«JEAN BERNARD, c’était avant tout une intelligence hors du commun. Intelligence discursive, pratique, prospective. Elle faisait de lui un orateur extraordinaire. Elle lui donnait un abord non conformiste des sujets. Je peux dire, raconte le Pr Michel Boiron, que je lui dois plus que tout, puisqu’il m’a désigné comme son successeur à la tête du service d’hématologie à l’hôpital Saint-Louis, à Paris. Il avait créé une sorte d’“empire” (son service, l’Institut…) que j’ai divisé, permettant à des hématologistes comme Eliane Gluckman ou Michel Marty d’obtenir leur service.
Jean Bernard a créé l’hématologie française et a contribué à sa renommée mondiale. Son ouverture d’esprit en a fait un des pères de la médecine moderne, avec les PrsHamburger et Fauvert.»
«Au plan humain, c’était un homme intellectuellement séduisant, fidèle en amitié, mais secret. Il ne se livrait pas. Je n’ai jamais pu établir avec lui des liens autres que professionnels. Alors pourquoi cet homme effacé poursuivait-il les honneurs? Cela reste un mystère. Il était membre des trois académies et avait été décoré à de multiples reprises.
Autre étonnement pour moi, sa collaboration avec Paul Chevalier. Jean Bernard a été l’élève de Robert Debré, un pédiatre, qu’il respectait, mais critiquait aussi. Il a quitté son giron pour entrer dans celui de Paul Chevalier, qui s’intéressait à l’hématologie. Comment ont-ils pu travailler ensemble? Autant Jean Bernard était réservé, autant Paul Chevalier était grossier, obscène…»
C’est l’aura de Jean Bernard qui a marqué le Pr Hélène Merle-Béral (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris). «Jusqu’à voici une quinzaine d’années, il était le référent en hématologie. Son influence était grande. J’ai succédé à Jacques Rubinet à la tête du service de la Pitié-Salpêtrière, et j’étais frappée de voir le comportement “d’élève” de celui qui avait été mon maître vis-à-vis du sien. Et puis, ce qui frappait chez Jean Bernard, c’était son intelligence brillante.»
Chimiothérapie, greffes de moelle ou système HLA.
Au plan hématologique, alors qu’il avait débuté comme pédiatre, Jean Bernard s’est intéressé aux leucémies. « La survie à l’époque était de 2mois, rapporte le Pr Eliane Gluckman (hôpital Saint-Louis, Paris). Il a été le premier à tenter des exsanguino-transfusions, avec Jean Dausset.» Il est aussi à la naissance de grandes idées telles que la chimiothérapie, les greffes de moelle ou le système HLA. «Ce n’était pas un chercheur en tant que tel, poursuit-elle. Il avait les idées, la vision et lançait des médecins sur ces thèmes. C’est ainsi qu’il m’a fait confiance pour mettre en place les greffes de moelle, alors que j’avais 32ans.»
Sa contribution à la thérapeutique la plus importante est, bien sûr, le traitement des leucémies de l’enfant. Il s’est également intéressé à d’autres affections hématologiques, de la coagulation, dont celle qui porte son nom, – la maladie de Jean Bernard-Soulier,– aux aplasies médullaires héréditaires.
«Il a introduit des concepts révolutionnaires en médecine. S’intéressant aux aspects psychologiques, ce qui n’existait pas dans les années 1960. Il a ajouté une dimension humaine à la médecine en faisant intervenir des psychologues dans les services, en créant l’hôpital de jour. Il a eu l’idée de développer un institut de recherche à côté des patients, faisant naître le concept du centre hospitalo-universitaire.»
Comme tous ceux qui l’ont connu, Eliane Gluckman s’émerveille de sa capacité de synthèse, de sa «mémoire d’éléphant». « Il se faisait lire les articles par sa femme et les assimilait. Il y a 4-5ans, il donnait encore des conférences et comme par le passé parlait sans notes. Les dernières années de sa vie ont été handicapées par une surdité qui le gênait énormément. Et l’isolait. Son objectif était de vivre aussi longtemps que l’un de ses maîtres, le père de son élève Jacques-Louis Binet. Je crois qu’il y est parvenu.»
Les grandes dates
– 26 mai 1907 : naissance à Paris
– 1942 : dirige un réseau de résistance
– 1943 : incarcéré à Fresnes
– 1946 : médecin des hôpitaux
– 1954 : fonde le Centre de recherches sur les leucémies et des maladies du sang
– 1967-1980 : président du conseil d’administration de l’Inserm
– 1967 : guérison d’une leucémie aiguë de l’enfant par chimiothérapie
– 1969 : doyen de la faculté de médecine Lariboisière-Saint-Louis
– 1972 : élu à l’Académie des sciences à 1984
– 1973 : élu à l’Académie de médecine
– 1975 : élu à l’Académie française
– 1983-1992 : président du premier Comité national d’éthique pour les sciences de la vie
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