MORT OFFICIELLEMENT le 11 novembre, 13 jours après son admission à l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Percy, à Clamart (Hauts-de-Seine), le président de l'Autorité palestinienne n'en continue pas moins de soulever une vive polémique, mettant sous tension le Proche-Orient et, par onde de choc, Paris, les milieux diplomatiques, militaires et médicaux.
Depuis le début de la semaine, des rumeurs persistantes circulent dans l'opinion palestinienne et l'ensemble du monde arabe au sujet d'un empoisonnement par Israël de Yasser Arafat.
En fait, les doutes ont germé dans les esprits dès avant le transfert en France. Dans une interview au quotidien espagnol « El Pais », le médecin personnel du Raïs, Achraf al-Kurdi, expliquait que, après avoir écarté diverses causes à l'insuffisance de plaquettes qu'il avait diagnostiquée (cancer, infection virale ou bactérienne), il avait « commencé à envisager la possibilité d'un empoisonnement », prescrivant alors des analyses toxicologiques. Celles-ci, n'étant pas réalisables depuis Ramallah, faute de moyens, c'est donc en France que les toxicologues ont été appelés à la rescousse. Selon « le Canard Enchaîné », le très sophistiqué laboratoire de l'institut de criminologie de la gendarmerie nationale, à Rosny-sous-Bois, a procédé aux investigations les plus complètes.
Des résultats de ces examens, officiellement, rien n'a filtré. Les seules communications pendant l'hospitalisation à Percy ont été assurées par le médecin général Christian Estripeau, à cinq reprises, lequel n'a réfuté qu'une seule hypothèse, celle d'une leucémie. Pour le reste, le secret a été « parfaitement respecté », selon la formule de Philippe Douste-Blazy. Interrogé à la sortie du Conseil des ministres, le ministre de la Santé a tenu à rappeler que : « Une loi en France dit que le secret médical est réservé aux familles et aux ayants-droit ou alors qu'on peut le transmettre au médecin que la famille définit.C'est une loi et je souhaite qu'elle soit parfaitement respectée par tout un chacun et en particulier par tous les médecins en France », a-t-il insisté.
Pourtant, trois jours plus tôt, le même ministre-médecin, après avoir souligné qu'il n'avait pas eu connaissance du dossier médical, avait laissé échappé une information capitale : « Je peux vous dire, déclarait-il sur les ondes de Radio J, que rien dans le dossier médical, semble-t-il, n'a montré qu'il pouvait y avoir un tel cas (d'empoisonnement) , sinon ce serait la justice qui aurait eu, alors, à prendre en considération ce dossier. »
Le permis d'inhumer.
Dans cet exercice subtil du ministre qui ne dit mot mais dément, Jean-François Copé n'a pas été en reste. « M. Arafat a reçu les meilleurs soins possibles et tous les examens qui devaient être faits l'ont été », a assuré le porte-parole du gouvernement, en soulignant que « si les médecins avaient eu le moindre doute, ils auraient saisi la justice ». « J'observe, a-t-il poursuivi, que le permis d'inhumer a été délivré. »
Les deux voix gouvernementales s'accordent donc, toute révérence gardée pour le secret, sa loi et son respect, pour tordre le cou à l'inquiétante rumeur arabe et au risque d'embrasement qu'elle fait peser dans tout le monde arabe.
De surcroît, des médecins se sont mis aussi à parler et, semble-t-il, des médecins militaires qui s'expriment anonymement dans plusieurs journaux (« le Canard Enchaîné », « Libération », « le Monde »), pour distiller d'abondants morceaux choisis du dossier Arafat. On pouvait ainsi apprendre que les derniers doutes toxicologiques avaient été levés par l'institut de criminologie de la gendarmerie, avec la conclusion : « Pas d'empoisonnement à partir d'une substance toxique connue » ; que de graves lésions hépatiques ayant été suspectées, le patient présidentiel avait été admis dans le service d'hématologie où une forme de cirrhose dite mécanique était constatée ; que, cependant, faute d'avoir pu, compte tenu des risques hémorragiques, pratiquer une biopsie du foie (les médecins n'avaient) pas pu conclure stricto sensu à ce diagnostic, évoquant plutôt des troubles majeurs de la fonction hépatique ; enfin, que, l'examen clinique et les analyses ayant confirmé des anomalies sanguines, en particulier un taux élevé de globules blancs et un taux de plaquettes bas, une transfusion de plaquettes avait permis d'obtenir une amélioration de brève durée, avant que les lésions des cellules hépatiques plus ou moins associées à une Civd (coagulation intra-vasculaire disséminée) ne provoquent une altération de l'état général, une diminution des plaquettes sanguines, des hémorragies et collapsus avec dégâts cérébraux irréversibles. Jusqu'à ce que la mort, le 11 novembre au matin, s'ensuive.
Certes, rien n'est officiellement publié et aucune certitude n'est avancée quant à la cause exacte du décès, mais les ministres devant les caméras et les médecins, par leurs déclarations anonymes à la presse écrite, ont fait passer le message, au mépris de la parfaite application de la loi sur le secret médical : non, Yasser Arafat n'est pas mort empoisonné.
Lire en page 16 notre analyse politique.
« Le Temps de la médecine » du 25 novembre sera consacré au secret médical.
Le secret, dans l'intérêt des patients
« Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris » (code de déontologie médicale, article 4).
« Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des malades, s'impose à tout médecin. Le médecin doit protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées, quels que soient le contenu et le support de ces documents. »
Extraits de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, dite loi Kouchner.
La Civd rencontrée dans de nombreuses situations
La coagulation intravasculaire disséminée (Civd) est un syndrome acquis secondaire à une activation systémique et excessive de la coagulation, rencontré dans de nombreuses situations cliniques en réanimation.
Ce syndrome se définit par l'association d'anomalies biologiques avec ou sans signes cliniques témoins de la formation exagérée de thrombine et de fibrine, et de la consommation excessive de plaquettes et de facteurs de la coagulation.
La Civd s'inclut dans un processus complexe qui commence par un syndrome d'activation systémique de la coagulation (Sasc) difficile à mettre en évidence. Il se poursuit par l'apparition de troubles patents biologiques puis cliniques de l'hémostase qui peuvent engager le pronostic vital.
> Extraits de la XXIIe conférence de consensus en réanimation et médecine d'urgence, Lille, le 10 octobre 2002.
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