'instar d'autres organisations syndicales, s'accorde à reconnaître que «la situation du groupe n'est pas florissante» et qu'il y a «un peu de tension, parce que la charge de travail est élevée».
Pour sa part, le ministre Xavier Bertrand a pris contact avec les directeurs des ressources humaines de PSA Peugeot-Citroën à Paris et à Mulhouse. Le stress au travail fait partie des sujets qui seront débattus lors d'une conférence tripartite (syndicats-patronat-gouvernement) sur les conditions de travail, annonce le ministère.
Au début de février, à PSA Charleville-Mézières (Ardennes), un autre travailleur s'était donné la mort hors de son usine, en invoquant son activité professionnelle dans une lettre d'adieu. En avril, un ouvrier de 51 ans du site mulhousien se pendait lui aussi dans un local technique de l'unité mécanique. Et, en mai, c'était le tour de trois de leurs camarades de Mulhouse, de l'atelier de ferrage, où ils assemblaient les châssis, une tâche physique et pointue.
La série noire dans l'industrie automobile remonte au 20 octobre 2006, avec le décès au Technocentre Renault de Guyancourt, dans les Yvelines, d'Antonio B, un ingénieur en informatique de 39 ans, suivi de deux de ses collègues dans les quatre mois. Après la décision de la caisse primaire d'assurance-maladie des Hauts-de-Seine de reconnaître comme accident du travail le premier des trois suicides du Technocentre, la direction de Renault a décidé de déposer un recours, estimant que sa responsabilité «n'est pas engagée» (« le Quotidien » du 29 juin).
Bien prévenir les risques psychosociaux.
«Le phénomène des suicides répétitifs au travail est quelque chose qu'on connaît depuis près de dix ans», dit au « Quotidien » le Dr Dominique Chouanière, responsable du projet « stress au travail » de l'Institut national de recherche et de sécurité (Inrs)*. «A défaut de pouvoir prédire, faute d'investigations suffisantes, s'il faut s'attendre à un développement des suicides, nous savons que tous les indicateurs associés au stresschronique progressent. Et il existe des bonnes pratiques qu'il faudrait diffuser pour arrêter ces comportements, souligne l'épidémiologiste. Dans l'urgence, il convient que l'entreprise communique sur la gravité du geste suicidaire. Jusqu'à preuve du contraire, mettre fin à ses jours sur son lieu de travail est lié à l'activité professionnelle. Tout déni en la circonstance légitime le passage à l'acte chez d'autres travailleurs pour qui le suicide apparaît alors comme une solution. Parallèlement, il est nécessaire de rendre accessible, pour les collègues de la victime, une thérapie de type débriefing, de manière à éviter le stress post-traumatique. Enfin, une enquête en interne, avec le concours du Chcst, ou à l'initiative de la caisse régionale d'assurance-maladie, doit faire la part des choses de manière à valider, éventuellement, un accident du travail.» A ce jour, la nomenclature de la Sécurité sociale ne comporte aucune rubrique relative au suicide. Au-delà, l'Inrs appelle à une réponse plus structurelle. «Toute situation de travail dégradé doit donner lieu à l'installation d'un groupe de projets pour prévenir les risques psychosociaux, avec la direction, les syndicats, le médecin du travail et l'infirmière.» La structure portera un «diagnostic approfondi de la situation, après avoir recueilli la perception qu'ont les gens des conditions de travail et de leur santé». Elle s'occupera aussi de suivre le plan qu'elle aura défini, en recourant le cas échéant à des réajustements. «En revanche, un Numéro Vert ne semble pas répondre aux besoins des salariés en dépression, estime le Dr Dominique Chouanière, tout comme les observatoires du stress fleurissant un peu partout, ajoute-t-elle, qui se nourrissent de la visite biannuelle de médecine du travail, car aucune action n'est développée derrière.» Pour le Dr Mireille Chevalier, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé, «on demande aux salariés de plus en plus d'excellence». Dans les faits, «cela signifie la perte des collectifs de travail, c'est-à-dire de l'entraide entre collègues. Isolé du groupe, chaque travailleur devient seul responsable de ce qu'il fait sans en avoir les moyens. Aussi, quand il est incapable d'exécuter la tâche demandée, il se sent dévalorisé, déstabilisé, même désespéré. Il revient au médecin du travail de dénoncer le mécanisme. Lorsqu'il appartient à un service autonome –comme c'est le cas à PSA Peugeot-Citroën et chez Renault, ndlr –, son indépendance se révèle, certes, plus difficile à manifester qu'en service interentreprise, mais certains arrivent à garder leur liberté de parole même en service autonome, bien que ce soit pour le moins délicat».
Sur 11 000 suicides par an, 300 se déroulent sur les lieux de travail, rappellent les pouvoirs publics.
* L'Inrs est rattaché à la Cnamts.
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