Alors que les Bourses mondiales n'en finissent pas de dévisser et que le spectre de la récession se fait chaque jour plus précis, aucun secteur économique n'est plus à l'abri de possibles dommages collatéraux. Un groupe de cliniques privées voit sa valorisation boursière divisée par plus de deux, un autre est détenu par un fonds d'investissement qui pourrait être tenté, pour récupérer des liquidités, de le vendre « à la découpe », tandis que les hôpitaux publics doivent faire face à la hausse des taux d'intérêts de leurs emprunts. Côté labos pharmaceutiques, si les big pharmas devraient tirer leur épingle du jeu malgré la baisse des cours, les start-up de biotechnologies retiennent leur souffle, craignant que la chute des investissements ne vienne obérer leur capacité d'innovation et leur indépendance. Quant à la retraite des professionnels de santé, la CARMF comme la MACSF indiquent avoir placé une part des dépôts en Bourse, avec toutes les incertitudes qui peuvent s'y rattacher.
Revue de détail d'un monde de la santé parfois plus exposé qu'il n'y paraît.
Laboratoires pharmaceutiques : les économistes restent sereins
(S. Toubon)Les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas épargnés par la crise financière et voient, comme beaucoup d'entreprises cotées en Bourse, la valeur de leur titre fondre à une vitesse inquiétante. Selon le site Daily-bourse.fr, l'ensemble des titres du CAC Pharma & Bio aurait ainsi chuté en moyenne de 24,33 % depuis le début de l'année. Un tel bouleversement financier ne peut évidemment pas rester sans conséquences.
Pour Pierre-Louis Bras, économiste de la santé, «la perte de valorisation boursière n'a pas d'effet direct sur l'activité des entreprises car il s'agit d'une restriction de valeur pour l'actionnaire, pas pour l'entreprise».
Mais tout dépend bien évidemment de savoir si tous les laboratoires pharmaceutiques vont voir leur valorisation boursière baisser de façon égale ou si les uns seront plus touchés que les autres. «Si certains sont plus fragilisés que d'autres, analyse encore Pierre-Louis Bras, cela peut favoriser des rachats et des restructurations qui pourraient, à terme, modifier le paysage pharmaceutique. Un peu comme le groupe bancaire belge Fortis qui, fragilisé par la chute de son cours, vient à être racheté par BNP-Paribas.» Un point de vue que tempère Claude Le Pen, autre expert, professeur d'économie à la faculté Paris-Dauphine. Selon lui, les grandes restructurations ont déjà eu lieu dans le monde des big pharmas (sanofi-aventis, GlaxoSmithKline, etc.). «Si des restructurations devaient avoir lieu aujourd'hui,précise-t-il, ce ne serait plus entre entités semblables, mais entre entités différentes, comme un gros labo qui rachèterait une start-up de biotechnologies.» Mais pour Claude Le Pen, si les big pharmas vont, comme toutes les entreprises, souffrir de la crise, «elles vont survivre: la santé a toujours été un secteur qui s'en tire plutôt bien en période de crise». Même si, en aval de la crise financière, «l'aggravation des déficits publics peut amener les autorités à des fixations de prix plus autoritaires».
Reste la question de la capacité des labos à maintenir la R&D (recherche et développement) à un niveau acceptable. Sur ce sujet, Pierre-Louis Bras n'est pas, outre-mesure, inquiet : «C'est un secteur qui s'autofinance en grande partie et qui fait peu appel à l'endettement. La capacité de recherche des laboratoires pharmaceutiques ne devrait pas être significativement affectée.»
Biotechs : des difficultés d'investissements à prévoir
Côté laboratoires de biotechnologies, le bilan est plus sombre. Ce secteur, traditionnellement gros consommateur de capitaux levés en Bourse, subit en première ligne les effets de la crise financière. Selon France-Biotech (le LEEM des laboratoires de biotechnologies), les investissements ont en effet lourdement chuté au premier semestre 2008 : – 79 % en Europe et – 62 % aux États-Unis, par rapport à la même époque 2007. Pour la même période, les entrées en Bourse et les augmentations de capitaux se sont effondrées. Seul (maigre) réconfort, les investissements en capital-risque n'ont pour leur part chuté que de 19 % en Europe. Si bien, que pour l'économiste de la santé Claude Le Pen, «ces start-up étant très dépendantes du marché, il va devenir très compliqué pour elles de lever des fonds». Philippe Pouletty, président de France-Biotech, en convient d'ailleurs : «Si la baisse des investissements se poursuit, certaines entreprises de biotechnologies devront rechercher des alliances avec des laboratoires pharmaceutiques traditionnels pour finaliser leurs projets.»
