« Après un non-lieu dépourvu de motivation prononcé par la Cour d'appel de Paris le 4 juillet 2002, la Cour de cassation peut encore décider (le 5 juin) que l'affaire du sang contaminé ne sera jamais jugée », écrivent dans une lettre au garde des Sceaux les représentants de familles victimes de drames sanitaires.
C'est pourtant Dominique Perben, « en liaison directe » avec le procureur général de la Cour d'appel de Paris, qui a souhaité personnellement un renvoi devant la haute juridiction pénale. Les familles, qui constituent les 40 parties civiles dans le volet dit « non ministériel » du scandale du sang contaminé, ont hâte, il est vrai, de voir des têtes tomber. Il en va de leur travail de deuil, dix-huit ans après les premières contaminations d'hémophiles et de transfusés.
Des familles éprouvées
et décidées
« Mettre sciemment des enfants (hémophiles, ndlr) sous protocole, sans le leur dire, et leur administrer des médicaments, prophylactiques de surcroît, à seule fin d'observer l'évolution d'une statistique de contamination morbide, est un crime condamné par le tribunal pénal de Nuremberg en 1947 et réprouvé dès 1964 par la Déclaration d'Helsinki de l'Association médicale mondiale sur les principes éthiques applicables aux recherches médicales sur des sujets humains. Perfuser ces mêmes produits prophylactiques à ces mêmes enfants en sachant que ces enfants sont vierges de toute contamination, que ces produits sont contaminants à 100 % et que la mort résultera certainement de cette contamination sans aucune solution thérapeutique possible, alors qu'il existe des traitements sécurisés, constitue sans discussion possible le crime d'empoisonnement », peut-on lire dans leur lettre ouverte. En conséquence, les « victimes n'accepteront jamais (que) la justice française puisse enterrer des faits criminels aussi graves au seul motif qu'il ne serait pas imaginable que de tels crimes aient pu être commis par des médecins avec l'aval de certains hauts responsables des pouvoirs publics dans une démocratie moderne ».
Le message sera-t-il entendu par les magistrats de la Cour de cassation, qui mettront sans doute leur verdict en délibéré ? La chancellerie, pour sa part, a montré qu'elle n'entendait pas participer à un quelconque enterrement judiciaire.
Examiner les moyens de droit
Deux semaines après l'arrêt de la chambre dE L'instruction de la Cour d'appel de Paris, le procureur général Jean-Louis Nadal dénonçait dans un mémoire très sévère l' « insuffisance » et la « contradiction » des motifs du non-lieu rendu à la surprise générale (« le Quotidien » du 11 juillet 2002). La Cour d'appel avait estimé, le 4 juillet, qu'il n'existait pas de lien de cause à effet entre la contamination par le VIH de près de 4 000 hémophiles (1 300) et transfusés et les actes et les décisions des 30 personnes mises en examen, parmi lesquelles 22 médecins et 5 conseillers ministériels - Louis Schweitzer, actuel P-DG de Renault, et François Gros (Matignon), Charles-Henri Filippi et Patrick Baudry (Affaires sociales) et le
Dr Claude Weisselberg (Santé). Elle indiquait que « la preuve n'est pas rapportée que les (médecins) prescripteurs de dérivés sanguins aient eu connaissance du caractère nécessairement mortifère des lots du Centre national de transfusion sanguine (CNTS), l'information ayant été communiquée de façon partielle ». De son côté, le 26 mars 2002, le Parquet général se prononçait pour un renvoi en correctionnelle.
Au départ, la juge parisienne Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui a ouvert son instruction en 1994, retenant des qualifications criminelles (empoisonnement) à l'encontre de 7 personnes, dont le Dr Garretta, et délictuelles (homicides involontaires), réclamait, quant à elle, une comparution aux Assises, les faits invoqués étant « connexes ». La défense des prévenus, en revanche, invoque la loi du 10 juillet 2000 relative aux délits non intentionnels, selon laquelle il revient à l'accusation de prouver l'existence d'une faute « caractérisée » et de démontrer que l'auteur ne pouvait ignorer qu'il exposait autrui à un risque d'une particulière gravité. D'ailleurs, dans leurs attendus, les 3 magistrats de la 4e chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris affirment que les « prescripteurs » n'ont pas « eu connaissance du caractère nécessairement mortifère des dérivés sanguins », dont ils n'étaient pas « maîtres » du choix. En ce qui concerne le test Abbott, sa « fiabilité » n'était pas assurée, et aucune preuve n'est apportée que sa mise sur le marché tardive ait eu des conséquences dommageables. La juge affirme, à cet égard, que 580 contaminations auraient pu être épargnées entre novembre 1984 et LE 31 décembre 1985.
Quoi qu'il en soit, il appartient aujourd'hui à la Cour de cassation, non de remettre en cause des faits, mais d'examiner les moyens de droit soulevés. Et il n'est pas exclu qu'elle saisisse une chambre de l'instruction pour réentendre les parties en présence, dans un an au plus tôt. Ce volet, qui implique à nouveau le Dr Michel Garretta, est le troisième dossier judiciaire sur le sang contaminé. Les deux premiers ont donné lieu à un procès. Le Dr Garretta, à l'époque directeur général du CNTS, avait été condamné en appel en juillet 1993 à quatre ans de prison. En mars 1999, renvoyés devant la Cour de justice de la République, l'ancien chef de gouvernement Laurent Fabius et Georgina Dufoix (Affaires sociales) avaient été relaxés, tandis que l'ex-secrétaire d'Etat à la Santé Edmond Hervé était sanctionné, avec dispense de peine, pour homicide involontaire et atteinte à l'intégrité de la personne. Un troisième procès reste donc encore plausible, en correctionnelle, vraisemblablement, dans deux ans, pourquoi pas ? Dans le cas où la décision de la chambre de l'instruction serait confirmée, « aucun scandale mettant en cause la santé et l'alimentation des Français ne pourrait être jugé », préviennent les hémophiles et les transfusés infectés soutenus par les victimes de l'hormone de croissance extractive contaminée et de la nvMCJ.
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