C ERTAINS fumeurs au passé dépressif redoutent l'arrêt du tabac par peur d'une rechute de la dépression. Cette crainte, si l'on s'en réfère à un travail américain paru dans le « Lancet », est fondée. Toutefois, cela ne devrait pas les dissuader d'arrêter, puisque, selon les auteurs de la publication, « maintenir des antidépresseurs peut être une meilleure alternative que de continuer de fumer des cigarettes, bien que que nous ne sachions pas encore si un tel traitement pourrait prévenir la récidive ».
Des études ont déjà mis en évidence que les abstinents ont un risque majoré de dépression par rapport à ceux qui persistent. Mais il semble, selon les auteurs, que ces travaux aient confondu conséquences du sevrage et épisode dépressif.
C'est donc pour tenter de démêler cet écheveau qu'Alexander H. Glassman et coll. (New York) ont mené une étude prospective en enrôlant 100 sujets qui fument plus d'un paquet par jour et ont des antécédents dépressifs. Le but : vérifier si le risque dépressif est majoré et pendant combien de temps persiste cette augmentation.
42 sujets ont réussi le sevrage
Seulement 76 sujets ont participé effectivement à l'étude. Tous étaient indemnes de dépression et ne prenaient plus d'antidépresseurs depuis au moins 6 mois. Ils ont reçu de la sertraline ou un placebo et devaient cesser de fumer dans les 3 semaines suivant le début du traitement. Quarante-deux sujets ont réussi le sevrage pendant au moins deux mois et 34 n'ont pas abdiqué. Un premier contrôle a été effectué à la 9e semaine, puis l'antidépresseur (ou le placebo) a été éliminé progressivement. Le suivi a été mené pendant 6 mois.
A ce terme, 13 abstinents (31 %) contre 2 fumeurs ont présenté un épisode dépressif majeur (odds ratio : 7,17). Le risque était similaire à la fin du premier et du second trimestre de suivi.
Les auteurs font deux remarques concernant leur étude. La première est que 22 individus ont été perdus de vue pour cause de non-sevrage. La seconde concerne l'antidépresseur. Les volontaires qui recevaient la thérapeutique risquaient une rechute à l'arrêt du traitement. Cependant les dépressions ont été plus fréquentes sous placebo. L'association entre abstinence et récurrence est donc restée significative.
Les fumeurs au passé de dépression
Dans leurs conclusions, les auteurs se veulent optimistes. « Tous les fumeurs au passé de dépression qui réussissent leur sevrage ne font pas une nouvelle dépression majeure. » Ils nuancent en ajoutant : « Déterminer si l'allongement de la durée d'un traitement par substituts nicotiniques, antidépresseurs ou autres types d'interventions augmenterait le taux de succès et diminuerait les rechutes dépressives n'est pas connu. »
Dans un éditorial accompagnant la publication de ce travail, R. Niaura et D. Abrams (Providence, Etats-Unis) constatent les difficultés d'interprétation de ce travail, notamment par la sélection très sévère des sujets et le biais statistique induit par le grand nombre de perdus de vue. Ils rejoignent leurs confrères de New York sur un point concernant la médecine praticienne : « Une tentative de sevrage tabagique peut avoir été l'élément précipitant une rechute dépressive. » Ils s'en écartent lorsqu'ils précisent la faible probabilité de voir un fumeur dépressif ayant récemment tenté d'arrêter. Ils achèvent leur commentaire par les mots suivants : « Il y a peu d'éléments laissant penser qu'un antidépresseur puisse prévenir une rechute dépressive parmi des fumeurs à risque. »
« The Lancet », vol. 357, 16 juin 2001, pp. 1900-1901 et 1929-1932.
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