LES CONCLUSIONS d'une conférence d'experts sur le tabagisme péri-opératoire, organisée conjointement par des anesthésistes dans le cadre de la Société française d'anesthésie-réanimation, des chirurgiens, représentés par l'Association française de chirurgie, et des tabacologues, dans le cadre de l'Office français de prévention du tabagisme, ont été rendues publiques le 17 octobre dernier. Comme le précisent les premiers mots de ce texte, « le tabac est le seul produit de consommation courant qui tue un de ses fidèles consommateurs sur deux ».
Un triple risque.
Lors d'une intervention chirurgicale, programmée ou non, le tabagisme augmente le risque péri-opératoire. Ce risque concerne les infections, les complications respiratoires et le site opératoire lui-même.
En ce qui concerne le risque infectieux (1, 2), bactérien ou viral, il est au minimum multiplié par trois, même en dehors de la période opératoire. Le mécanisme par lequel la fumée du tabac exerce son effet délétère est double. En effet, elle provoque des modifications structurelles de l'appareil respiratoire et diminue la réponse immunitaire. Les infections concernées sont nombreuses. Il peut s'agir de pneumonies à pneumocoque, de légionelloses, de la tuberculose pulmonaire, de la surinfection d'une bronchopneumonie chronique obstructive ou d'une méningite bactérienne.
En outre, en période péri-opératoire, la fumée de tabac est un facteur de complications respiratoires clairement identifié depuis longtemps. Dans une étude prospective, l'incidence de complications pulmonaires respiratoires a été de 22 % chez les fumeurs, de 12,8 % chez les anciens fumeurs et de 4,9 % chez les patients qui n'ont jamais fumé (3). Le risque de complication du site opératoire lié au tabagisme a été mis en évidence plus récemment (4). L'augmentation du risque concerne les infections, la cicatrisation cutanée, les lâchages de suture et d'anastomose digestive, avec un risque relatif entre 2 et 3, et la consolidation osseuse, avec un risque relatif pouvant aller jusqu'à 8.
Or, comme le rappelle le texte de la conférence, « environ 30 % de la population française fume, ne serait-ce que de temps en temps, du tabac. Chaque année, plus de huit millions de Français subissent une anesthésie pour un acte opératoire en France, et on peut estimer que près de deux millions d'interventions chirurgicales concernent chaque année des fumeurs ».
Des bénéfices prouvés.
Les bénéfices d'un arrêt du tabac six à huit semaines avant une intervention sont bien documentés. Dans un essai randomisé réalisé dans trois hôpitaux du Danemark, les auteurs ont cherché à évaluer les effets de la cessation du tabac en période préopératoire pour une chirurgie de la hanche ou du genou sur une population de cent vingt patients (5). Dans le groupe intervention, les patients ont reçu des conseils et des timbres nicotiniques afin d'obtenir un arrêt de l'intoxication tabagique ou, au moins, une réduction de leur consommation de 50 %. Le critère de jugement de l'étude a été la fréquence des complications cardio-pulmonaires, rénales, neurologiques ou chirurgicales, et la durée du séjour hospitalier. L'analyse des données a été réalisée en intention de traiter. La fréquence des complications a été de 18 % dans le groupe intervention et de 52 % dans le groupe témoin (p = 0,0003). Les différences observées ont été particulièrement nettes pour les complications locales, cardio-vasculaires et chirurgicales. La durée du séjour a été raccourcie de deux jours dans le groupe intervention. Sur la base de cette étude, une intervention destinée à obtenir une cessation du tabagisme est à recommander.
Dans le même esprit, il est utile d'encourager les patients à cesser de fumer en leur conseillant des substituts nicotiniques. Une telle attitude permet de diminuer le tabagisme en période préopératoire ainsi que dans les six mois qui suivent l'intervention, comme l'a montré une étude randomisée qui a porté sur 237 patients (6).
En outre, le bénéfice obtenu par l'emploi des substituts nicotiniques ne se limite pas à la diminution de la fréquence des complications. En effet, comme l'a montré une étude réalisée à la Mayo Clinic, même si l'abstinence péri-opératoire ne se matérialise pas par un arrêt prolongé de l'intoxication tabagique et si les substituts nicotiniques ne permettent pas en soi une diminution du stress lié à l'arrêt du tabac, ils permettent d'obtenir une réduction de la consommation de tabac à un mois (7).
L'ensemble de ces constatations, entre autres, a permis à la conférence d'experts sur le tabagisme péri-opératoire d'affirmer que « les fumeurs sevrés de longue date ont un risque opératoire moindre que les fumeurs et non différent de celui des non-fumeurs. Un arrêt du tabagisme six à huit semaines avant l'intervention entraîne la disparition du risque de complications opératoires dues au tabac ». Un arrêt plus proche de l'intervention, entre trois et quatre semaines, « apporte sur tous les paramètres opératoires un bénéfice. » Un arrêt moins de trois semaines avant l'intervention « reste globalement bénéfique car la diminution documentée des complications au niveau du site opératoire et cardio-vasculaires relativise le risque controversé de majoration transitoire des complications respiratoires lors d'un arrêt une à deux semaines avant une intervention. » Un arrêt même douze à quarante-huit heures avant une intervention est bénéfique car il permet une diminution du taux de CO circulant. La poursuite de l'arrêt du tabac durant le temps nécessaire à la cicatrisation et/ou à la consolidation osseuse, pendant deux à quatre mois, favorise les suites opératoires.
Le texte précise encore que, dans la perspective d'une intervention chirurgicale, « tout médecin, généraliste, chirurgien, anesthésiste, et tous les paramédicaux doivent questionner systématiquement le patient sur son statut tabagique, le plus longtemps possible avant l'intervention, souligner l'importance de l'arrêt et proposer son aide pour l'arrêt ou orienter le patient ». Enfin, à la sortie de l'établissement, « un courrier doit être adressé au médecin traitant afin d'informer de ce qui a été fait en matière de contrôle du tabagisme et d'organiser le suivi. »
* Pneumologue-tabacologue, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris
1.<\!p>Arcavi L, Benowitz NL. Cigarette Smoking and Infection. « Arch Intern Med ». 2004 ; 164 (20) : 2206-2216.
2. Trosini-Désert V., Germaud P., Dautzenberg B. La fumée du tabac et le risque d'infection bactérienne. « Rev Mal Respir » 2004 ; 21 : 539-547.
3. Bluman LG, et coll. Preoperative Smoking Habits and Postoperative Pulmonary Complications. « Chest » 1998 ; 113 : 883-889.
4. Pearce AC, Jones RM. Smoking and Anesthesia: Preoperative Abstinence and Perioperative Morbidity. « Anesthesiology » 1984 ; 61 (5) : 576-584.
5. Moller AM, et coll. Effect of Preoperative Smoking Intervention on Postoperative Complications : a Randomized Clinical Trial. « Lancet » 2002 ; 359 : 114-117.
6. Ratner PA, et coll. Efficacy of a Smoking-Cessation Intervention for
Elective-Surgical Patients. « Res Nurs Health » 2004 ; 27 (3) : 148-161.
7. Warner DO, et coll. Effect of Nicotine Replacement Therapy on Stress and Smoking Behavior in Surgical Patients. « Anesthesiology » 2005 ; 102 (6) : 1138-1146.
8. Les recommandations sont disponibles sur les sites Internet des promoteurs :
- Association française de chirurgie : afc.caducee.net.
- Société française d'anesthésie et de réanimation : www.sfar.org.
- Office français de prévention du tabagisme : www.oft-asso.fr.
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