DE NOTRE CORRESPONDANTE
« JUSQU'OUpourra-t-on cautionner le système ? » Cette interrogation formulée par une participante, médecin de la prison des Baumettes de Marseille, en dit long sur l'état d'esprit de ceux qui, aujourd'hui, sont chargés de soigner les détenus.
Près de 200 soignants, intégrés à l'un ou l'autre des 26 services médico-psychologiques régionaux (Smpr), 187 unités de consultation et de soins ambulatoires (Ucsa) et 8 unités hospitalières sécurisées interrégionales (Uhsi), se sont retrouvés à Lyon pour confronter leurs pratiques en médecine pénitentiaire. Dès les premières communications portant sur la prévention du suicide, les participants en sont venus à évoquer un champ d'action de plus en plus limité à la prise en charge des effets « iatrogènes » de la détention.
La prévention n'est plus une priorité.
Face à une population carcérale qui ne cesse d'augmenter - 64 500 personnes étaient écrouées en France, au 1er juin - les soignants craignent que leurs missions premières soient perverties. Dans certaines maisons d'arrêts occupées à plus de 200 %, quelques sénateurs et députés qui ont fait valoir leur droit de visite ont récemment observé des « traitements inhumains et dégradants ».
Dans ce contexte, la « prévention n'est pas une priorité », a souligné le Dr Valérie Kanaoui, médecin à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. En réalité, elle n'est « plus » une priorité, car en 1993, lors de la parution du rapport du Haut Comité de santé publique sur l'état sanitaire des prisons, l'enjeu de santé publique était apparu comme primordial. Ce rapport, qui s'appuyait sur des constats « alarmants », avait directement conduit à une réforme du système de santé en milieu carcéral : la loi du 18 janvier 1994 devait assurer à la population détenue une égalité et une continuité des soins équivalentes à celles dont dispose l'ensemble de la population. A présent, « la mise en place d'un Sros de psychiatrie nous permettra de développer la qualité des soins en nous adaptant aux contraintes de sécurité », a assuré une représentante de la Direction de l'hospitalisation et des soins (Dhos) lors de ce congrès.
Des soignants « tolérés ».
Pourtant, la réalité du terrain est tout autre : les soignants en psychiatrie se demandent même si les limites de l'acceptable n'ont pas été franchies. « Les personnels médico-psychologiques ne sembleraient plus être les bienvenus, a déploré le Dr Kanaoui. Nous ne sommes plus que des locataires tolérés. » Qu'en est-il par exemple de la prévention du suicide, un dossier sur lequel le gouvernement avait fait mine de se mobiliser ? Le rapport sur ce sujet, remis au Garde des sceaux et au ministre de la Santé par le Pr Jean-Louis Terra, psychiatre à Lyon, semble être tombé dans les oubliettes ministérielles. « La prévention du suicide n'est toujours pas conçue comme un risque à gérer et à prévenir », observait pourtant le Pr Terra, dans son rapport. Une année plus tard, rien n'a changé.
A Fleury-Mérogis, le Dr Kanaoui a elle aussi tenté de travailler sur ce sujet tabou : après la vague de suicides qui avait ébranlé toute la prison en 1999, un groupe de travail sur la prévention du suicide avait été constitué et de multiples propositions émises, dès l'année 2000. Lors du congrès, elle a présenté les résultats : les changements restent minimes. Néanmoins, « aucun suicide n'a été enregistré dans la prison, depuis sept mois ».« C'est une coïncidence ou peut-être un début de prise de conscience », espère-t-elle, tout en reconnaissant que certaines actions envisagées autrefois « ne sont plus possibles aujourd'hui ». Depuis leur arrivée dans les prisons, dans les années 1980, les soignants en psychiatrie se sont adaptés aux politiques successives, sans prendre position. L'objectif sécuritaire semble avoir pris le pas sur le sanitaire et « nous aurions peut-être quelque chose à dire collectivement », a suggéré le médecin des Baumettes.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature