OFFICIELLEMENT, le dossier est clos. Tant du côté des assureurs que du gouvernement, on assure que les discussions sont terminées depuis cet été sur les suites à donner au problème de la responsabilité civile des obstétriciens et des chirurgiens libéraux. Mais, en coulisses, le bras de fer se poursuit.
Le sujet est revenu sur le devant de la scène ces jours-ci. C’est Xavier Bertrand qui a relancé la polémique à l’Assemblée nationale. En plein débat sur le Plfss 2007 (projet de loi de financement de la Sécurité sociale), le ministre de la Santé a déclaré qu’il comptait prendre une nouvelle décision en fin d’année. Il a cité deux solutions : la nationalisation complète du secteur de l’assurance responsabilité civile médicale – l’Igas (Inspection générale des affaires sanitaires) mène une enquête à ce sujet – ou l’instauration d’un écrêtement des indemnités versées par les assureurs (« le Quotidien » du 30 octobre). Une piste que le ministre avait déjà envisagée l’an passé, mais que Matignon a écartée l’été dernier.
C’est à dessein que Xavier Bertrand ressort cette idée de son chapeau : le ministre craint que le dispositif retenu cet été pour mettre fin à la grève des blocs opératoires, et qui prévoit d’augmenter l’aide versée aux médecins pour qu’ils paient leur assurance, ne se traduise par une nouvelle flambée des primes à court terme. Ce qui entraînerait une note salée pour l’assurance-maladie, qui, dans le cadre de l’accréditation, versera les deux tiers de leur prime d’assurance aux chirurgiens et aux obstétriciens de secteur I.
Ce schéma faisait l’affaire des obstétriciens jusqu’à présent. Mais, mardi, nouveau rebondissement : le Syndicat national des gynécologues-obstétriciens (Syngof) a brandi la menace d’une nouvelle grève à partir du 20 novembre. Le Syngof considère que Xavier Bertrand n’a pas tenu ses engagements : le secteur optionnel n’a pas vu le jour, et le décret sur l’accréditation, promis pour la fin septembre, n’est toujours pas paru. «Il faut que ce décret sorte au plus vite, pour qu’on puisse bénéficier de l’accréditation dès 2006», insiste le Dr Jean Marty, du Syngof.
Pris en tenaille.
Cette pression embarrasse quelque peu le ministère de la Santé, partagé entre sa volonté de répondre aux attentes des médecins et son souhait de limiter au minimum la flambée des primes. Pris en tenaille, le cabinet ministériel assure que le décret n’est pas remis en cause, et invoque des «contraintes technocratiques du côté de Bercy» pour expliquer le retard dans la publication. Laquelle devrait avoir lieu avant la fin du mois de novembre, nous dit-on.
D’ici là, le ministère de la Santé s’active pour obtenir des assureurs la promesse d’une stabilisation des primes. «Il est normal que l’Etat ait un droit de regard accru sur le dispositif, étant donné que l’assurance-maladie va verser 37millions d’euros par an» aux médecins accrédités, précise-t-on du côté de l’Avenue de Ségur.
Mais les assureurs ne l’entendent pas du tout ainsi. Si la profession apparaît divisée sur la question de l’écrêtement des indemnités – seule la Macsf y est ouvertement favorable –, les compagnies d’assurances sont, en revanche, soudées pour défendre leur liberté tarifaire. La Fédération française des sociétés d’assurance (Ffsa) l’explique au « Quotidien » : «On ne peut s’engager sur le montant des primes sans savoir comment va évoluer le coût du risque médical.» Le raisonnement vaut aussi en cas d’écrêtement. Car même si cette mesure déchargeait les assureurs d’une part des gros sinistres, «cela ne règle absolument pas le problème du coût du risque». «Nous ne sommes pas demandeurs de l’écrêtement, enchaîne la Ffsa . C’est une mesure de limitation de la charge de responsabilité qui relève d’une décision politique.»
