L'assassinat, au coeur de Stockholm, d'Anna Lindh, ministre suédoise des Affaires étrangères, a consterné le monde, qui découvre, au moment de sa disparition, les qualités et la compétence qu'elle avait dans ses fonctions.
Les commentaires soulignent qu'Anna Lindh a été victime de sa simplicité et du fonctionnement de la démocratie suédoise, qui ne croit pas utile de placer un système de sécurité autour de ses personnalités politiques. Le Premier ministre suédois Olof Palme a été assassiné lui aussi, il y a 18 ans, alors qu'il sortait d'un cinéma en compagnie de son épouse. Anna Lindh a été agressée alors qu'elle faisait ses courses dans un supermarché.
On ne retrouvera sans doute pas l'assassin de Mme Lindh.
Crimes apolitiques
Aucun des deux crimes n'est de nature politique : Mme Lindh militait pour l'adoption de l'euro par la Suède et si quelqu'un l'a tuée pour cette raison, jamais la distance entre l'engagement politique au sein de nos démocraties occidentales, qui peut se résumer à des choix budgétaires (et en l'occurrence monétaire), et la violence aveugle des fanatiques n'aura paru aussi grande. On ne meurt pas pour l'euro dans une société civilisée, pas plus qu'on ne devrait mourir à cause de l'Organisation mondiale du commerce, dont la réunion à Canc[156]n a entraîné le suicide d'un manifestant.
« L'OMC tue », c'est ce qu'on a pu lire aussitôt après le suicide sur les banderoles des paysans en colère de Canc[156]n. Mais l'euro qui tue, est-ce possible ?
Sans doute Anna Lindh a-t-elle été victime d'un déséquilibré. Ce qui n'enlève rien à la gravité de l'événement. Il signifie que les sociétés dites ouvertes sont condamnées à se refermer. La France elle-même n'est pas à l'abri : un jeune homme a voulu tirer sur le président de la République et Philippe Douste-Blazy a été victime d'un attentat au poignard dans sa bonne ville de Lourdes. Quelle conclusion faut-il en tirer ? Que ces crimes vont entraîner dans nos sociétés des réflexes de paranoïaque, si ce n'est déjà fait. Il y a certes la violence gratuite des malades mentaux, mais il y a aussi la violence politique telle que la pratiquent les islamistes ou encore les extrémistes corses ; de sorte qu'il nous faut prendre des mesures de précaution, non seulement dans les aéroports, dont la sécurité est devenue accablante pour les voyageurs, mais partout ailleurs, dans les immeubles de bureaux, dans les administrations, etc.
Le résultat de la peur, c'est qu'elle sécrète tout naturellement une société policière. Dès lors que l'assassin peut ressembler au meilleur des citoyens, tous les citoyens sont automatiquement suspects. Tous doivent se plier aux vérifications, fouilles et contrôles. La suspicion est le poison de la société ouverte ; elle empêche la communication directe entre gouvernants et gouvernés et elle empoisonne les citoyens qui souhaiteraient au contraire être libérés du port obligatoire des papiers d'identité, a fortiori des badges, et n'avoir pas besoin de justifier leur innocence à chaque instant.
La violence l'emporte
C'est d'ailleurs pour éviter cette dérive que les Suédois n'ont rien changé à leurs habitudes après la mort d'Olof Palme. Mais c'est de leur entêtement à vivre dans une démocratie parfaite qu'est morte Anna Lindh ; et on peut se demander si, de cette fois, ils ne vont pas tirer du crime une leçon indispensable, à savoir qu'ils ne peuvent pas continuer à exposer leurs dirigeants de telle sorte que la vie politique en est altérée.
On ne l'écrit pas sans frémir, mais il est vrai que la violence est en train de l'emporter sur la démocratie : aux Etats-Unis, où le 11 septembre a entraîné une réduction des libertés voulue par les élus ; en Europe où l'un des projets unitaires les plus merveilleux, la création de l'espace de Schengen, est battu en brèche par la lutte contre le terrorisme. On voit d'une part une aspiration des peuples à la communication entre eux, à l'abolition des frontières et des contrôles bureaucratiques, et d'autre part la nécessité de lutter contre la violence, contre la barbarie, avec des moyens qui sont coercitifs, et donc réduisent les libertés.
Tous les hommes, toutes les femmes de bon sens se plient docilement aux multiples contrôles érigés contre le terrorisme ; tous préfèrent leur propre sécurité physique à une liberté illusoire qui les mettrait en danger. Mais en même temps, un progrès considérable dans le voyage et la communication est annulé par les risques d'attentats. En Europe notamment, nous sommes parvenus à vaincre le spectre de la guerre ; nous avons remplacé nos terribles conflits intraeuropéens par l'Union et le libre-échange, pas seulement des biens, mais des personnes. Un voyage de Paris à Vienne ou à Berlin ou à Rome ne diffère en rien d'un voyage de Paris à Dijon ou à Lyon. Cette formidable liberté de se déplacer et de communiquer ne sert pas qu'à la prospérité ; elle européanise les cultures nationales, elle apporte un instrument unique à la création artistique. Nous n'avons pas perdu cette liberté, mais nous avons peur de la perdre, de même que nous avons peur d'être victimes du terrorisme, peur d'une menace à la fois sournoise, discrète et mortelle.
Anna Lindh est morte d'avoir été suédoise, de n'avoir pas confondu pouvoir et privilège, d'avoir été l'honnête élue, l'honnête ministre qui va, comme vous et moi, au supermarché. Comme Olof Palme, comme tous les élus suédois, elle ne voulait rien des apparences et de la pompe du pouvoir, et souhaitait tout donner à son travail. Tant d'humilité devant la fonction élective force l'admiration. Hélas, les assassins veillent qui reconnaissent la notoriété même quand elle revêt l'accoutrement du simple citoyen.
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