Mais, sur le fond, pas d'inquiétude majeure affichée. «Cette crise ne remet pas en cause les fondamentaux, poursuit Philippe Pouletty , on aura toujours besoin de nouveaux médicaments, de nouvelles technologies», et les biotechs restent à la pointe de ce secteur. Si le feu n'est pas déclaré, les pompiers sont malgré tout en alerte, et France-Biotech a officiellement lancé un appel mercredi matin au gouvernement, lui demandant d'apporter à Oseo Innovations (un organisme public chargé d'apporter conseils et financements aux entreprises innovantes) 1 milliard d'euros supplémentaire en dotation exceptionnelle. France-Biotech demande également l'allongement de la durée du statut de « jeune entreprise innovante » (qui pourrait ainsi passer de 8 à 12 ans) et, enfin, l'augmentation du plafond d'incitation fiscale. «Pas de panique», conclut Philippe Pouletty, pour qui le salut passe par ce credo : «Il faut travailler et investir.» À condition qu'il reste des financiers en capacité de le faire.
Hôpitaux : la hausse des taux d'intérêt coûte cher
Les hôpitaux publics subissent aussi les retombées de la crise. Le premier d'entre eux, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a fait ses comptes. La hausse des taux d'intérêt lui coûtera 4 millions d'euros supplémentaires en 2008. Une goutte d'eau rapportée aux 6,5 milliards d'euros de budget du CHU. Mais cette charge, qui équivaut au coût annuel d'une centaine de postes d'infirmier, n'était pas prévue. Il faudra bien la financer. «Cela ne se traduira pas par une réduction des effectifs ou par une baisse de nos investissements», temporise Frédéric Guin. Prudent, le directeur économique et financier de l'AP-HP ajoute que si la hausse des taux devait se poursuivre, «cela nous obligerait à des efforts supplémentaires pour maîtriser nos dépenses en personnel et nos achats». Mais pas de panique, «nous n'en sommes pas encore là».
La pire hypothèse, de l'avis de son directeur financier, serait que l'AP-HP ne trouve plus d'investisseurs pour financer ses emprunts. Mais à ce jour, un tel scénario relève de la fiction. «Les discussions avec les banques sont plus difficiles qu'en 2007, maisnous n'avons pas jusqu'à présent de difficulté majeure pour emprunter, expose Frédéric Guin . Notre programme continue d'être réalisé comme prévu. L'AP-HP, unique CHU à être noté tripleA en raison de son programme d'emprunts particulier, est considéré comme un emprunteur sûr, sans risque financier majeur.»
Les autres hôpitaux publics, d'après la FHF (Fédération hospitalière de France), empruntent moins facilement, mais ils empruntent encore (« le Quotidien » du 3 septembre). Leur budget de fonctionnement est garanti par l'État. Pas de grosse crise en vue, si ce n'est un dégât collatéral lié à la récession, comme l'explique l'économiste Claude Le Pen : «Si l'État s'endette pour relancer l'économie, il y aura moins d'argent pour les hôpitaux, les prisons, la justice… Certains hôpitaux auront peut-être intérêt à se lancer dans des partenariats publics-privés pour se maintenir.» Les restructurations vont-elles s'accélérer ? Gérard de Pouvourville, autre économiste de la santé, s'attend plutôt à une temporisation : «Le gouvernement sera peut-être tenté de mettre la pédale douce sur les redéploiements de personnel. Les services publics sont des amortisseurs de crise: ce n'est pas le moment de mettre les gens dans la rue.»
Dans ce contexte, quid de la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) de Roselyne Bachelot ? «Elle est écrite, il n'y a pas lieu de la modifier, estime Claude Le Pen. Son application, en revanche, sera peut-être affectée. Car si les recettes de l'assurance-maladie diminuent, il y aura moins d'incitations financières pour les communautés hospitalières de territoire, les maisons de santé pluridisciplinaires, les futurs contrats médicaux à l'hôpital, etc.» Tout cela, prend soin de préciser l'économiste, n'est que pure spéculation.
Cliniques : les grands groupes sont exposés
La Générale de Santé est le seul groupe de cliniques à être coté en Bourse. Selon le site www.abcbourse.com, c'est la dégringolade. «Avec une chute de plus de 65% depuis le 1erjanvier dernier, le titre reste fortement sanctionné.» Sa valeur a atteint «ses plus bas niveaux historiques».
En temps ordinaire, un cours aussi bas ferait de la Générale de Santé une proie facile. L'éventualité d'un rachat est en fait peu probable car «les capacités d'emprunt pour l'acheteur sont maigres vu le contexte», note Claude Le Pen. Il faut en revanche s'attendre au ralentissement du développement du groupe, numéro un français de l'hospitalisation privée. Interrogée, sa direction ne souhaite pas réagir.
La situation apparaît plus problématique pour le numéro deux du secteur, Vitalia, à 100 % financé par le fonds américain Blackstone. «Tout dépend de la solidité du portefeuille d'actifs de Blackstone, analyse Gérard de Pouvourville. Si Blackstone détient des titres toxiques, peut-être devra-t-il brader Vitalia pour récupérer des liquidités. Vitalia est exposé à un risque de vente à la découpe. Il peut aussi être repris par un LBO(Leveraged Buy-Out) » . Blackstone a mis Vitalia en vente cet été, sans succès. Si le processus redémarre, peut-être certains investisseurs français ou groupes concurrents y verront-ils un effet d'aubaine. «Mais il sera difficile de trouver un acheteur solvable par les temps qui courent», nuance Gérard de Pouvourville. La mise en Bourse de Vitalia aurait pu être une autre voie de sortie. Seulement, là encore, il ne sera pas facile de trouver des acheteurs. À suivre donc.
