VINGT-QUATRE MOIS d'instruction et une loi plus tard (la loi du 22 avril sur les fins de vie), le Dr Frédéric Chaussoy, comme il l'explique au « Quotidien », a aujourd'hui toutes les raisons d'être confiant sur l'issue judiciaire de l'affaire. Mais il lui faut patienter encore quatre ou cinq semaines (« le Quotidien » du 27 septembre). Le temps que le procureur de Boulogne-sur-mer (Pas-de-Calais), Gérald Lesigne, rende ses réquisitions. Et que la juge d'instruction Anne Morvant signe son ordonnance : non-lieu ou renvoi devant la cour d'assises pour « empoisonnement avec préméditation », un crime passible de la réclusion à perpétuité. La magistrate doit dire si les gestes pratiqués le 26 septembre 2003 par le chef du service de réanimation du centre héliomarin de Berck-sur-mer (Pas-de-Calais) étaient adaptés à l'état de Vincent Humbert, le jeune tétraplégique qui réclamait la mort et que sa mère avait plongé deux jours plus tôt dans un coma profond en lui injectant une dose de barbituriques. En débranchant le ventilateur, puis en administrant du Nesdonal, puis, le patient se mettant alors à étouffer, du chlorure de potassium, le praticien a-t-il agi en conformité avec les bonnes pratiques médicales ?
Sauvegarder la dignité du mourant.
« Nous réclamons le non-lieu en invoquant la loi Leonetti, explique Me Bernard Lebas, l'un des avocats du Dr Chaussoy. Il y a un principe de droit qui dit qu'une loi est d'application rétroactive si elle est plus favorable au prévenu », argumente-t-il, en soulignant que « la loi du 22 avril demande au médecin de sauvegarder la dignité du mourant et d'assurer la qualité de sa fin de vie. Ce qui fut le cas. »
Et Me Lebas d'exciper une phrase tirée du rapport d'expertise remis le 13 septembre 2004 par les Prs Jean-Marie Desmonts, ancien président de la Société d'anesthésie et de réanimation de langue française (Sarlf), Philippe Loirat, chef du service de réanimation de l'hôpital Foch (Suresnes), et Jean-Paul Chodkiewicz (Sainte-Anne) : « Peu de réanimateurs auraient pu soutenir le regard de Vincent Humbert après une réanimation qu'il n'avait pas souhaitée. » (« le Quotidien » du 2 novembre 2004).
Bref, conclut le mémoire déposé par la défense, « le seul souci du Dr Chaussoy a été d'assurer à Vincent une vie digne jusqu'à la mort, comme le prescrit la loi sur la fin de vie du 22 avril dernier, à la suite de l'affaire Humbert ».
L'argument a fait mouche, semble-t-il, auprès du procureur de la République. « On ne peut pas faire comme si cette loi n'existait pas, explique Gérard Lesigne au "Monde". Nous sommes en devoir d'intégrer ce texte dans notre raisonnement et dans l'analyse factuelle du dossier. »
Certes, la nouvelle loi est plus clémente que les textes précédemment en vigueur. Pour autant, comme le souligne son auteur, le Dr Jean Leonetti (lire l'entretien ci-dessous), « c'est un texte qui autorise le laisser mourir et en aucun cas le faire mourir ». Le Dr Chaussoy en convient lui-même (lire ci-dessous), l'injection du chlorure de potassium fait question. De fait, c'est cet acte qui a entraîné la mise en examen pour empoisonnement avec préméditation.
La défense du réanimateur invoque à ce sujet la situation de contrainte dans laquelle il a agi au sens de l'article 122-2 du code pénal. Elle cite « la contrainte d'une compassion humainement irrésistible » et la « contrainte morale liée à une situation médicale insoutenable ». Le Dr Chaussoy, selon l'avocat, « ne pouvait agir autrement et s'est trouvé dans l'obligation de procéder comme il l'a fait ».
La décision de la juge Morvant, qui devrait intervenir à la mi-novembre, est très attendue, en particulier au Conseil national de l'Ordre des médecins. Président de la section éthique et déontologie, le Dr Piernick Cressard indique que « la nouvelle rédaction de l'article 37 du code de déontologie est en cours de validation devant le conseil d'Etat, pour intégrer les dispositions de la loi Leonetti sur l'arrêt des traitements sur les personnes en fin de vie, après avis d'un collège médical. L'article 38, quant à lui, restera inchangé, tient à souligner le responsable ordinal, car nul n'a le droit de provoquer délibérément la mort. Sur ce point, l'Ordre se doit à la plus grande vigilance. Nous pensons à quantité de familles au sein desquelles vivent de grands handicapés psychomoteurs. Il n'est pas question de laisser dire qu'une substance létale, un cocktail lytique pourraient être autorisés. L'affaire Humbert restera unique ».
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