L'affrontement entre les intermittents du spectacle et les pouvoirs publics a ceci d'intéressant qu'en France une grève culturelle cause autant d'émoi qu'une grève des services. Personne ne pense qu'on peut se dispenser des festivals d'été et c'est un trait remarquable du caractère national.
Bien entendu, à la déception des spectateurs désireux de mettre à profit leur temps libre pour se cultiver, s'ajoute la déroute financière des mairies qui ont organisé à grands frais les spectacles de l'été. Et si l'on se félicite de l'attitude des vacanciers, on n'en dira pas autant d'un des représentants des grévistes qui a déclaré en substance : on nous a dit que nous ne pouvions pas bloquer les spectacles comme les routiers ou les agriculteurs bloquent les routes, eh bien, nous avons prouvé que nous pouvons le faire.
Le plus mauvais exemple
Trouver son inspiration dans le plus mauvais exemple, dans une dérive scandaleuse des méthodes du combat social, voilà qui ne nous semble pas convenir à un artiste. Nous ne jetterons pas la pierre à des acteurs ou à des techniciens dont les revenus sont précaires et pour lesquels un pays généreux, qui place la culture au-dessus d'un grand nombre de contingences, avait prévu un statut particulier. Ce statut a permis un essor extraordinaire de la culture dans les régions. L'été français est, grâce à ces artistes et à la protection dont ils bénéficient, l'un des plus radieux du monde.
Mais le théâtre ou la musique constituent des activités extrêmement coûteuses. Non seulement les intermittents du spectacle doivent être soutenus sur le plan social, mais les villes doivent accorder de larges subventions pour que les spectacles aient lieu, sans quoi le prix du billet serait inabordable ; dans beaucoup de cas, l'accès au spectacle est même gratuit.
Or l'assurance chômage des intermittents présente, sur un an, un déficit de 750 millions d'euros, qui allait rapidement vers le milliard. Il fallait bien réformer un système plombé par le manque de ressources. Récemment, le versement des indemnités pour le chômage de tous les autres salariés a été plafonné à trois ans. On a donc demandé aux intermittents du spectacle de prendre leur part de responsabilité dans l'assainissement d'un système en train de couler.
A n'en pas douter, le moment était mal choisi. On n'a pas encore digéré la réforme des retraites qu'on s'en prend à une catégorie de personnels qui ne sont pas moins syndiqués que les autres et qui, sous l'influence de FO et de la CGT, décidés à faire feu de tout bois social, ont allègrement nourri la colère des grévistes. Bref, on assiste à un scénario très proche de celui des retraites, avec des syndicats, comme la CFDT, qui ont signé l'accord proposé par l'Etat, et d'autres pour lesquels la noble raison culturelle n'empêche pas la défense des droits acquis.
La réforme voulue par le ministre de la Culture (et par le patronat) jette-t-elle à la rue les intermittents du spectacle ? Non, elle diminue leurs droits (de façon que les périodes de chômage, souvent saisonnières, ne se prolongent pas au-delà d'une durée raisonnable) et elle apporte des améliorations dans certains cas. Certes, l'objectif est de réduire le déficit, ce qui implique un sacrifice, celui auquel ont consenti tous les salariés du privé.
Un autre feu sacré
Il est étrange que le feu sacré de la création artistique ait cédé le pas, dans cette affaire, au feu sacré de la révolte. Le secrétaire d'Etat aux PME, Renaud Dutreil, a dit que les intermittents sciaient la branche sur laquelle ils étaient assis. La formule résume parfaitement la nature du conflit. La grève, autrefois instrument ultime de la lutte sociale, est devenue la première arme du combat, de telle sorte que des acteurs, qui sont censés brûler de la passion de jouer et ont pris des risques lorsqu'ils ont choisi leur métier, en arrivent à nier ces risques et à se priver eux-mêmes de ce qui les anime, les inspire et les porte. Ils retournent contre leur public, celui que les mairies paient littéralement pour qu'il se presse dans les salles ou les amphithéâtres à ciel ouvert, l'émotion qu'il ressent à les voir jouer.
Ce n'est pas pire que de bloquer les trains ou le métro, mais c'est encore moins compréhensible. La culture se répand en France, elle n'en demeure pas moins fragile par nature ; c'est le secteur dont on commence par faire l'économie en période d'austérité. Cependant, ni le gouvernement ni les régions n'ont souhaité annuler un seul spectacle. Mais les intermittents n'ont pas hésité, eux, à en supprimer plusieurs, à porter un coup sévère aux festivals d'été, à compromettre non seulement la saison 2003, mais les suivantes : quelques villes échaudées proposeront l'an prochain des attractions moins subtiles qu'une pièce d'Ibsen ou un concert.
On ne sait pas de quelle morale, de quel sens de la justice, de quel droit FO et la CGT tirent leur raisonnement. Cette atteinte profonde au rayonnement de la culture française en France a quelque chose d'inqualifiable, justement parce que le spectacle n'est pas objet de consommation, justement parce qu'il comble sainement le supplément de temps de loisir que le précédent gouvernement a accordé, justement parce qu'il ne met pas en jeu un élément vital du travail, de la production et de la compétitivité économique, mais un élément infiniment plus noble ; lequel s'adresse à l'esprit, au cœur, à l'âme. Et a placé la France dans le peloton de tête pour la culture populaire.
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