Apriori, les grands groupes hospitaliers privés feront mieux face aux turbulences que les petites cliniques indépendantes, qui n'ont ni la même assise financière, ni la même force de négociation. «Peut-être des cliniques indépendantes seront-elles reprises par les grands groupes, mais les aubaines seront limitées par les contraintes du marché», avance Gérard de Pouvourville. Selon lui, les regroupements hospitaliers privés vont s'accélérer.
Et les médecins libéraux, observateurs passifs d'une situation qui leur échappe, comment vivent-ils cette période ? Mal, très mal, à l'image du Dr Philippe Cuq, chirurgien dans une clinique toulousaine appartenant au groupe Capio : «Nous n'avons aucune information. Chez Vitalia, chez Capio et ailleurs, les médecins sont inquiets, ils s'interrogent sur la pérennité financière de leur groupe. Quand le monde de la finance est mal et que les cliniques appartiennent au monde de la finance, on est mal.»
CARMF, MACSF : quid de la retraite des médecins ?
Les coups de fil de sociétaires inquiets affluent à la MACSF (Mutuelle d'assurances du corps de santé français). Médecins, infirmiers, kinés… ils sont 180 000 à avoir placé de l'argent à la MACSF pour leur retraite ou des assurances vie – en moyenne 120 000 euros par contrat. L'épargne totale se monte à 12 milliards d'euros. Une partie est placée en Bourse.
La MACSF s'est fendue de deux communiqués sur son site pour rassurer les troupes. Au « Quotidien », le directeur financier du groupe, Hervé Bouclier, déclare : «Il faut éviter tout amalgame entre la problématique des banques et la problématique des assureurs. La MACSF n'est concernée qu'indirectement par la crise.»
Le chiffre d'affaires de la MACSF a baissé de 10 % en un an, mais les prestations demeurent inchangées à ce jour. «Chaque médecin, qu'il soit arrivé à la MACSF en 1968, en 1998 ou en 2008, continue de recevoir son argent à taux compétitif», assure le directeur financier. Le rendement de l'épargne retraite était de + 4,65 % net en 2007 ; il devrait être stable en 2008. «Les médecins ne se précipitent pas pour retirer leurs fonds, c'est la preuve qu'ils nous font confiance», commente Hervé Bouclier.
Les praticiens qui ont placé leurs billes à la CARMF (Caisse autonome de retraite des médecins de France) pour leur retraite complémentaire ont également besoin d'être rassurés. «Comme une partie de cet argent est placée en Bourse, raconte un spécialiste, j'ai entendu dire que la CARMF fait le dos rond en ce moment car ses réserves pour le financement de nos retraites sont entamées.» Les réserves totales se montent à 4 milliards d'euros.
Le Dr Jean Chaccour, responsable des placements financiers à la CARMF, calme le jeu. «La crise touche la CARMF indirectement car nos actions ont été touchées de plein fouet, mais nous avons un matelas de sécurité obligataire. Et il faut savoir que seulement 20% des dépôts des médecins ont été placés en Bourse et en obligations. Le reste des placements est sécurisé.» Quid de l'avenir ? «Dans l'immédiat, toutes les retraites sont payées, affirme le Dr Chaccour. La CARMF ne panique pas et ne vend pas ses actions. Cela dit, quand la crise sera passée, la CARMF reverra sa stratégie. Sans doute va-t-elle réduire ses placements en Bourse pour éviter de tels aléas dans huit à dix ans, lorsqu'un maximum de médecins partira à la retraite.»
La récession prive la Sécu d'une part de ses recettes
Le ralentissement de la croissance économique – et a fortiori la récession annoncée par l'INSEE pendant au moins deux trimestres consécutifs de 2008 – compresse à la fois l'emploi et les recettes de la Sécurité sociale. En effet, ces dernières proviennent largement des cotisations et de la contribution sociale généralisée (CSG) qui reposent sur la masse salariale.
Le 26 septembre, le ministre du Budget et des Comptes publics, Éric Woerth, a indiqué que le ralentissement de la croissance de la masse salariale induisait mécaniquement un manque à gagner pour la Sécurité sociale de «600millions d'euros dès 2008». Dans son dernier rapport publié le 29 septembre, la commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS) calcule que 1 point de croissance en moins sur un an a un impact de 1,93 milliard d'euros sur le solde du régime général (toutes branches confondues). Toujours selon les simulations de la CCSS, la perte de chaque point de croissance plombe le déficit de la branche de l'assurance-maladie de 890 millions d'euros supplémentaires. Or les prévisions du taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) pour l'ensemble de l'année 2008, estimées l'an passé entre 2 et 2,5 % par le gouvernement, sont maintenant revues à 1%, voire un peu en deça par l'INSEE. Et l'année 2009 ne promet pas mieux... > A. B.
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