On n'a pas vécu sans frémir ces heures qui ont précédé le début des hostilités en Irak. L'Amérique déclenche le conflit dans un isolement complet : même le soutien de la Grande-Bretagne ne lui est vraiment apporté que par Tony Blair, qui vient de perdre trois de ses ministres et n'aura pas obtenu sans mal, s'il y parvient, la majorité parlementaire sans laquelle ses troupes ne peuvent pas participer aux combats.
L'imbroglio diplomatique, la tension sans précédent qui a opposé une partie de l'Europe aux Etats-Unis et le ton extrêmement dur des déclarations prononcées par les dirigeants français, par les dirigeants britanniques contre la France, par le Vatican contre les Etats-Unis, par les élus européens, par la presse européenne et par une partie de la presse américaine contre M. Bush ont fait une guerre de l'avant-guerre. On a le sentiment qu'il va se passer quelque chose d'irrémédiable parce que la crise a commencé à dissoudre les liens traditionnels et le fonds de civilisation commun.
La responsabilité de Bush
Le premier responsable de cette crise, c'est, bien entendu, George W. Bush. Si, avec Tony Blair, il a clairement défini la nature du régime irakien, il n'a jamais expliqué ses intentions et motivations. La guerre sera un moment de vérité parce qu'elle dira si Saddam Hussein représentait le danger que nous a décrit M. Bush. Et, de ce point de vue, il était quelque peu aventureux, pour MM. Chirac et Schröder, de répéter, mardi encore, que l'Irak ne constitue pas une menace. Car ce sont des soldats américains - et peut-être britanniques - qui testeront sa dangerosité. Il demeure que George W. Bush a bâti son plan plus sur des hypothèses que sur des renseignements fiables.
Quand il a été élu à la fin de 2000, il apparaissait pourtant que les Etats-Unis s'étaient donné le président le plus conservateur, le plus réactionnaire de leur histoire ; dès les premières semaines de son mandat, il a bousculé nonchalamment une demi-douzaine de traités internationaux, dont le protocole de Kyoto sur l'environnement et les accords stratégiques russo-américains. Le ressentiment historique qu'inspire l'Amérique a rendu le monde aveugle à ce changement de nature de la présidence américaine. La diplomatie européenne et particulièrement celle de la France n'ont pas fourni d'efforts particuliers, il y a deux ans, pour éduquer cet animal étrange et lui rappeler ses responsabilités internationales.
Bush est entouré par des visionnaires qui rongeaient leur frein depuis deux ou trois décennies et avaient leur propre calendrier pour le monde. Sa foi chrétienne, qui ne l'a guère empêché de détériorer pour longtemps ses relations avec l'Eglise catholique, l'influence profonde qu'exerce sur lui la droite évangélique, son idée du Bien et du Mal, ses réformes de la société, toutes dirigées vers le contrôle des murs par la religion, en ont fait une sorte de fondamentaliste.
Nous avions souligné alors le changement essentiel qui était survenu en Amérique et ce que pouvait produire la conjonction entre le nouveau pouvoir et une puissance militaire inégalable. Mais qui, à l'époque, a essayé d'expliquer à M. Bush qu'il ne pouvait pas sauvegarder la démocratie américaine en ignorant la démocratisation des relations internationales ?
Le rôle du 11 septembre
Peut-être n'y avait-il rien à faire. Peut-être que la France a cru comprendre qu'il n'existait pas d'autre langage, face à une telle obstination, que celui du veto. Mais ce n'est pas sûr. Ce qui l'est, en revanche, c'est qu'un Bush ne risquait pas de passer par pertes et profits les attentats du 11 septembre. Notre solidarité avec les Américains a été brève. Un voyage de M. Chirac à New York, un éditorial du « Monde », et maintenant, parlons d'autre chose.
Tout le monde aura remarqué que M. Bush a au moins une qualité, c'est qu'il ne montre pas ses émotions personnelles. Il ne tempête pas, il ne s'abandonne pas à la colère et, s'il est capable de verser une larme en public, c'est seulement pour prouver qu'il partage le chagrin de son peuple. Mais cet homme-là joue sur le temps et la patience.
Saddam Hussein n'a probablement rien à voir avec Al-Qaïda. C'est pourtant le 11 septembre 2001 que son sort a été scellé. Ce jour-là, Bush a décidé de prendre à partie tous ses ennemis, actifs ou potentiels. La guerre qu'il déclenche contre l'Irak suit de près celle qu'il a livrée en Afghanistan et en précède d'autres. Il y mettra le prix. Il sacrifiera des milliers de vies pour venir à bout de la Corée du Nord. Encore une fois, il prend son temps.
Pourquoi le phénomène politique tout à fait extraordinaire que Bush représente à lui seul a-t-il été si longtemps négligé par les chancelleries européennes ? Sans doute parce qu'on a préféré, comme on vient de le voir, les duels à une politique commune européenne, concertée, élaborée, qui n'existe pas encore, alors qu'elle aurait dû être mise au point dès l'élection de M. Bush. L'Europe l'a considéré comme le successeur de Bill Clinton, comme une alternance à la nouvelle gauche, alors qu'il est le porte-parole des plus réactionnaires d'entre les Américains.
Nous ne pouvions pas faire l'économie de cette analyse, qui réclamait en outre une action diplomatique immédiate : nous sommes restés deux ans sans apporter à l'Amérique de Bush un contrepoids indispensable. On ne sait pas très bien aujourd'hui ce que produira cette seconde guerre contre l'Irak. Mais les dégâts sont déjà immenses : l'Amérique a tiré un trait sur l'ONU, elle va réviser son rôle au sein de l'OTAN, elle va sélectionner ses partenaires européens.
De mars à avril
Quand une presse unanime nous parle avec délices du fiasco diplomatique des Etats-Unis et du Royaume-Uni, ce qui est la vérité absolue du mois de mars 2003, elle oublie un peu vite, dans ses réactions superficielles, les périls à venir : une victoire militaire élimine un échec diplomatique. En outre, si par hasard la preuve est administrée que Saddam possède des armes de destruction massive, toutes les parties hostiles à la guerre pourront mesurer leur pusillanimité. On va maintenant le savoir.
Nous nous sommes tellement engagés diplomatiquement contre les Etats-Unis (en oubliant que Bush est un élu, donc transitoire, comme tous les élus) que, pour avoir raison dans les jours qui viennent, il ne nous resterait plus qu'à espérer une défaite américaine.
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