Nombreux sont les acteurs, assureurs compris, à réclamer l’ouverture d’un débat de société sur ce sujet de fond. Mais, pour les spécialistes à risque, le temps presse. Ceux dont le contrat d’assurance arrive à échéance en fin d’année veulent savoir à quelle sauce ils seront mangés l’an prochain. Plusieurs syndicats médicaux ont forcé les assureurs à sortir du bois. Les tarifs annoncés pour 2007 sont globalement stables, exception faite de l’obstétrique, qui, à titre d’exemple, enregistre une hausse de 20 % chez Marsh (soit 14 950 euros TTC). Un accoucheur libéral s’assurera entre 14 500 et 21 700 euros à la Sham selon ses conditions d’exercice. Les prix de la Macsf caracolent en tête : 27 000 euros pour un chirurgien obstétrical, avec une garantie de 3 millions d’euros par sinistre, et 36 000 euros pour une garantie de 6 millions d’euros.
Le directeur général de la Macsf, Michel Dupuydauby, admet que ses nouveaux tarifs ne séduisent guère. «Beaucoup d’obstétriciens nous quittent, j’imagine qu’ils ont trouvé moins cher ailleurs», dit-il. Avec sa nouvelle grille tarifaire, la Macsf ne se retire pas du marché, mais elle se met sur la touche. La compagnie n’exclut pas un jour de reprendre des parts en obstétrique, si décision était prise d’écrêter les indemnités versées par les assureurs. «On appliquerait alors une baisse immédiate de nos primes», réaffirme Michel Dupuydauby.
Du côté de Marsh, leader mondial du courtage, c’est avec sérénité qu’on envisage la situation. «Les médecins, les hôpitaux et les cliniques restent assurables. Un marché libéral existe, il n’y a donc pas besoin d’un mécanisme d’Etat de type nationalisation», commente Philippe Auzimour, responsable, en France, chez Marsh . «L’enjeu, relativise le courtier, n’est pas le même que pour le nucléaire ou les catastrophes naturelles.»
La piste de l’écrêtement semble avoir la préférence de Xavier Bertrand. Le ministre attend la fin de l’année, et le rapport de l’Igas, avant de rendre son arbitrage. Sans doute continuera-t-il d’ici là à brandir le bâton d’une nationalisation.
Des sinistres stables, mais plus coûteux
Premier assureur des établissements de santé en France, la Sham (Société hospitalière d’assurances mutuelles) publie un panorama du risque médical pour l’année 2005. Elle constate une stabilité de la fréquence des sinistres, mais un coût en augmentation (voir graphiques). Sans surprise, l’obstétrique et la chirurgie drainent la majorité des réclamations. Pour la Sham, «de nombreux sinistres sont évitables». C’est pourquoi l’assureur multiplie les visites sur site de blocs opératoires ; l’objectif est de repérer les gestes porteurs de risques, et d’édicter des recommandations qui, si elles ne sont pas respectées, peuvent entraîner une modification du contrat d’assurance. Les médecins, explique le directeur général de la Sham, Jean-Yves Nouy, ont tout intérêt à s’investir davantage dans la gestion des risques. L’information aux patients, notamment, doit être développée. «On a beaucoup de condamnations pour défaut d’information en chirurgie programmée. On souhaite que les patients signent des papiers, qu’ils repartent avec la liste de ce qui leur a été fait», suggère Jean-Yves Nouy. Autre exemple à suivre : la généralisation de l’utilisation du pH-mètre en maternité, afin de détecter en cas d’accident de naissance s’il y a eu faute médicale ou non à partir de l’analyse du sang de cordon. «Des établissements ont été condamnés alors qu’il n’y avait pas de faute, déplore le directeur de la Sham. Avec ce type de mesures, nous ne cherchons pas à nous substituer aux autorités sanitaires. Nous voulons simplement maîtriser le coût des sinistres.» > D. CH.
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