Le sorafénib prolonge la survie globale et la survie sans progression de manière très significative chez les malades ayant un carcinome hépatocellulaire avancé. Les effets secondaires de cette thérapeutique dite ciblée sont peu nombreux. Précisions avec le Dr Jean-François Seitz.
EN FRANCE, l'incidence annuelle du carcinome hépatocellulaire est en progression de 300 % depuis une vingtaine d'années, comme dans les autres pays occidentaux, parce que le nombre de porteurs du virus de l'hépatite C augmente. Ce cancer primitif représente environ 90 % des tumeurs malignes primitives du foie de l'adulte. Dans notre pays, il se développe le plus souvent sur une cirrhose, sa survenue sur foie sain étant exceptionnelle. Dans ces conditions, la gravité propre de ce cancer, sa résistance à la chimiothérapie et la précarité des fonctions hépatiques des patients atteints expliquent le pronostic très péjoratif de cette affection.
Le traitement curatif ne concerne que peu de patients.
Les options thérapeutiques envisageables sont variables selon le stade du carcinome. Le traitement à visée curative concerne le carcinome hépatocellulaire lorsqu'il respecte les critères de Milan (trois nodules de moins de 3 cm au maximum ou un seul nodule de moins de 5 cm). Dans cette situation, le traitement peut faire appel à la transplantation hépatique, à la résection chirurgicale ou à la destruction percutanée, comme la radiofréquence. En revanche, dans les autres cas, qui concernent la majorité des malades, le traitement palliatif est le seul qui soit envisageable, la chimioembolisation étant le seul de ces traitements palliatifs qui a fait la preuve de son efficacité, à la différence de la chimiothérapie, de l'immunothérapie, de l'hormonothérapie et de la radiothérapie. La chimioembolisation est indiquée chez les patients en bon état général dotés d'une bonne fonction hépatique, souffrant d'un carcinome hépatocellulaire multinodulaire, en l'absence de métastases extrahépatiques ou de thrombose portale. En revanche, son intérêt est controversé en cas de carcinome sur cirrhose alcoolique, situation qui concerne la majorité des patients en France.
C'est dans ce contexte que se situe l'émergence du sorafénib. Cette molécule appartient à la classe des thérapeutiques dites ciblées. Il s'agit de traitements pharmacologiques qui ont pour cible les mécanismes de la cancérogenèse. Il ne s'agit donc pas de cytotoxiques ni d'antimitotiques. Le sorafénib est un inhibiteur multicible des protéine kinases qui induit à la fois une inhibition de la prolifération cellulaire et de l'angiogenèse.
Il est actuellement indiqué dans le traitement du carcinome rénal avancé, après échec d'un traitement préalable à base d'interféron alfa ou d'interleukine 2, ou lorsque ces traitements sont inadaptés.
Un essai interrompu prématurément pour bons résultats.
Dans un essai clinique de phase II publié en 2006, G. H. Abou-Alfa et coll. avaient évalué cette molécule chez 137 patients atteints d'un carcinome hépatocellu- laire évolué sur une cirrhose, classés A, selon le score de Child-Pugh, dans 72 % des cas, les autres malades étant classés B (1). Les auteurs de ce travail ont constaté que cette molécule a pu induire une réponse partielle chez 2,2 % des patients, mais, surtout, une stabilité tumorale relativement prolongée a été constatée chez 33,6 % des sujets, atteignant 4,2 mois, la survie globale des malades étant de 9,2 mois. En outre, le traitement a été bien toléré.
En raison de ces bons résultats préliminaires, un grand essai randomisé, l'étude SHARP (Sorafenib HCC Assessment Randomized Protocol), a été mis au point (2). Les résultats de cette étude ont fait l'objet d'une présentation lors de la session scientifique 2007 du congrès de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO). L'étude SHARP a été réalisée dans 110 centres dans le monde. Elle avait pour objectif de comparer le sorafénib au placebo chez des malades atteints de carcinome hépatocellulaire évolué. Au total, 602 patients ont été inclus. Ils devaient être en très bon état général (OMS 0 ou 1) et la cirrhose devait être classée A selon le score de Child-Pugh ; 70 % d'entre eux avaient un envahissement vasculaire macroscopique et/ou une extension extrahépatique (ce qui contre-indique une chimioembolisation). Environ la moitié de ces patients n'avaient jamais été traités, alors que les autres avaient fait l'objet d'une résection chirurgicale ou d'un traitement locorégional.
Le groupe assigné à recevoir le sorafénib à la dose de 400 mg deux fois par jour a comporté 299 patients, contre 303 dans le groupe témoin. Les objectifs principaux de l'étude étaient la survie globale et la survie sans progression symptomatique. Son objectif secondaire était le délai avant progression.
L'étude a été interrompue prématurément, en février 2007, les objectifs ayant été considérés atteints lors d'une analyse intermédiaire. Dans le groupe assigné au sorafénib, une réponse partielle a été constatée chez 2,3 % des patients. Le délai avant progression a été de 5,5 mois dans le groupe sous sorafénib, contre 2,8 mois sous placebo, cette différence étant statistiquement significative (p = 0,000007). De plus, la durée médiane de survie globale a atteint 10,7 mois dans le groupe assigné au sorafénib, contre 7,9 mois dans le groupe sous placebo, la différence de survie constatée étant également statistiquement significative (intervalle de confiance à 95 % : 55-88 % ; p = 0,00058).
Dans l'ensemble, la tolérance du sorafénib a été bonne, même si près de 10 % des patients ont eu une diarrhée ou une toxicité cutanée (syndrome main-pied) de grade 3 ; la fréquence des accidents hémorragiques n'a pas été augmentée par rapport au placebo, ce qui est important pour un antiangiogénique utilisé chez des patients le plus souvent cirrhotiques.
Ces résultats vont être présentés aux Journées francophones de pathologie digestive, avec des données complémentaires montrant notamment que le bénéfice thérapeutique est similaire dans les sous-groupes à plus mauvais pronostic (métastases extrahépatiques, envahissement portal). Ils ont justifié l'obtention d'une extension d'autorisation de mise sur le marché. Ils supposent également que l'emploi de ce traitement soit encadré par des règles précisant les conditions de la décision de traitement, dans le cadre d'une réunion de concertation pluridisciplinaire, ainsi que celles de sa mise en oeuvre et de sa surveillance.
D'après un entretien avec le Pr Jean-François Seitz, service d'oncologie digestive et hépato-gastro-entérologie, pôle oncologie et spécialités, CHU la Timone, Marseille.
(1) Abou-Alfa GH et coll. Phase II study of sorafenib in patients with advanced hepatocellular carcinoma. J Clin Oncol 2006 ; 24 : 4293-300.
(2) Llovet J et coll., For the SHARP Investigators Study Group. Sorafenib improves survival in advanced Hepatocellular carcinoma (HCC): Results of a Phase III randomized placebo -controlled trial (SHARP trial). ASCO 2007 (abs. 1).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature