A quoi le G8 sert-il ? On devine ce qu'il coûte, on en perçoit les effets délétères, on ne voit pas vraiment, depuis vingt-huit ans qu'il a lieu chaque année, qu'il change sensiblement la marche du monde.
Précédé cette année par le tricentaire de Saint-Pétersbourg, où la Russie pauvre et mafieuse a littéralement refait la ville au nom de la grandeur du tzar Vladimir Poutine, le sommet d'Evian a mobilisé onze mille agents de sécurité et sanitaires, donné lieu à un ballet d'hélicoptères et de bateaux sans précédent ; mais il ne s'y est rien produit que quelques coups de téléphone n'auraient suffi à obtenir. Jacques Chirac a voulu tenir compte des griefs exprimés par ceux qu'on appelle désormais les altermondialistes ; il a donc invité des leaders du tiers-monde. Leur présence a réduit à néant la vocation du G8, censé ne réunir que les puissances qui comptent ; mais les pauvres assis sur un strapontin ont-ils pour autant fait entendre leur voix ?
Le G8 a lieu maintenant par défaut. On ne veut pas que les altermondialistes réussissent dans leur entreprise, qui consiste à l'abattre. Mais il y a assez de forums internationaux tout au long de l'année pour qu'on se dispense de cette réunion très onéreuse qui a désormais un fâcheux effet secondaire : la mise à sac des villes avoisinantes. Quoi qu'en disent les altermondialistes, la violence finit toujours par apparaître. Cette année, ce sont les Suisses qui ont payé les pots cassés, alors qu'ils ne sont concernés ni de près ni de loin par le G8.
Le G8 n'est ni européen, ni une émanation de l'OTAN ; comme la puissance invitante se fera un devoir de convier les leaders des pays en développement à y assister, ce sera une seconde ONU. L'humanité est décidément très bavarde : elle adore les colloques, tribunes, sommets, rendez-vous, assemblées où l'on papote sur les malheurs du monde, où on lance des cris d'alarme, où on dénonce les ravages du sida ou de la tuberculose, où l'on dresse des tableaux apocalyptiques des effets sociaux et économiques de la misère et de la maladie ; mais où ceux qui en parlent le plus voyagent en première classe, disposent de suites dans des hôtels cinq étoiles, sont transférés d'un point à un autre par hélicoptère et, sécurité oblige, sont accompagnés par les bataillons de la force rapprochée.
Sur ce point au moins, les contestataires n'ont pas tort : on ferait mieux de consacrer à la charité les sommes énormes que l'on dépense dans ces réunions qui ne changent rien. Ce n'est pas au G8 de l'année dernière qu'on a empêché l'invasion de l'Irak ; George W. Bush a décidé de consacrer 15 milliards de dollars aux pays pauvres, mais c'est un libre choix qui ne lui pas été dicté par le G8 ; ce n'est pas le G8 qui trouvera une solution au problème israélo-palestinien, c'est (peut-être) M. Bush, quand il se rendra aujourd'hui à un autre sommet avec Ariel Sharon et Mahmoud Abbas ; ce n'est pas le G8 qui aura consacré la réconciliation franco-américaine, ni la réconciliation franco-britannique, pas plus qu'il n'aura rapproché les deux visions du monde, celle de l'Amérique et celle de l'Europe ; ce n'est pas au G8 que M. Chirac aura convaincu M. Bush qu'il doit coopérer avec l'Europe pour régler les grands conflits ; ce n'est pas au G8 que M. Bush a renoncé au multilatéralisme ; et ce n'est pas le G8 qui a fouetté la croissance ou donné un répit à l'Afrique exsangue.
En revanche, à cause du G8, des dizaines de milliers de manifestants ont envahi Annemasse et Genève et quelques centaines de casseurs ont fait leur uvre. Tout ça pour ça ? Pourquoi ne pas se rencontrer aux Nations unies pour discuter et, surtout, pourquoi les sommets ne seraient-ils pas plus discrets, plus sobres, annoncés seulement un ou deux jours à l'avance, pour éviter l'arrivée des manifestants et des vandales ? Si vraiment les chefs d'Etat ou de gouvernement des « huit pays les plus riches du monde » avaient un peu le sens de la décence, ils feraient en sorte que leurs retrouvailles ne soient pas dispendieuses et qu'elles n'apparaissent pas comme une provocation aux pelés, aux tondus de la planète.
Tout concourt d'ailleurs à la mise à mort d'une tradition qui sombre dans l'archaïsme : la révolte des altermondialistes, l'élargissement du G8 à d'autres Etats, l'inanité de ce qui s'y fait sinon de ce qui s'y dit, le fait évident que les affaires sérieuses sont traitées ailleurs. Il suffit de se poser une question simple : si les G8 n'ont plus lieu, qu'est-ce qui manquera au monde ?
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